Bonne santé de Charles Masson

Bonne santé de Charles Masson

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Shelton, le 17 novembre 2005 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 67 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 191ème position).
Visites : 3 834  (depuis Novembre 2007)

Heu... Ben... Bonne santé, alors...

Charles Masson est un auteur de bandes dessinées peu ordinaire. En effet, des auteurs, scénaristes ou dessinateurs, qui étaient aussi enseignants, artistes peintres, acteurs, aventuriers, musiciens, journalistes… il n’en manquait pas… Mais un auteur complet, scénariste et dessinateur, qui est médecin… il fallait en trouver un, on l’a, il est bon, on le garde…
Il y a deux ans, ce zombi venu d’on ne sait où surprenait son monde, enfin le monde des lecteurs, en nous racontant une histoire de SDF (sans domicile fixe) dans un très bel ouvrage, Soupe froide. Que pouvait-il nous raconter après cela ? Encore une histoire de pauvres gars perdus dans la rue ? Non… il fallait qu’il aille chercher encore plus au fond de lui… et il y est arrivé. Avec Bonne santé, son nouvel opus, il nous plonge, directement et sans ménagement, dans le monde du cancer et de la mort…
Comment dire « Bonne santé » quand on est le chef d’un service, le professeur, et que l’on doit passer dans toutes les chambres un matin de 1er janvier ? Certains malades sont en pleine souffrance, d’autres sont en train de mourir… Il en existe, certes, qui ont encore le sourire, mais, lui, le professeur, il sait bien qu’ils ne finiront pas l’année… Le médecin doit-il mentir ? Le fameux mensonge pieux comme écrit Charles Masson ? Oui, le professeur est menteur (thème de la première nouvelle, du premier récit…)
Mais, comme il l’explique très bien, il faut bien se protéger, survivre. Imaginez, le professeur est un professionnel dont les clients meurent les uns après les autres… Qui souhaiterait n’avoir dans son business que des condamnés à mort ? Ce n’est quand même pas facile à vivre… De plus, nous vivons dans une société où l’on refuse de parler de la mort, c’est tabou ! Et pourtant le cancérologue, le professeur, ne travaille que sur des condamnés à mort, des morts en puissance – nous le sommes tous, bien sûr, mais ici, dans ce service, ce n’est pas une précaution oratoire, c’est une réalité – ou, plus exactement, comme le dit Charles Masson, il n’exerce son art que sur ceux qui entament leur dernier tour de piste dans le stade après avoir couru leur marathon presque en entier…
Charles Masson avait un grand besoin de nous raconter ces histoires, ses histoires ! Ce sont des parcelles de vie, des souvenirs de médecin, mais, surtout, le poids, l’angoisse, la peine qu’un homme portent au fond de lui. Il fallait qu’il nous en parle, qu’il s’en délivre… et comme il le fait en bande dessinée, avec talent… alors acceptons de nous embarquer dans ce service de la mort.
De toute évidence, Charles Masson est bien un raconteur d’histoires. Si on lui demande comment un médecin devient un auteur de bédés, il corrige immédiatement le tir :
« Demandez-moi, plutôt, comment un dessinateur de bédés a bien pu devenir un médecin ? ».
Comment ? Mais certainement en travaillant avec assiduité, la seule chose dont on soit sûr, c’est que pour les dessins d’anatomie, il n’a pas dû avoir trop de mal…
Mais ouvrons ensemble l’album, le livre plus exactement car dans ce type d’ouvrage, roman graphique, l’expression album semble déplacée. Deux éléments fonctionnent en parallèle : le récit, entièrement en texte, d’un professeur visitant son service le 1er janvier et une série de nouvelles, qui mettent en scène ce même mandarin dans sa vie… au travail comme à la maison, de jour comme de nuit…
Quelle vie pour ce pauvre homme ! Je n’ai pas le droit moral de tout vos raconter, mais je vais tenter de vous inviter au voyage…
Comme avec Eisner, nous sommes en présence d’un auteur qui en quelques mots, quelques dessins, nous plante une ambiance terrible, donne vie à des personnages profonds ou légers, comme ceux que nous connaissons tous, plongés dans le drame mais capables de rire, de pleurer ou de rester indifférents… mais toujours profondément humains.
Comme dans les récits de Craig Thomson nous sentons la profondeur, le lien avec la vie réelle de l’auteur… Si Charles Masson avait été charcutier – n’y voyez rien de méprisant, bien au contraire, car je suis gourmet et gourmant… – Bonne santé aurait été tout autre… C’est véritablement le livre de Charles Masson, il est inimitable, unique en son genre et devrait pas donner naissance à une série de pâles copies…
Enfin, c’est une bande dessinée philosophique, métaphysique et humaniste, un travail qui participera, encore et on ne peut que le remercier, à grandir cet art narratif qui est en progrès constant depuis sa création… La bédé devient-elle, enfin et durablement adulte ? Ce n’est pas à moi de répondre définitivement à cette interrogation récurrente, mais si elle en marche vers cette reconnaissance qu’elle mérite, Charles Masson aura apporté sa pierre à l’édifice…
Certains lecteurs pourront être submergés, détruits par le thème, la gravité de l’auteur, le dessin en noir et blanc, par un pessimisme apparent… Mais je crois que le plus grand nombre appréciera le dépassement du drame, pourtant bien réel, par une chaleur humaine indestructible… accompagnée, parfois, par un humour… parfois lourd comme celui des carabins.
Mais, l’humour est bien là, dans un geste, dans un regard, dans une scène… Plus fort encore, certaines histoires sont porteuses d’espérance car l’athéisme déclaré de l’auteur est loin d’être désespéré… Il est comme une attente de ce qu’il découvrira à sa mort… Et on lui souhaite, lorsque ce sera son heure – on n’est pas pressé du tout – d’avoir, à ce moment-là, à ses côtés, un médecin aussi humain que lui, pour lui parler, lui tenir la main… Et je me le souhaite, aussi, à moi-même ainsi qu’à vous tous…
En refermant ce magnifique ouvrage, je me suis demandé si je pourrais encore dire, comme je le faisais souvent, la nuit de la Saint Sylvestre :
Bonne année, bonne santé !

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Les éditions

  • Bonne santé [Texte imprimé] Charles Masson
    de Masson, Charles (Scénariste)
    Casterman / Écritures (Bruxelles. 2002)
    ISBN : 9782203396319 ; 14,50 € ; 12/12/2005 ; 191 p. ; Broché
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10 étoiles

Critique de Le rat des champs (, Inscrit le 12 juillet 2005, 73 ans) - 19 novembre 2005

Là, je suis un peu en panne de superlatifs. Pas de mot assez élogieux pour qualifier cet excellent livre. La médecine vue de l'intérieur, avec les pieux mensonges, la compassion, l'action, l'urgence, les situations de crise qu'on tente désespérément parfois de gérer de son mieux, même quand on sait que la bataille est perdue d'avance, que la mort gagnera quoi qu'on fasse. Et "la carapace" dont s'entourent des médecins pudiques, pour ne pas laisser voir leur désarroi face à la souffrance des autres...
C'est du vécu à l'état pur, un reportage sous forme de BD sur des gens qui consacrent au quotidien leur vie au service des autres, mais qui n'aiment pas qu'on les considère comme des héros, parce qu'ils sont humbles. On est à cent mille lieues des feuilletons américains type "Urgences", on ne voit pas de héros médicaux, mais des hommes, tout simplement, avec leurs doutes, leurs faiblesses, et surtout, oui surtout leur grandeur. Des hommes avec un grand H.
Merci à Shelton pour cette excellente critique sur ce livre hors du commun.

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