La machine à influencer : Une histoire des médias de Brooke Gladstone (Scénario), Josh Neufeld (Dessin)

La machine à influencer : Une histoire des médias de Brooke Gladstone (Scénario), Josh Neufeld (Dessin)
(The influencing machine)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 17 juillet 2016 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 3 287 

Welcome to the machine

A l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, la prédominance des journaux traditionnels (imprimés ou télévisés) semble de plus en plus menacée, de même que s’accroît une certaine défiance vis-à-vis de ces derniers de la part d’une partie croissante du lectorat et des auditeurs, persuadés d’être manipulés, sans parler des thèses complotistes qui font florès. Alors, qui influence qui, qui tire les ficelles ? Fantasme ou réalité ? Brooke Gladstone démonte pour nous les rouages de cette prétendue « machine à influencer » pour tenter de connaître l’origine de ses composants…

A la simple lecture du titre, on pourrait s’attendre à un démontage en règle du système médiatique. Rien de tout cela, et ceux qui aiment à conspuer le quatrième pouvoir et les « journalistes à la solde des puissants » en seront pour leurs frais. Journaliste de profession, Brooke Gladstone a pour le coup effectué ici un vrai travail de journaliste, se bornant à produire une analyse fouillée à partir de faits concrets. Et pour que les choses soient bien claires, elle envoie d’emblée les complotistes de tous poils dans les cordes en cassant le mythe, affirmant que les journalistes des médias grand public ne sont pas des conspirateurs, mais, et « c’est déjà moins drôle, des lâches. » Selon elle, « les médias n’ont pas peur du gouvernement. Ils ont peur de leur public et de leurs annonceurs. Les médias ne vous contrôlent pas. Ils se plient à vos envies. »

En introduction, l’auteur revient sur cette fameuse « machine à influencer » en rappelant qu’avec l’ère industrielle est né ce fantasme récurrent selon lequel nos esprits seraient contrôlés par des machines. Rien à voir ici avec les médias, Brooke Gladstone se contente de souligner la paranoïa naturelle de l’être humain.

Elle retrace ensuite l’histoire de ces médias depuis l’Antiquité à nos jours, expliquant que l’information est née avec l’invention de l’écriture et le besoin des puissants de communiquer avec le peuple via leurs scribes, puis s’est muée en propagande dès que certains empereurs romains comprirent l’intérêt d’une actualité manipulée, ne serait-ce que pour cimenter un empire aux régions éparpillées. Puis au XVIIe siècle fut inventée l’imprimerie qui facilita la diffusion de l’information et des premiers journaux, suscitant parallèlement la méfiance des puissants qui n’hésitaient pas à fermer les imprimeries. C’est ainsi que naquit en Angleterre le concept de liberté de la presse et d’expression, repris un siècle et demi plus tard dans le Premier Amendement de la Constitution américaine…

De nos jours, avec Internet, l’information est passée à un stade supérieur, évoluant de façon radicale par rapport à tout ce qui s’est fait auparavant. Aujourd’hui, tout citoyen disposant d’un ordinateur est capable à son tour de communiquer à des milliers de personnes sur tout le globe. Ce faisant, il devient à son tour une sorte de journaliste, communiquant, transférant et disséminant l’information, la contestant ou l’approuvant, susceptible d’influencer autrui autant que d’être influencé lui-même. Car c’est bien à une telle question que nous sommes amenés à nous poser par cette lecture. En effet, au final, qui influence qui, qui manipule qui ? Si nous disposons grâce à la technologie actuelle de tant de pouvoir, alors dans ce cas nous avons médias que nous méritons, comme l’affirme hardiment Gladstone en conclusion. Autrement dit, si nous déplorons la qualité de l’information dans notre pays, peut-être ne devons-nous nous en prendre à nous-mêmes.

Quant à l’avenir, que nous réserve-t-il ? Nos cerveaux seront-ils truffés de nano-implants nous transformant en êtres hybrides dans un monde où réel et virtuel ne feront plus qu’un ? Des perspectives inquiétantes pour l’homme d’aujourd’hui redoutant la perte des aspects vitaux de notre humanité. Ce à quoi répond l’inventeur visionnaire Ray Kurzweil : « Pour moi, l’essence de notre humanité ne réside pas dans nos limites. C’est notre capacité à dépasser nos limites… »

Pour renforcer le poids des propos de l’ouvrage, l’auteure s’est adjoint les services et le talent de Josh Neufeld, qui semble avoir parfaitement potassé son petit McCloud illustré. Son trait schématique sait servir le contenu efficacement, sans ostentation. Et il fallait bien ça pour donner une tournure ludique à un ouvrage, très dense textuellement parlant, qui sinon aurait pu en décourager plus d’un. Cela aurait été bien dommage, tant cet essai est passionnant non seulement parce qu’il est richement documenté mais parce qu’il soulève beaucoup de questions, sans pour autant essayer d’orienter le lecteur. Et à tous les pessimistes, Brooke Gladstone rappelle que de tous temps, chaque découverte technologique a suscité peur et méfiance, et conclut que « c’est aux hommes de décider si leurs machines font plus de mal que de bien. ». En somme, nous dit-elle, nos vrais ennemis sont nous-mêmes, lorsque nous laissons libre cours à « ces pulsions neuronales animant nos cerveaux reptiliens », des cerveaux avides de sensationnalisme.

Une lecture enthousiasmante et enrichissante qui tente à sa manière d’éclairer notre époque déboussolée avec une certaine objectivité teintée d’un optimisme bienvenu.

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