Anaïs Nin : Sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff

Anaïs Nin : Sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers , Littérature => Divers

Critiqué par Shelton, le 30 août 2020 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 67 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 083ème position).
Visites : 2 642 

Grandissime, époustouflant et talentueux !!!

Un beau jour je me suis retrouvé avec en mains un album de bande dessinée de très grande qualité, « Anaïs Nin, sur la mer des mensonges » de Léonie Bischoff (éditions Casterman). D’ailleurs, certains parleraient plutôt de roman graphique tandis que d’autres d’une version artistique et graphique d’extraits du journal intime d’Anaïs Nin… Moi, je vais parler de bande dessinée c'est-à-dire d’un ouvrage qui me fait rentrer dans la tête d’Anaïs Nin par le texte et le dessin, que dis-je, par le dessin admirable de Léonie Bischoff qui s’appuie grandement sur le texte d’Anaïs Nin. D’ailleurs, l’ouvrage est écrit à la première personne, nous sommes Anaïs et l’ouvrage est parfaitement construit pour que l’on puisse tout saisir même si on ne connait absolument pas Anaïs Nin…

Justement, je ne connaissais que très peu Anaïs Nin, certes j’avais bien croisé cette diariste lors de mes études mais sans jamais dépasser quelques extraits qui parlaient d’Henri Miller ou Antonin Artaud. Je n’ai jamais lu, du moins jusqu’à aujourd’hui, ni son journal ni ses romans érotiques. Pourtant, je me suis laissé embarquer par la narration graphique de Léonie Bischoff, fasciner par la personnalité de l’autrice Nin, secouer par les personnages rencontrés comme Hugo, June, Henry, Otto… Du coup, une première impression forte, on a bien là une grande bande dessinée !

Puis, page après page, on entre dans le processus choisi par Léonie de nous faire toucher l’ambigüité d’Anaïs, son jeu avec le mensonge, l’écriture, la création, le génie, l’amour, la fidélité, la bienveillance vis-à-vis des autres… On finit par la comprendre, la justifier, l’excuser, l’accompagner, l’envier, l’admirer mais aussi la considérer comme « autre », certains diraient simplement « folle »… Oui, Anaïs Nin fut bien un personnage atypique, surprenant, terrible, fascinant… Elle fut femme, autrice, psychologue, psychanalyste, amante, mère de ses amants (c’est elle qui le dit)… Elle ne laisse jamais indifférente !

Le génie (j’utilise bien ce mot) de Léonie Bischoff fut d’avoir senti que Nin n’avait pas qu’une seule voix et de rendre graphiquement un texte qui mêle du factuel, du journal intime accessible à tous et du journal intime « vrai et brut »… Au départ, cela surprend, puis on comprend les codes graphiques et on se laisse manipuler par Anaïs Nin (et Léonie Bischoff, bien sûr) sans même faire d’effort…

Je ne sais pas si cet ouvrage, ce livre, cette bande dessinée, ce roman graphique, marquera l’année 2020 comme l’espère son éditeur mais cela est de toute évidence pour moi une des grosses surprises de la rentrée BD 2020. Oui, cette lecture est une grosse claque graphique et humaine, un choc profond… D’ailleurs, je vais immédiatement relire un Henry Miller, chercher un des tomes du journal intime d’Anaïs Nin et peut-être même chercher un livre comme celui d’Elisabeth Barillé (Anaïs Nin, masquée, si nue) car j’ai envie d’en savoir plus, beaucoup plus, sur cette femme de lettres atypique !

Alors, vous allez me dire que tout va bien puisque l’été c’est fait pour lire ! Mais avant de vous laisser à vos lectures, je voulais juste donner deux citations d’Anaïs Nin, histoire de vous faire toucher la personnalité…

« Je vis même doublement, triplement, car, quand j’écris et réécris, je vis plus intensément encore. Du journal à la fiction, de la fiction au journal, l’écriture est ce qui me permet de vivre. »

« Ma morale n’existe que lorsque je suis confrontée à la peine de quelqu’un d’autre. »

« Je ne serai jamais parfaite. Je ne serai jamais une seule femme, ou l’amante d’un seul homme. Je vais vivre ces multiples vies, explorer les milles facettes de mon être, et vivre avec passion, de toutes mes forces. Pour la beauté. Pour l’amour. Pour la création. »

Alors, maintenant, je peux vous souhaiter bonne lecture à tous et n’hésitez surtout pas à ouvrir cet album…

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Quand la sirène se fait reine

8 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 13 décembre 2020

Dans cette première moitié d’un XXe siècle encore très patriarcal mais où la voix des féministes commençait à se faire entendre, Anaïs Nin, sans être pour autant militante, revendiquait pour sa part sa volonté d’écrire « comme une femme ». Jeune autrice suisse de bande dessinée, Léonie Bischoff a au moins ceci en commun avec l’écrivaine dans sa façon de dessiner, qui recèle une volupté et une douceur toute féminine, ne serait-ce que par le choix graphique de ne pas encrer son travail, élaboré entièrement aux crayons de couleur. L’un deux, multicolore, a été utilisé pour les contours, ce qui produit un résultat assez original. Oscillant entre un minimalisme sobre et une exubérance colorée, avec quelques beaux passages plein de poésie, le trait dégage une vraie sensualité lorsqu’il en vient à illustrer le plaisir féminin.

C’est ainsi que Léonie Bischoff va évoquer le parcours riche et romanesque de cette apatride qui « a grandi entre deux continents, trois langues, et peinait à trouver sa place dans une société qui reléguait les femmes aux seconds rôles ». Femme de dilemme, coincée entre son rôle d’épouse aimante et son désir d’émancipation, Anaïs Nin fut conduite à « inventer » sa vie à travers son journal intime, n’hésitant pas à l’enjoliver, la comparant à une œuvre d’art que sa propre « magie » lui permettait de sculpter. Celle qui trompait son mari Hugo tout en confessant qu’elle avait besoin d’aimer Henry (Miller) pour mieux l’aimer — car elle était profondément attachée à ce mari qu’elle définissait comme étant « parfait » — était une hédoniste bisexuelle dont le besoin de séduire était irrépressible. Très jolie femme, elle n’y voyait pas à mal, disait-elle, mais préférait le mensonge pour éviter de faire souffrir Hugo. Pour cette introvertie dont la quête d’absolu restait contenue, l’acte d’amour requérait l’union des esprits comme des corps.

Au final, cette vie, quand bien même elle n’est que rêvée, nous charme, mise en relief par un dessin élégant qui nous plonge dans une époque (les années folles) qui n’était en fait qu’une parenthèse enchantée entre les deux terribles guerres du XXe siècle qui plombèrent l’Europe. A travers la biographie de cette femme libre et transgressive, Léonie Bischoff nous livre un récit original et intemporel où le désir féminin est réhabilité, tout en évoquant des thèmes aussi sensibles que l’inceste et l’avortement avec la subtilité que permet son trait imagé.

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