Philippe Alméras par Jules, le 19 janvier 2005

Philippe Alméras est français et diplômé de l’université Santa Barbara en Californie. Il a déjà publié onze livres, dont "Dictionnaire Céline", son dernier, et cinq autres consacrés également à Céline. Il y a aussi une biographie de Pétain, un « De Gaulle à Londres », un « Vichy-Londres-Paris » et « les Catholiques français ».

Louis-Ferdinand Céline semble pour le moins vous intéresser…

En effet ! Je tiens d’ailleurs à dire que la biographie que j’en ai faite m’a valu pas mal d’ennuis en France pendant un bout de temps !… Ce travail était considéré comme anti-célinien en Amérique et comme pro-célinien en France à une époque où cela se payait. Il faut savoir qu’en France, les céliniens sont essentiellement de gauche. Il s’ensuit que parler du côté antisémite des écrits de Céline passe donc très mal !… Or, j’y abordais le problème de ce que l’on appelle les « pamphlets » à savoir « Bagatelles pour un massacre » et autres écrits du genre. Vous savez, les choses sont parfois bizarres et surtout l’interprétation qu’on en donne évolue. Quand vous pensez que Sartre, dans son premier roman « la Nausée » cite une phrase de « l’Eglise » !… Et pourtant il me semble peu évident pour lui de dire qu’il ne savait pas ce qu’il lisait et ce à quoi il se référait !…

Donc les céliniens sont plutôt à gauche, mais comment expliquer cela ?…

Je ne me l’explique pas autrement que par une vaste entourloupe !… Je ne trouve pas grand chose dans son œuvre qui justifie cette prise de possession, sauf le fait qu’il était un très grand écrivain. La gauche a pour habitude de les considérer comme lui appartenant… Or, à mes yeux, Céline était presque le prototype du « petit bourgeois » Sa famille était loin d’être démunie, comme il a voulu le faire croire dans « Mort à crédit » et sa jeunesse ne fut pas non plus l’horreur décrite… Cet aspect petit bourgeois tendrait d’ailleurs à expliquer ses rapports à l’argent. On ne peut pas mieux définir ceux-ci que comme l’éternelle poursuite de ce qu’il estimait être « son dû » Céline n’a jamais été à vendre, mais il voulait le dernier centime de son dû ! A mes yeux, il n’a jamais été fou, comme certains ont aussi voulu le faire croire. Pour s’en persuader il suffit de voir avec quelle intelligence il a géré son argent !… Non, je ne vois qu’une explication, c’est que la gauche veut ignorer les « mauvais livres ».

Il semblerait qu’il ait été l’auteur qui aurait gagné le plus d’argent pendant l’occupation et, dans les années cinquante, ses contrats avec Gallimard étaient loin d’être tristes !… Comment expliquer le fait qu’il ne payait pas ceux à qui il devait quelque chose ?…

Il est vrai que Céline n’a jamais rien payé à ses avocats français, par exemple, ni remboursé des dettes qu’il avait vis à vis de personnes qui l’avaient aidé. Il se sentait vraiment pauvre ! Il avait toujours la peur de manquer. Il était surtout toujours convaincu que les autres avaient plus que lui. Convaincu de cela, il estimait qu’il n’avait pas à les payer ! Quant à l’importance de ses contrats, il l’estimait normale : ses livres valaient bien cela ! Oui, ses rapports à l’argent étaient bizarres… Lui jouait au véritable clochard à Meudon, était habillé comme tel, et l’on y croisait Lucette vêtue comme une grande bourgeoise qui rentrait d’avoir été faire ses courses à Paris dans des magasins de luxe !… Au passage, je signale la petite histoire de la couverture de mon « dictionnaire »… Vous ne remarquez rien ?…

La seule chose qui me frappe c’est le visage plus que souriant de Céline. On n’en a pas l’habitude !…

C’est tout à fait vrai et j’ai eu les pires difficultés à l’imposer, cette photo ! Personne n’en voulait car, aux yeux de tous, ce n’était pas Céline !… Céline reste, dans l’esprit de ceux qui l’ont connu, un râleur, un aigri, un éternel insatisfait du monde… Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait faux. ! Mais revenons au Céline écrivain … Voilà un homme qui ne se gêne pas de penser qu’il est le plus grand écrivain de son temps et qu’il peut tout se permettre à ce titre. Aucune critique négative d’un de ses livres n’est autorisée à ses yeux ! Rien que de les passer sous silence, comme l’a fait Brasillach pour « le Voyage » est un crime ! Ce qui est très important c’est de savoir qu’il estime cela parce qu’il est le seul à ses yeux à écrire dans ce qu’il considère être la vraie langue française, à savoir le Parisien.

Ce n’est pas encore tellement le cas pour « le Voyage au bout de la nuit » ….

Non, mais cela le sera pour les livres qui suivront !…Céline va faire la découverte de l’argot parisien et ne cessera plus de s’en servir. Il devient aussi Montmartrois et, là, sa source d’inspiration sera infinie !… Avez-vous remarqué à quel point il adore les ragots ?… Dans ses correspondances, mais aussi dans ses livres, il n’en rate pas un dès qu’il peut le placer et peu importe qui il égratigne. Tout cela relève de la gouaille et du mental du petit monde à part que forment les habitants de Montmartre. Céline, contrairement aux idées de certains, travaille énormément pour écrire ses livres. Il est tout à fait faux de croire que ce langage lui vient instinctivement et que sa plume coule sans cesse sur les pages… Ses brouillons nous montrent à quel point il travaillait ses textes, ses mots, ses rythmes. Tout est donc pesé !

Au besoin il en inventait, des mots…

Tout à fait !… Comme « les taravions » pour « les avions » par exemple. Ce qui est extraordinaire aussi chez Céline ce sont ses emportements ! Ah, quand il est lancé !… On a l’impression que rien ne pourra l’arrêter !… Il y a comme un élan mécanique qui se met en route. Et il lui faut toujours rendre les choses plus extraordinaires qu’elles ne le sont ou l’ont été. Voyez l’arrestation du couple Céline en Suède !… A le lire, il serait monté jusque sur les toits pour tenter d’échapper aux policiers venus l’arrêter !… Or, j’ai été sur place, j’ai vu la maison et les toitures en pentes, et telles qu’elles le sont, elles rendent cet exercice totalement impossible pour un homme qui n’est pas du métier ou équilibriste !… Mais voilà, cela donne une allure d’épopée !… La vérité était tout autre : le couple Céline était tout simplement terrifié, car ils étaient convaincus que ceux qui frappaient à la porte n’étaient pas des policiers danois mais bien « les vengeurs » comme Céline appelait ceux qui relevaient du nouveau pouvoir en France. Le processus de narration est le même quand il décrit sa prison danoise… A l’en croire il était dans un sinistre trou à rats situé dans les sous-sols, au même niveau que les condamnés à mort. Or, cette prison n’avait pas de sous-sols et sa cellule était une des plus confortables. Il y avait chez Céline une volonté de se présenter comme le plus grand des martyrs !… C’est une des constances de son caractère.

Céline a-t-il vraiment collaboré ?…

Mettons une fois pour toutes les énormes qualités de l’écrivain de côté. Elles sont incontestables ! Quant à l’homme, c’est une autre affaire… Mais le juger n’est pas toujours évident non plus, car nous ne pouvons pas le sortir du contexte de son époque. Céline a en effet collaboré. Il connaissait bien l’Allemagne pour y avoir séjourné à plusieurs reprises. Il n’était en rien socialiste et le gouvernement de Léon Blum n’était pas pour le satisfaire. Après la défaite, rares étaient les Français prêts à entrer dans la résistance et la droite représentait un climat de pensée puissant. Céline a écrit plusieurs lettres dans des journaux de l’occupation et elles étaient tout à fait engagées. N’oublions pas que l’antisémitisme était un courant presque traditionnel dans le pays. Il s’était encore fortement développé avec l’afflux des derniers réfugiés juifs de l’avant guerre. En 36 Céline publie son second livre, « Mort à crédit », et celui-ci s’avère un échec total au niveau des ventes. Il en est véritablement ulcéré tellement les critiques lui sont contraires. Or, n’oublions pas son opinion quant à ses qualités d’écriture… Il enrage et voilà l’origine de ce que l’on a appelé « ses pamphlets » racistes et antisémites. Pendant les premières années de l’occupation il est tellement virulent dans ses attaques contre les juifs que même des officiers allemands en seront choqués. Cela ira jusqu’à le faire passer pour peu utilisable et peu fiable aux yeux de certains d’entre eux. Céline n’a, fort probablement, jamais dénoncé des juifs personnellement. Mais il est certain qu’il a beaucoup fait pour être proche de l’occupant et cela, notamment, pour obtenir du papier pour permettre à Denoël de tirer ses nouveaux livres. Vous savez, nous oublions tous que Paris, au début du siècle, avait une liste politique s’affichant comme totalement antisémite. Aristide Bruant a même été élu sur cette liste. La France était assez antisémite, il ne faut pas se le cacher ! Quant à son attitude vis à vis de l’occupant, il est vrai que Céline ne commencera à virer de bord qu’après la chute de Stalingrad. Là, il va commencer à prendre ses distances… Maintenant, une autre question est de savoir quels auraient été ceux d’entre eux qui auraient accepté le sort qui a été réservé aux Juifs !... N’oublions pas non plus que le mot « sémite », chez Céline, englobe beaucoup de choses et notamment aussi les noirs et les Chinois. Est-ce mieux pour autant ?… C’est un fait, mais qui oserait dire que le racisme était déjà banni de la société de l’époque ?…Pour moi, rien n’est aussi tranché ni aussi simple, sauf à posteriori. Vous savez, avec le recul, on peut aussi dire du bien de Pétain pendant la seconde guerre comme du mal du De Gaulle de Londres…

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