Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde de Thomas Lavachery, Thomas Gilbert (Dessin)

Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde de Thomas Lavachery, Thomas Gilbert (Dessin)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Aventures, policiers et thrillers

Critiqué par Poet75, le 19 mai 2025 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 69 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 553ème position).
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Enquête à Rapa Nui

Cette enquête de l’inspecteur Valverde donnera-t-elle lieu à une série d’albums ? C’est très souhaitable car on a affaire à une BD de qualité et à un personnage qu’on ne demande qu’à retrouver dans d’autres aventures. En guise d’introduction, Thomas Lavachery, l’auteur de cette histoire, en situe le décor et l’action. Nous sommes en 1933, sur l’île de Pâques, île isolée en plein Océan Pacifique, appartenant au Chili depuis 1888 bien que située à 3700 kilomètres de ses côtes. À cette époque-là, nous apprend l’auteur de la BD, c’est une compagnie anglaise qui loue une grande partie du territoire de l’île pour y pratiquer l’élevage de moutons. Les autochtones, eux, ont été parqués dans un enclos. En novembre 1933, cependant, Anthony Wilcox, l’un des deux administrateurs de la compagnie anglaise, a été retrouvé sauvagement assassiné, ce qui motive l’arrivée sur place de l’inspecteur Valverde, mandaté par le président chilien en personne.
Cet inspecteur Valverde est l’une des bonnes surprises de l’album tant il est atypique. L’homme est replet, grassouillet même, transporte dans ses bagages un flacon de laudanum (dont il se sert d’ailleurs au cours de son enquête d’une manière assez retorse), adore les chats (il se lie aussitôt avec l’un d’eux) et joue admirablement du violon (comme Sherlock Holmes) ! Lorsqu’il arrive sur l’île de Pâques, il est aussitôt confronté aux réalités de ce territoire : d’abord parce qu’il est rejoint sur l’eau par des Pascuans (les autochtones) portant des figures sculptées de démons grimaçants ; ensuite parce que celui qui l’attend sur le rivage, le gouverneur Valdès, ne tarde pas à exprimer son mépris pour les indigènes. De plus, selon le gouverneur, Valverde s’est déplacé pour rien, le coupable du crime, un autochtone du nom de Napoléon Riroroko, ayant été arrêté et ayant passé aux aveux.
Evidemment, comme on peut le présumer, Valverde n’entend pas se plier aux injonctions de Valdès. En vérité, plus tard, lorsque l’inspecteur visite le présumé coupable, il découvre un homme souffrant de troubles psychiques au point qu’il se prend pour un oiseau. Pour Valverde, l’enquête ne fait que commencer, une enquête qui l’amène à faire la connaissance de bien d’autres habitants de l’île : le docteur, selon qui le meurtre est lié à une vengeance ; Edmunds, l’autre administrateur de la compagnie anglaise, homme irascible et violent, et sa femme qui prétend que Wilcox était un homme bon, aimé de tous, au point qu’on l’avait surnommé « caballero bueno » ; le prêtre de l’île (qui, lors d’une célébration de funérailles, voue le défunt aux enfers parce qu’il avait renoué avec les coutumes païennes) ; Mrs Burnett, une archéologue avenante, amante du docteur, volontiers conseillère et guide de Valverde.
Mais il est d’autres habitants de l’île que l’inspecteur est amené à rencontrer, ceux qui sont exclus, méprisés par les colons au point d’être parqués dans un enclos, contraints de travailler pour la compagnie anglaise qui les exploite sans scrupules, les Pascuans et, parmi eux, ceux qui sont les exclus des exclus, les lépreux à qui ordre est donné de rester à l’écart de tous les autres. Or, et c’est un des points forts de cette histoire, c’est d’eux, de ces parias que surgit la vérité sur ce qui s’est passé, sur la raison pour laquelle Anthony Wilcox a été assassiné. La scène la plus forte, la plus bouleversante de l’album, survient quand, par un concours de circonstances, une nuit, alors qu’il pleut et que, du fait d’une chute, il s’est fait une entorse, Valverde est contraint de trouver refuge à la léproserie. Découvrant les visages rongés, les doigts et les membres amputés des malades, l’inspecteur non seulement ne recule pas mais, apprenant que les lépreux possèdent un violon, il se met à en jouer. Les lépreux, alors, se mettent à danser. Là où il n’y avait que misère et tristesse, Valverde introduit, pour un moment, de la joie et, quand il les quitte, alors que les lépreux lui demandent s’il a eu peur, il répond joyeusement que non, « un policier n’a peur de rien » !
L’enquête se poursuit, passionnante de bout en bout, et trouve une résolution qui n’a rien de banal, une résolution qui met à nu la personnalité réelle de celui qu’on surnommait « caballero bueno », une résolution qui n’est pas sans rapport avec les coutumes ancestrales des Pascuans, ce peuple méprisé par les colons.
Les qualités de l’album méritent bien des éloges. Thomas Gilbert, le dessinateur, a magnifiquement su tirer parti des décors et des paysages de l’île et pas seulement des « moaï », les fameuses statues géantes qui en ont fait la renommée. Quant à Thomas Lavachery, le scénariste, s’il nous apprend, en annexe, qu’il s’est inspiré de l’histoire de son grand-père, Henri Lavachery, qui séjourna à l’île de Pâques en 1934, il n’en reste pas moins qu’en créant le personnage de Valverde et bien d’autres personnages de l’album et en créant une intrigue, certes fondée sur des faits réels mais non moins originale et menée à perfection, il a fait œuvre d’un grand raconteur d’histoire.

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L'ombre gigantesque des moaï

9 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 30 août 2025

Novembre 1933. L’inspecteur Guillermo Valverde, mandaté par le gouvernement chilien, débarque sur l’île de Pâques afin d’enquêter sur un crime mystérieux. Le cadavre d’Anthony Willcox, un éleveur anglais, a été retrouvé au pied d’une falaise, totalement défiguré. Fait d’autant plus étrange, l’homme était, paraît-il, apprécié de tous les habitants de l’île, y compris des « indigènes » qui le surnommaient « Caballero Bueno ». Maintenu en détention, Napoléon Riroroko, principal suspect, s’identifie à un personnage de l’ancienne religion locale. Considéré comme fou, il représente le coupable idéal. Armé d’une détermination sans failles, Valverde va tenter de faire toute la lumière sur cette affaire…

Quelle belle trouvaille de la part des auteurs d’avoir conçu une enquête policière se déroulant sur l’île de Pâques, une petite île au bout du monde connue d’abord pour ses célèbres statues monumentales, les moaï ! Mais ici, ces vestiges de la civilisation autochtone n’apparaîtront qu’en toile de fond, spectateurs silencieux d’un crime sordide d’une violence inouïe.

La victime, un notable anglais résident sur l’île à la tête d’un élevage de chevaux, n’avait pourtant aucune raison d’avoir des ennemis. Selon les informations recueillies par l’inspecteur Valverde, Anthony Wilcox semblait être le gendre idéal, bien sous tous rapports et apprécié par l’ensemble des habitants, qu’ils soient pascuans ou chiliens. Alors qui pourrait être à l’origine du meurtre ?

Valverde va vite comprendre que l’accusé, d’origine « indigène », est innocent, même si son apparente folie et une certaine agressivité comportementale ne jouent guère en sa faveur… L’inspecteur va d’abord se heurter à l’hostilité du gouverneur, qui accepte mal cet « intrus » ami du président chilien missionné pour résoudre cette affaire…

Captivant et très bien ficelé, le scénario, dans sa tonalité hitchcockienne, joue sur la lenteur tout en maintenant le mystère jusqu’au dénouement, avec une galerie de personnages qui va défiler sous le regard patient et acéré de l’inspecteur Valverde… Des personnages pour la plupart très bien campés, à commencer par Valverde lui-même, un homme qui malgré sa morgue apparente de départ, va révéler ensuite des qualités contradictoires avec son statut, celui d’agent gouvernemental de la police précédé par une réputation d’enquêteur impitoyable avant qu’il ne débarque sur l’île…

Mais au-delà de l’intrigue policière, c’est une autre grille de lecture que nous proposent les auteurs : un condensé de l’histoire coloniale d’un pays, le Chili, héritage des conquistadors qui s’emparèrent d’un continent de la manière la plus brutale, tout comme l’île de Pâques — même si elle se trouve à 3500 km de la côte —, et consécutivement une dénonciation du traitement indigne infligés aux populations natives qui perdura jusqu’au XXe siècle.

Pour concevoir son scénario, Thomas Lavachery s’est inspiré du témoignage de son grand-père, qui avait séjourné sur l’île en 1934 lors d’une mission archéologique, comme il l’évoque en post-face. Celui-ci s’était dit hanté à jamais par le fait divers évoqué dans le livre (dont je ne peux rien dire au risque de gâcher la surprise du dénouement). C’est ainsi que l’on découvre une communauté autochtone sous la domination des colonisateurs. Les Pascuans (gentilé des habitants) sont exploités pour les tâches subalternes, relégués dans des habitations de fortune. Et lorsqu’ils sont contaminés par la lèpre qui à cette époque faisait des ravages dans les pays tropicaux, ils sont confinés et entassés dans une léproserie qui n’est rien d’autre qu’un taudis humide, tandis que les colons blancs jouissent du plus grand confort.

Les dialogues possèdent une belle qualité littéraire pour des personnages très incarnés. Il y a évidemment l’inspecteur, impressionnant par sa stature mais aussi par son extravagance et son érudition, mais tous celles et ceux qui vont graviter autour de lui durant son séjour sur l’île, les plus marquants étant la jeune et jolie archéologue Miss Burnett, au fort tempérament, et le docteur Giraldo, dandy un brin sarcastique et désabusé.

Thomas Gilbert a su leur donner un visage en phase avec leur personnalité, d’une expressivité éloquente. Son trait semi-réaliste et maîtrisé s’accorde bien avec la mise en page dynamique et un cadrage bien étudié. Les couleurs oscillent entre une certaine sombreur et une clarté désaturée pour les scènes extérieures, imprimant une ambiance un peu inquiétante et en phase avec le propos doux-amer de ce polar sociologique. Du beau travail !

Le duo Lavachery-Gilbert semble avoir bénéficié d’une bonne alchimie, ce qui se ressent à la lecture de « Caballero Bueno ». Les deux auteurs ont d’ailleurs déjà collaboré pendant plusieurs années sur la série jeunesse « Bjorn le Morphir », dans le registre de l’heroic fantasy. L’univers de Thomas Gilbert est quant à lui assez unique, et chacune de ses publications ne manque jamais de susciter la curiosité. Indéniablement, ce dernier opus est une totale réussite.

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