Et nous irons tous en enfer de Fernando Vallejo

Et nous irons tous en enfer de Fernando Vallejo
(El desbarrancadero)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Cyclo, le 8 novembre 2015 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 8 étoiles
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La haine de la mère

Comme tous les romans de Fernando Vallejo traduits en français, nous nous trouvons dans une sorte de récit autobiographie complètement déjanté où le narrateur et l'auteur semblent se confondre.
Ici, le narrateur s'en prend à la famille, à SA famille, où le père n'était que la servante de sa mère, démon reproducteur (vingt-cinq enfants), autoritaire et castratrice, qu'il surnomme "la folle". Aussi, devenu adulte, fuit-il à l'étranger, au Mexique. Mais il revient pour l'agonie de son père (le seul membre de la famille qui était humain), puis pour celle de son frère Darío, homosexuel comme lui, et qui est en phase terminale du SIDA. C'est l'occasion pour l'auteur de se livrer à une description apocalyptique, dévastatrice, de la Colombie et de la folie collective qui y règne. Parce qu'il n'y a pas que la mère qui soit folle.
La langue est outrancière, dans le baroquisme cher aux romanciers sud-américains. Donc ici, pas de fil conducteur rectiligne, on saute aisément du coq à l'âne, il n'y a ni début véritable, ni fin à proprement parler. Le lecteur doit se laisser emporter par le flot tempétueux des paroles du narrateur qui passe d'un événement à l'autre, d'une sensation actuelle à un souvenir.
Le narrateur retrouve dans la maison familiale le "petit enfer que la Folle a amoureusement construit de ses mains, peu à peu, jour après jour, en une cinquantaine d'années". Cette haine de la mère s'est élargie à celle de toutes les institutions (particulièrement l'église et le pape, mais aussi la médecine et les politiciens). Tandis que la mère, la "pondeuse", se contrebalance de ce que devient Darío. Et surtout le narrateur dialogue avec la mort, avec qui il a une relation privilégiée depuis longtemps.
Le narrateur va donc essayer de réconforter et de soigner Darío, épuisé par des diarrhées permanentes, et qui n'a plus d'appétit, qui fume de la marijuana et prend du crack. Il renoue avec ce petit frère, son alter ego, couché dans le hamac suspendu dans le jardin, il essaie d'abord de le raisonner : "il faut choisir ce qu'on veut être, dans la vie : fumeur d'herbe, de crack, ivrogne, pédé ou autre chose, mais pas tout à la fois. On ne peut pas. Le corps ne le tolère pas, ni la société indulgente. Alors, décide-toi une bonne fois et tiens-t-en là." 
L'ensemble du livre est une sorte de révolte, pas seulement contre la mort, mais aussi bien contre la vie et encore plus contre les vivants, en particulier contre les pondeuses, ces femmes qui ne cessent de reproduire à l'infini des enfants à foison : "En tout enfant il y a en puissance un homme, un être nuisible. L'homme naît mauvais et la société l'empire. Par amour de la nature et souci de préservation de l'équilibre écologique, pour sauver les vastes mers, il faut en finir avec ce fléau".
Le narrateur ne va-t-il pas jusqu'à dire à plusieurs reprises qu'il est déjà mort, lui aussi ? "La Colombie est un pays chanceux. Elle a un écrivain unique. Un mort qui écrit." Cette mort que le narrateur ne redoute pas, car la vie en Colombie est si semblable à la mort, et quelle drôle d'idée de vouloir s'y accrocher : "Mourir n'est pas si grave, ma petite ! Ce qui est grave, c'est d'être encore là. Cette manie qu'ont les mortels de s'agripper à la vie du bec et de l'ongle, en contradiction avec notre essence profonde, est d'une mesquinerie !" Seule la volonté permet encore de survivre : "La volonté est comme le droit, elle ne s'exerce que par la force, c'est de là que vient l'expression « force de volonté » ; mais encore faut-il, pour qu'une telle chose existe, qu'elle ait été cultivée dès l'âge tendre. Sinon on se laisse entraîner sur la mauvaise pente, et on finit au fond du gouffre."
Avec ce roman, j'achève la lecture des livres traduits en français de Fernando Vallejo. Sans atteindre la brillance de "La vierge des tueurs", ni le mystère du "Feu secret", ça reste un bon roman latino-américain, qui mérite le détour. Mieux vaut cependant pour commencer avec cet auteur, lire ses autres livres d'abord.
"El desbarrancadero" a reçu en 2003 le Prix Rómulo Gallegos (du nom du célèbre romancier et homme politique du Venezuela), un des grands prix littéraires sud-américains, qu'avait déjà obtenu plus de trente ans auparavant son illustre compatriote Gabriel Garcia Márquez pour "Cent ans de solitude".

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