Airy Routier par Jules, le 16 mars 2001

Airy Routier est journaliste au Nouvel Observateur. Il a écrit " La République des loups " en 1989, qui a été couronné par le prix du Meilleur Livre financier et le prix de la Vie catholique.


Pourquoi avoir choisi de faire une interview du Président Omar Bongo ?
Tout d’abord parce que cet homme a, chez nous, une image très négative, et qu'il était intéressant de tenter de voir si elle était justifiée. Le Président Bongo est affublé de tous les complots, ainsi que d’une image de dictateur. ætre au pouvoir depuis 35 ans n’est vraiment pas courant dans une démocratie et, à l'écouter, son pays est une vraie démocratie. Il n’a pas fait de difficultés pour accepter l’interview, et n’a émis qu’une ou deux réserves. Il se fait aussi que le Gabon, et Omar Bongo en particulier, sont fortement liés à la France et à la francophonie. Cela veut dire que cet homme a bien connu – et connaît & les hommes politiques français et a rencontré la plupart des chefs d'.tats ayant régné depuis trente-cinq ans. Son expérience de l'Afrique est très grande, et il m’a semblé important de tenter d'avoir son avis sur l’évolution de son pays, mais aussi du continent africain.

Quand vos questions devenaient un peu trop directes, quand vous laissiez apparaître quelques doutes quant à la réalité de sa démocratie, il ne manquait pas de répondant !
C'est tout à fait exact ! Il faut avouer qu'il est flagrant que la presse est libre et que la vente des livres contre son régime l’est tout autant. J'ai écouté de nombreux débats télévisés et l'opposition ne se gênait vraiment pas pour l'attaquer de front. J’ai cependant émis quelques doutes quant à sa réélection en 1963 par 51% des voix. A quoi il m’a répondu que Poutine avait été élu avec un score pas plus brillant et, surtout, qu’il a obtenu 61% aux élections suivantes de 1998. En outre, il semblait bien que ces élections aient vraiment été libres. Cela confirmait donc, selon lui, la véracité de sa victoire de 1993.

Oui, mais il allait aussi jusqu’à se moquer un peu de la France. Non ?.
C’est vrai. Il n'a pas raté de me répondre que son pays n’était pas épinglé du tout dans le dernier rapport d’Amnesty International, alors que la France y était mentionnée sur plusieurs pages. Il n’a pas pu s'empêcher de se moquer de nous à propos de l'élection prochaine du maire de Paris mais, surtout, il a insisté sur le fait que c’était à Paris qu'il y avait eu de faux électeurs et pas à Libreville !.

Il fera de même quand vous lui parlerez de la corruption.
Oui. Il me dira que le Gabon ne figure pas dans la liste des pays corrompus, alors que la France y figure en vingtième place.

Manifestement, Omar Bongo aime beaucoup Jacques Chirac.
C’est parce qu'il considère que Chirac comprend bien l'Afrique et qu'il est un des derniers de nos politiciens dans ce genre. de Gaulle l’aimait aussi, ainsi que Pompidou, Giscard et Mitterrand. Par contre, il estime que Jospin ne donne pas à l'Afrique la position qu’elle mériterait.

Je comprends l'attirance de l’Afrique francophone pour de Gaulle. J’ai cependant été choqué par le coup qu'il leur a fait au moment de la révolte du Biafra…
Il est vrai que dans cette affaire, de Gaulle s’est servi d’eux pour les laisser tomber quand cela l'a arrangé. La révolte des Biafrais a été soutenue par de Gaulle parce qu’elle perturbait une ancienne colonie britannique, le Nigeria. Il réglait ses comptes par personnes interposées. Il est exact qu’il a poussé Omar Bongo et d’autres chefs d'.tats d'Afrique francophone à reconnaître le Biafra comme une entité indépendante dans l’espoir d'arriver à la scission du Nigeria. Il leur avait dit que la France allait peut-être les suivre, ce qu’elle n'a jamais fait ! Vous savez, la lutte entre la France et l'Angleterre en Afrique est toujours bien réelle !

Omar Bongo semble vraiment attaché à la France et à la francophonie, non ?
Tout à fait ! Il suit de très près tout ce qui se passe en France et a un très bon jugement sur la question. Alors que Mobutu le poussait à débaptiser ses villes, comme il le faisait lui-même, Omar Bongo s’y est refusé. Il considérait que cela aurait été une erreur. Pour lui, la colonisation est un fait historique, qui fait partie intégrante de l'histoire du Gabon, et que tenter de faire disparaître ce pan de leur histoire serait une erreur. Il estime que la décolonisation française a été nettement meilleure que les autres et ne voit donc pas de raisons pour l'attaquer.

Omar Bongo ne nie cependant pas que c’est son parti unique qui tient le pouvoir, il ne nie pas non plus qu'il intervient directement dans les nominations de fonctionnaires, ni qu'il distribue directement de l'argent quand cela lui semble nécessaire.
Omar Bongo maintient que son pays est démocratique, mais dit que cette démocratie ne peut pas être la même que celles d’Europe. Il est devant des réalités politiques tout à fait différentes. Le Gabon compte neuf ethnies et ne pas tenir compte de cela serait la pire des erreurs ! Son pays vit en paix depuis trente cinq ans. Cette paix fait que ses habitants ont le plus haut revenu d'Afrique francophone. Sans elle, l'économie ne pourrait pas tourner. Mais pour maintenir cette paix, il lui faut constamment maintenir un équilibre entre les factions. A défaut, la paix pourrait disparaître. Alors il fait les nominations nécessaires, même si cela n’amène pas toujours le plus compétent à un poste donné. Si, comme dans vos démocraties, les nominations devaient se faire suivant la représentativité démocratique, une ou plusieurs ethnies ne manqueraient pas de faire sentir leur domination. C'en serait fini de l'équilibre et probablement de la paix. Il reconnaît avoir touché de l’argent de Elf. Cependant il prétend qu'il redistribue la plupart de ce qu’il touche pour s'attacher les gens qu’il faut. Il insiste aussi sur le fait qu'en Afrique, cela fonctionne comme cela et que celui qui est au pouvoir doit distribuer…

Il est flagrant que le but principal de Bongo est de maintenir la paix dans son pays et il y parvient d’ailleurs très bien.
C’est exact et il est tout aussi exact que nos schémas ne sont bien souvent pas applicables dans ces régions. Il faut pouvoir en tenir compte. Je dois aussi reconnaître qu’Omar Bongo est un fin politique !

Omar Bongo se plaint de ce que les ministres africains soient reçus d'une façon différente des autres ministres.
C’est une des choses dont il se plaint et il n'a pas tout à fait tort. Il dit qu'un ministre africain est bien souvent reçu par un simple chef de Cabinet du ministère qui le concerne. Ce ministre, fréquemment bardé d'autant de diplômes prestigieux que son interlocuteur, subi un cours accompagné de reproches quant à la gestion de son pays. Ce comportement ne s’applique jamais à d’autres pays moins développés d'autres régions du monde. Ce complexe de supériorité constante leur est réservé. Cela énerve Omar Bongo, mais il n'est pas le seul dans ce cas !

En conclusion, il me semble qu'Omar Bongo vous a répondu avec beaucoup d'intelligence et qu’il n'a pas mal réussit du tout dans son pays. ætes-vous d’accord avec cela.
Tout à fait ! Il est exact que son pays connaît une certaine démocratie. Il est aussi exact qu’il a maintenu la paix, qu’il a fait de son pays un état plus riche que d'autres. Il n’a peut-être pas toujours été un ange, mais je crois que sa mauvaise réputation n'est peut-être pas aussi justifiée qu’on le prétend.


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