Archives de la vie littéraire sous l'occupation : A travers le désastre de Olivier Corpet (Co-auteur), Claire Paulhan (Co-auteur), Robert Owen Paxton (Co-auteur)

Archives de la vie littéraire sous l'occupation : A travers le désastre de Olivier Corpet (Co-auteur), Claire Paulhan (Co-auteur), Robert Owen Paxton (Co-auteur)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Jlc, le 27 juillet 2009 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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La responsabilité des mots

Ce catalogue d’une remarquable exposition présentée l’an dernier au mémorial de Caen et récemment à la bibliothèque publique de New York est aussi un livre à part entière, très bien fait, parfaitement documenté. L’historien Robert O.Paxton en fin connaisseur de la seconde guerre mondiale en a présidé la réalisation et a voulu faire oeuvre didactique pour mieux nous faire comprendre cette époque en la regardant non pas avec les yeux de ceux qui savent la suite de l’histoire mais avec les yeux de ceux que le désastre de juin 40 a plongé dans un profond désarroi et qui ne savaient pas ce qui allait advenir.

« Il y a trois objectifs non militaires à contrôler en priorité : le communisme, la haute banque et la NRF » déclara en 1940 Otto Abetz nouvel ambassadeur d’Allemagne à Paris. Ainsi s’exprime la volonté de l’occupant de mettre immédiatement au pas l’intelligentsia française.

Quelques dilemmes majeurs se posent aux écrivains dès l’été 40 : faut-il publier et faire ainsi le jeu de l’occupant ou non et laisser alors toute la parole aux pronazi et pro Vichy ? Les réponses furent très diverses, de Jean Guéhenno ou René Char qui ne publieront plus rien à Aragon, Camus ou Sartre qui prirent le parti de continuer. Faut-il résister, seul ou en réseau, avec les conséquences dramatiques qui peuvent s’en suivre, ou non ? Et si oui, avec les armes comme Malraux ou les mots ? « Un seul mot peut tuer mais un mot peut aussi sauver. » Les écrivains vont mettre du temps à comprendre les enjeux de l’occupation dont ils peuvent être les otages ou les porte-parole. De plus la situation n’est pas aussi manichéenne qu’on l’imagine aujourd’hui car « les frontières idéologiques peuvent aisément s’estomper sous l’effet d’autres attachements et d’autres loyautés » et ce livre en illustre de nombreux exemples. Jean Paulhan, directeur de la NRF qui fut un des premiers résistants, resta en contact avec de vieux amis pro Vichy pour mieux défendre sa revue et Drieu La Rochelle qui lui succédera avec l’approbation des Allemands le fera libérer quand il sera arrêté en 1942. Un mot peut sauver ! Claudel a certes écrit, fin 40, de bien respectueuses « Paroles au Maréchal » mais il sera un des rares à dire, fin 41, au grand rabbin « le dégoût, l’horreur et l’indignation » que lui inspire le traitement des Juifs. Mots forts, mots responsables!
Ce livre aide à retracer « les chemins complexes suivis par les écrivains français ». Rares furent ceux qui rejoignent la Résistance dès 1940/41. Beaucoup y viendront au fur et à mesure des évènements et les plus attentistes après Stalingrad. De l’autre côté il faut bien distinguer ceux qui sont ouvertement fascistes et qui feront le voyage de Weimar à l’invitation de Goebbels de ceux qui soutiennent Pétain pour ses idées conservatrices et leur haine de la République mais les uns et les autres participent à une brillante vie mondaine dont l’occupant est l’omniprésent animateur.
La vie littéraire ne s’est pas interrompue et les revues, autorisées clandestines ou étrangères, continuent à jouer leur rôle. Si on publie encore c’est au prix d’une triple censure : 1060 livres sont retirés de la vente dès octobre 40 ; les éditeurs signent une convention de censure en échange d’une relative liberté de publier ; le rationnement du papier permet de privilégier les ouvrages complaisants
Mais ce Paris inféodé n’est pas celui qui a faim et froid, ce Paris dont la vie quotidienne est mise en fiches. Un Paris où les Juifs doivent abandonner leurs fonctions quand ils ne sont pas brutalement licenciés comme Jacques Schiffrin, fondateur de la Pléiade, par Gaston Gallimard en 1940 avant que Raymond Gallimard ne lui demande de revenir…en 1944. Les gens de ce Paris là risquent leur vie à tout instant, qu’ils soient résistants ou représailles. Et l’émotion peut vous submerger quand on suit le combat pathétique d’Irène Némirovsky pour être publiée, découvre l’histoire du manuscrit, donné par Eluard à Max Pol Foucher, d’un poème intitulé « Une seule pensée » devenu le célèbre « Liberté » ou regarde la dernière photo de Max Jacob que personne ne put sauver. Et sous jacente, il y a une réelle solidarité entre ceux qui bien que venus d’horizons différents n’ont que pour seul objectif la défaite des nazis. « La rose et le réséda » chantera Aragon. Mots forts, mots responsables.
Vient La libération. Mais c’est aussi l’épuration –cinq écrivains sont condamnés à mort et trois exécutés- et très vite des exclusions, des listes de livres retirés de la vente, un Comité National des Ecrivains dominé par le parti communiste et la polémique quand Paulhan dénonce ces écrivains résistants devenus « des juges et des mouchards ». C’en est fini de l’union de la Résistance et la guerre froide va à nouveau créer un autre clivage entre les écrivains. La rose s'est fanée, le réséda a retrouvé son odeur fade.

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