Le film noir : Histoire et significations d'un genre populaire subversif de Jean-Pierre Esquenazi

Le film noir : Histoire et significations d'un genre populaire subversif de Jean-Pierre Esquenazi

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Cinéma, TV

Critiqué par AmauryWatremez, le 11 décembre 2015 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans)
La note : 9 étoiles
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L'autre côté du rêve

Cet ouvrage a pour handicap -léger malgré tout cependant on le verra- d'être un travail universitaire type, un peu aride par certains côtés, ne serait-ce que par son plan archétypal : état de la littérature, exposé de la problématique, étude des sources etc. De plus, comme de nombreux travaux d'études, on se demande pourquoi l'auteur se croit obligé d'adopter un style littéraire parfois abrupt. Je me suis sans cesse posé la question sans y trouver aucune réponse de cette obligation absurde que les thésards se donnent, à de rares exceptions, de surtout écrire le plus mal possible, comme si d'avoir quelque talent littéraire diminuait leurs mérites.

Après son fastidieux passage en revue des ouvrages écrits sur le genre, oubliant au passage ceux pourtant fondamentaux de Lotte Eisner ou Noël Simsolo, s'attardant un peu trop sur « le panorama du film noir » de Borde et Chaumeton qu'il pare de tous les maux un peu injustement à mon sens. L'auteur entre enfin ensuite dans le vif du sujet. Et c'est là que ce livre prend sa véritable dimension et tout son intérêt.

Jean-Pierre Esquenazi esquisse le contexte de la naissance du genre « noir », la Seconde Guerre Mondiale. Il montre le côté lumineux de la médaille, victorieux, glorieux, les films de guerre enthousiastes montrant des combattants positifs afin de motiver l'ardeur de la Natione. Alors que les films noirs décrivant les hommes à la dérive pendant une période troublée, ne sachant plus qui ils sont vraiment, quel doit être leur rôle, les femmes désirant en profiter pour s'émanciper quitte à bousculer la morale commune même vêtues d'un blanc virginal à l'image de Lana Turner dans « Le Facteur sonne toujours deux fois ».

Il fait le portrait des acteurs inattendus d'une création qui fût aussi considéré par Hollywood du moins au tout début comme un accident industriel raison pour laquelle on laissa des femmes comme Joan Harrison ou Virginia Von Upp produire des longs métrages comme « Double Indemnity » avec Barbara Stanwyck à contre-emploi ou « Gilda » faisant de Rita Hayworth une star car contre toute attente ces semi séries B tournées à l'économie devinrent des succès publics.

Son esthétique est engendrée par les restrictions pesant sur l'industrie du cinéma et aussi par des transgressions avec les habitudes des grands studios instillées par des réalisateurs et scénaristes ayant fui l'Europe et les totalitarismes. Ces transgressions sont tout à fait comprises mais largement tolérées car les éclairages expressionnistes, les jeux de brouillard permettent une économie de décors et d'éclairage. Ces créateurs sont souvent des cyniques aux yeux des censeurs ou des producteurs, des mauvais esprits, tel Billy Wilder, des emmerdeurs comme Otto Preminger et son goût pour les travellings très lents, majestueux, et très chers surtout, des types sans illusion sur la nature humaine comme Fritz Lang. « City Heat » de ce dernier avec Glenn Ford et Gloria Grahame est un modèle presque parfait du genre.

Les « films noirs » s'inspirent particulièrement des romans dits « hard-boiled » dont ceux de Dashiell Hammett ou Chandler dont les personnages masculins faisaient souvent preuve d'une homosexualité latente à peine dissimulée par ces auteurs, en particulier Sam Spade. C'est paradoxalement ce qui crée sans doute cette tension sexuelle entre les « privés » du « noir » et les femmes. Ils s'inspirent aussi de James Cain, auteur mis à l'index avant la guerre par les hérauts de la « PCA » et autres ligues de décence suggérant que le « Code Hays » était encore trop laxiste avec l'immoralité selon eux insupportable du cinéma.

Les femmes y sont le plus souvent fatales et vouées à l'abîme, telle Marilyn dans « Niagara », à des rares exceptions, comme Lauren Bacall dans « le Grand Sommeil » ou Ingrid Bergman dans « Casablanca » mis en boîte par un Michael Curtiz peu concerné, ce qui est ironique quand on sait que c'est son film le plus connu. Les « films noirs » se terminent généralement par une fin à peu près morale châtiant le méchant de manière exemplaire, une fin qui est souvent comme « à regrets ».

Ce genre a retrouvé une certaine jeunesse et du dynamisme lorsque des cinéastes issus du documentaire ou du « cinéma vérité » comme Friedkin, Don Siegel ou Sydney Pollack dans les années 70 lui ont redonné de l'énergie. Il jette encore quelques feux avec des pépites comme « Sea of Love » avec Ellen Barkin,ses jambes interminables et son sourire de traviole ou « Little Odessa ». Il souffre d'être devenu beaucoup trop référentiel, et celui des années 2000 reste finalement à réinventer car notre époque troublée a besoin d'explorateurs de ses marges.

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Les éditions

  • Le film noir : Histoire et significations d'un genre populaire subversif
    de Esquenazi, Jean-Pierre
    CNRS
    ISBN : 9782271088260 ; 10,00 € ; 15/10/2015 ; 438 p. ; Broché
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