Ruben Pallejero par Shelton, le 26 mai 2006

C’est le samedi 20 mai, vers 15h30 que j’ai pu interviewer Ruben Pellejero, à Lyon. Cette interview était destinée, en premier lieu au magazine hebdomadaire que je réalise et anime pour certaines radios chrétiennes et indépendantes, puis, en second lieu, au site Critiques Libres que j’aime beaucoup et sur lequel j’ai trouvé un espace de liberté très plaisant, des lecteurs attentifs et connaisseurs, enfin, n’hésitons pas à le dire, quelques amis...

Qu’est-ce qui vous pousse à accepter un scénario de bédé ?

Ce que je regarde en premier, ce qui me pousse vers le scénario, c’est tout simplement la qualité de l’histoire, l’émotion qu’elle dégage... Il faut que je l’aime pour avoir envie de la raconter !

Comment se fait-il que vous ne dessiniez pas de série longue ?

Je préfère les histoires assez courtes. Enfin, quand je dis «courtes », je dis surtout des histoires qui peuvent être racontées en un album, même s’il doit faire 64 pages... Mais un album me parait une bonne solution pour le dessinateur... mais pour le lecteur aussi... Parfois le scénario, la construction de l’histoire méritent, justifient, deux albums. Ce fut le cas pour Aromm et maintenant pour L’écorché. Mais ce doit être une exception...

Comment aimez vous travailler avec un scénariste ?

J’aime surtout les marges de liberté. Le scénariste il me donne une histoire, mais je me l’approprie et c’est moi qui la raconte ! Travailler avec un scénariste, c’est avoir une relation de complète liberté, ce qui ne signifie pas un travail d’équipe, bien au contraire, mais c’est avant tout une relation de liberté. Je donne la liberté au scénariste de développer son histoire jusqu’au bout mais il me donne la liberté de la raconter le mieux possible... Je suis, moi le dessinateur, un auteur comme le scénariste.

Ceux avec qui vous avez travaillé, vous ont-ils apporté cela, cette liberté ?

Quel que soit le scénariste, Zentner, Lapière, Germaine ou Giroud, c’est la même manière de travailler, pour moi, malgré leurs différences. Dès qu’ils me donnent l’histoire, si je l’aime, condition indispensable, elle devient la mienne, j’en deviens un peu le scénariste et je me mets au travail en toute liberté. Je suis le responsable de la façon dont on va la raconter... Je suis comme un vampire avec les scénaristes, je les avale, enfin seulement l’histoire. Ce qui me plait chez ces scénaristes, c’est qu’ils respectent cette façon de travailler, ils me donnent cette liberté dont j’ai totalement besoin pour créer... Avec Jorge Zentner, tout d’abord, c’est véritablement particulier, parce que c’est un ami, qui habite Barcelone. On se voit souvent, les idées arrivent comme ça, autour d’une table, on les partage, on les fait vivre... On scénarise presque ensemble ! Une histoire est avant tout une bonne conversation. Avec Denis Lapière, c’est différent. Pour Un peu de fumée bleue, il m’a donné un scénario très abouti, très travaillé, approfondi. Le script était complet, je n’avais plus qu’à dessiner, raconter l’histoire... Mais la liberté existait, de façon autre, car nous nous téléphonions souvent pour faire vivre l’histoire, lui apporter les petites retouches dont elle avait besoin... [Rappelons que Denis Lapière est en Belgique, tandis que Pellejero est en Catalogne !] Pour cette dernière collaboration, avec Florent Germaine et Frank Giroud, L’écorché, c’est encore une nouvelle aventure, car cette fois-ci, il y a deux scénaristes, dont, un, Frank Giroud est une personnalité forte et reconnue dans la bande dessinée. Mais la liberté a bien existé, même si les scénaristes ne m’ont pas raconté toute l’histoire au départ. Je ne recevais le scénario que petit morceau par petit morceau (15 planches environ).

Beaucoup des histoires que vous racontez se passent à travers le monde entier, des Indes aux Caraïbes en passant par Paris. Mais, est ce parce que vous aimez beaucoup voyager ou dessiner les régions éloignées de votre Catalogne ?

question de documentation. Les personnages ont presque plus d’importance que les lieux. Dans cette dernière histoire, c’est Paris, à la charnière entre deux siècles, les XIXème et XXème, la documentation existe en grande quantité et cela ne pose aucune difficulté. Cette fois, c’est Tristan qui est le plus fascinant, touchant... Il travaille dans une boucherie pour vivre, il est atteint d’une difformité physique et il peint avec passion pour exister, pour vivre... Mais pour revenir plus particulièrement à la question des pays et voyages, quand je prépare une histoire qui a pour cadre un autre pays que l’Espagne ou la Catalogne, je voyage avant, mais c’est essentiellement un voyage imaginaire...

Aujourd’hui vous produisez de plus en plus d’albums riches en couleurs, mais est-ce véritablement un choix ?

Au départ, je suis un dessinateur passionnément attaché au noir et blanc. Mais pour le choix de l’usage des couleurs ou non, cela dépend essentiellement de l’histoire. Dans Tabou, cela ne pouvait pas être autrement qu’en noir et blanc. Mais la couleur, c’est aussi une concession au marché francophone qui y est très attaché, beaucoup plus que moi... Mais, j’aime aussi, dans certaines situations, la couleur. J’aime beaucoup la peinture, par exemple, et avec tout le travail sur les couleurs. Mais quand je raconte pendant longtemps en couleur, j’ai besoin, à un moment, de raconter une petite histoire en noir et blanc, c’est comme ci c’était vital !

Certains auteurs préfèrent dessiner des femmes ou des hommes. Dans vos albums on ne détecte pas de préférence...

Oui, pour moi, ce n’est pas le caractère sexué de la personne qui est important, mais le personnage dans tous ses aspects, son caractère, son comportement, l’émotion qu’il apporte, qu’il dégage... Homme, femme, c’est secondaire...

Parfois le personnage principal est même un animal...

Oui, animal aussi, ça existe dans certaines histoires, par exemple cette nouvelle Blues et ce «Poisson de la mort», véritable personnage qui parle, pense et tue... Mais au-delà des personnages, j’aime aussi dessiner les ambiances...

Vous êtes ici pour présenter votre dernier album, a-t-il suscité des difficultés particulières ?

Le scénario de Giroud et Germaine ne m’a pas fait peur. J’ai été séduit tout de suite par Tristan. La difficulté est de montrer un artiste, Tristan, en train de peindre... Dessiner un peintre, c’est vraiment une action compliquée pour moi. Faire ressentir la création avec tout ce qu’elle apporte de souffrances et de joies... Ce fut très difficile et je ne sais pas si c’est réussi...

A ce stade de votre carrière qu’espérez –vous encore dessiner ou raconter ?

Je n’espère rien de particulier. J’attends la prochaine rencontre, la prochaine surprise, le prochain scénario que l’on va m’offrir à raconter... C’est ça ma vie, attendre la bonne surprise, le cadeau idéal... C’est la séduction par une histoire qui m’apporte le plus de bonheur...

Merci Ruben de ses quelques minutes passées ensemble, bonne chance pour la suite et nous attendons avec impatience le tome 2 de « l'Ecorché ».

Merci à vous !

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