Les Centurions de Jean Lartéguy

Les Centurions de Jean Lartéguy

Catégorie(s) : Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Hexagone, le 20 mars 2011 (Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 336ème position).
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Chef d'oeuvre

C'est un fait d'actualité et une dépêche lus d'un oeil, qui m'ont fait m'intéresser aux centurions de Jean Lartéguy.
La première est le décès voici peu de cet homme illustre.
Illustre par ses parcours de combattant et d'écrivain.
La seconde est que son livre " Les centurions " soit le livre de chevet de certains généraux américains impliqués dans la guerre Afghane.
Deux raisons bien valables.
La première question qui me soit venue à l'esprit est pour quelle raison des généraux américains s'intéressent-ils à un livre écrit voici il y a cinquante ans par un écrivain français.
Renseignements pris me voila plongé en quête du livre qui... n'est plus disponible.
Petit aparté pour rendre hommage à internet et à ses nombreux sites de vente d'occasion qui font la joie des lecteurs désappointés par le manque de réaction et d'initiative de l'édition française.
Comment se fait-il qu'un livre placé sur un tel piédestal ne soit pas réédité ? Cherchez l'erreur !
Allez, continuons notre chronique.
Prise en main du livre, vieux, usagé, racorni et odoriférant. Il a vécu, il a roulé sa bosse. Malmené, trituré mais toujours présent et plus riche encore de ses expériences.
Comme les centurions qui sont la charpente de ce chef d'oeuvre.
N'ayons pas peur des mots, c'en est un.
De la jungle asiatique après la défaite de Dien Ben Phu, aux cinglantes rafales de la mousson, la vie s'organise dans ce camp de prisonniers. Ils vont y passer 4 ou 5 ans.
Ils vont assimiler ce qui fait la doctrine des vietminh, un communisme triomphant qui va modeler le monde et fomenter d'autres batailles, d'autres systèmes ponctués de meurtres, d'amour et de camaraderie.
Il y a là Raspéguy, Boisfeuras, Merle, Esclavier etc...
Cette poignée d'officiers français meurtris par cette défaite indochinoise vont rentrer en France.
La vie est bien différente ici. Les français n'ont pas vécu ce conflit éloigné, certains ne comprennent rien, d'autres jugent. En tout cas c'est suffisamment de sarcasmes pour rendre amer ce retour au pays.
Ces hommes ont été chamboulés par les pluies de mortier, par la mort cruelle et soudaine des copains, parfois par l'amour et souvent par le charme de l'Asie.
Comment reprendre le fil d'une vie de famille, entouré de femme et enfants, comment satisfaire une maîtresse qui n'a pas les charmes des asiatiques ?
On peut brûler la vie par les deux bouts, se satisfaire d'une médaille plantée au revers d'un veston, mais cela remplit-il la vie d'un homme ?
Mal à l'aise, déconvenus, nos centurions rongent leurs freins dans cette société qui ne leur correspond plus.
Et puis il y ce fantôme qui avance sur le monde : le communisme.
Et ce sont les premiers événements en Algérie.
On a besoin d'hommes aguerris, expérimentés, qui tiennent la route.
Nos officiers rempilent pour le X ème Régiment de Parachutistes Coloniaux.
Le Maghreb va les happer, mais rien ici ne ressemble à l'Asie. Le paysage, les moeurs, le climat. Il n'y a qu'une chose semblable, la guerre.
Les bombes, les terroristes, les colons, le Djebel et Alger la blanche.
C'est une autre guerre ici, même si les motifs rejoignent ceux des Indochinois.
C'est plus charnel, plus passionnel, plus politique.
Jean Lartéguy a fait un grand roman de " Les centurions", décomposé en trois parties, il donne vie à ce groupe d'hommes qui ne sont pas que des officiers parachutistes.
Il a mis beaucoup de choses dans ce livre.
L'héroïsme, la défaite, l'amour, l'ambivalence des hommes face à leurs destins, leurs interrogations face au destin du monde.
Il met à l'honneur l'aristocratie guerrière de ces hommes d'honneur.
Il ne s'agit en aucun cas d'un livre de militaire revanchard. Jean Lartéguy me fait penser à ces reporters de guerre, baroudeurs au coeur du conflit et rendant compte dans un style académique de la réalité d'un conflit et du basculement du monde.
C'est superbe, un grand livre.

Extraits :

"- Qu'est c'est ça " les contradictions internes du capitalisme " ?
- Ne plus oser faire la guerre qu'il faut pour se défendre. Ne pas se transformer, se renouveler pour porter la guerre chez l'adversaire, s'enfermer dans des citadelles confortables, ne pas se battre la nuit, employer des mercenaires- nous par exemple- au lieu de jeter dans la mêlée tous ceux qui ont intérêt à ce que ce système capitaliste survive, remplacer par la foi de l'argent et la technique, oublier que le peuple est le réservoir de toutes les énergies; le pourrir par le confort au lieu de la rassembler maigre et nerveux autour de quelques raisons valables...
- Le peuple aime aussi le confort. Il découvre en Europe le frigidaire et la télévision. Les Arabes aussi prendront goût au confort, et les Hindous et les Chinois et les Patagous. Quand je serai de retour en France, je me plongerai avec frénésie dans tout ce confort. Je ne boirai que glacé et ne ne coucherai qu'avec des petites filles bien aseptiques, qui se lavent le derrière avec des eaux parfumées.
- La civilisation du frigidaire et du bidet, ricana Esclavier ".

***
Le communisme serait difficile à instaurer complètement tant qu'il y aurait des hommes et des femmes, avec leurs instincts et leurs passions, leur beauté et leur jeunesse. Jadis les chinois broyaient lentement les pieds de leurs femmes pour les rendre plus petits ; c'était une mode ; cela devait avoir un sens religieux ou érotique. Maintenant au nom du communisme, on broyait l'homme tout entier, on contrariait, on brisait sa nature.

***
Les hommes l'entraînèrent à l'auberge.
Escotéguy, qui avait passé avec lui le conseil de révision, lui demanda pendant qu'on servait le vin :
- Alors, Pierre. Raconte ! Comment c'était là-bas ?
Comment c'était là bas ! Leur expliquer tout ça, à eux qui étaient à peine sortis de leur vallée ; leur expliquer les Chinois et les Vietminh, les grandes herbes à éléphants de la Haute-Région et les rizières des deltas, la boue et la poussière, le combat , la souffrance, la mort, et ce que lui et les siens cherchaient derrière cette mort !
- C'était pas beau, répondit-il, de sa voix râpeuse, mais ça vous prenait aux tripes.

***
Il n'y a plus de chance dans le monde, plus rien que de l'économie, et des statistiques, une économie artificielle et des statistiques fausses, ce qui condamne Raspéguy et tous ceux qui lui ressemblent. J'en suis fort aise ; j'arrive à l'âge des statistiques.

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Héros de toutes les défaites

6 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans) - 15 août 2020

Après la défaite de Dien Bien Phu en Indochine, les officiers français sont envoyés se faire rééduquer au Camps n°1 situé au coeur de la jungle; une marche épuisante pour ces hommes qui vont connaître la rigueur du Viet Minh et ne sortiront pas indemne de cette expérience traumatisante.
Une fraternité d'armes naîtra de cette expérience et quand Raspéguy se voit confier le commandement du 10e Régiment Parachutistes Coloniaux, amalgames d'anciens de la campagne d'Indochine et de rappelés communistes, il choisit ses anciens condisciples de captivité pour le seconder. Esclavier, Boisfeuras, Merle, de Glatigny formeront l'état-major de ce régiment d'élite.
Si les deux premières parties de ce roman écrit par le journaliste Jean Lartéguy, lui même un héros de la Seconde Guerre Mondiale et de la Guerre de Corée ne m'ont pas vraiment plu, la dernière partie, elle, qui voit le nouveau régiment engagé en Algérie, est intéressante à plus d'un titre: elle montre les techniques de guérilla d'un FLN n'hésitant pas à terroriser la population civile pour atteindre un but politique, les dissensions au sein du camp français dans la lutte contre ces terroristes et la réticence des paras à s'engager à fond dans cette 'sale guerre' faite d'opérations de police pour laquelle ils n'étaient pas préparés.
Un bon livre qui pèche dans la seconde partie notamment par des longueurs et des prises de positions assez étranges de la part d'un écrivain que je pensais engagé plus à fond dans la préservation de la mémoire de ses anciens frères d'armes.

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