Bolcho
avatar 04/09/2010 @ 16:25:31
Quelques tentatives maladroites de faire le bien, Interventions militaires au Vietnam et en Amérique centrale

De 1939 à 1945 furent menées aux États-Unis des études approfondies pour fixer le projet de ce qu'on appelait le « grand domaine » qui devait recouvrir toutes les régions du monde destinées à subvenir aux besoins de l'économie américaine et pour lui assurer la maîtrise du monde. Il y fallait l'hémisphère occidental, l'Extrême-Orient et l'ancien empire britannique dont les États-Unis accéléraient le démantèlement afin de le reprendre pour eux-mêmes. Il y fallait aussi l'Europe de l'Ouest et les pays producteurs de pétrole au Moyen-Orient. Pour l'Amérique latine, on expliquait comment éliminer et démanteler les systèmes régionaux dominés par d'autres puissances. Kennan dirigeait l'équipe chargée de la planification politique. Il disait : « Avec seulement 6,3% de la population mondiale, nous représentons près de 50% de la richesse mondiale », d'où les envies et les ressentiments. Il fallait donc s'attendre à devoir se positionner en termes de rapports de force purs. « Et moins nous serons alors bridés par des slogans idéalistes, mieux nous nous en trouverons » (23/02/1948)
Et dans les faits, la politique des États-Unis s'est souvent vigoureusement opposée aux droits de l'homme, à la démocratisation, à l'amélioration du niveau de vie. La seule liberté qui compte vraiment, c'est celle de voler et d'exploiter, et pour cela il faut s'opposer à la démocratisation, à l'amélioration du niveau de vie et aux droits de l'homme.
Kennan rappelait l'importance de la protection de « nos » matières premières, et il en déduisait la nécessité de ne pas hésiter « devant la répression policière mise en place par les gouvernements locaux. Cela n'est pas déshonorant puisque les communistes sont par nature des traîtres. »
Dans la politique américaine, est communiste celui qui pense que le gouvernement est directement responsable du bien-être des gens (c'est dans un rapport de 1949 des services de renseignements).
Au milieu des années 1950, une étude du gouvernement concluait que la principale menace communiste réside dans le fait que les instances des pays communistes évoluent économiquement « selon des modes qui diminuent à la fois leur désir et leur aptitude à venir compléter les économies industrialisées de l'Ouest ». Scandaleux n'est-ce pas ! Ainsi, l'attitude des États-Unis vis-à-vis du Nicaragua après 1979 était elle logique : le Nicaragua augmentait des budgets santé et Éducation, la réforme agraire était mise en œuvre et la mortalité infantile baissait spectaculairement. Mais les hérétiques qui croient que leur gouvernement doit assurer le bien-être de la population, ne sont pas forcément des communistes. C'est après l'intervention des États-Unis qu'ils le deviennent, ne pouvant se tourner vers personne que l'URSS.
En ce qui concerne le Vietnam, le problème était d'empêcher « la gangrène de s'étendre », c'est-à-dire un développement économique et social réussi, ce qui pouvait être dangereux en terme d'effet d'entraînement d'autres peuples. Il y eut en 1954 un règlement politique (les accords de Genève), que les États-Unis ont rendu immédiatement inopérant en installant au Sud Vietnam un gouvernement terroriste. En 1961-62, Kennedy se lança dans une guerre. On considère souvent que les États-Unis ont subi une défaite au Vietnam. Selon Chomsky, c'est pourtant une victoire. Quatre ou cinq millions de morts, pays dévasté, agriculture rendue impossible (notamment du fait de bombes non explosées) : le Vietnam ne risquait plus de passer pour un modèle de développement. La gangrène était arrêtée... La politique au Vietnam fut de le saigner afin que seuls les éléments les plus brutaux s'en sortent, justifiant ainsi a posteriori l'intervention américaine.
En 1977, Carter estima publiquement que les États-Unis n'avaient aucune dette particulière envers ce pays puisque la « destruction avait été mutuelle ». Ce qui est significatif, c'est que ce commentaire n'a pas fait l'objet de commentaires dans la presse américaine.
En Amérique du Sud, un millionnaire américain (Vanderbuilt) s'ancre dans un port au Nicaragua et il dut payer une taxe portuaire : la marine américaine rasa la ville. Mais les interventions en Amérique du Sud ont été nombreuses depuis et une guerre terroriste contre Cuba dure depuis le milieu des années 1960.
Pour les États-Unis, l'identité de l'empire du Mal change, mais les faits restent les mêmes. De manière générale, plus les droits de l'homme sont bafoués dans un pays, plus l'aide américaine y est importante (avant tout militaire évidemment). En fait, c'est parce que les conditions d'investissement sont meilleures dans des pays contrôlés par des tyrans achetés par les États-Unis, qui interviennent régulièrement pour renverser des gouvernements démocratiques : Guatemala, Chili...
Évidemment, la démocratie ne signifie plus grand chose quand les individus se retrouvent confrontés à une hyper-concentration du pouvoir économique : c'est avoir le choix, tous les deux ans, entre Coca-Cola et Pepsi. D'ailleurs, une fois qu'un État terroriste a été installé aux commandes d'un pays, des élections sont envisageables, voire souhaitables pour contenter l'opinion publique.

Les fluctuations du statut d’ “État scélérat” (Cuba, Corée du Nord, Irak, Libye, Nicaragua)

Madeleine Albright avant la guerre du Golfe : “nous considérons que cette zone géographique est vitale pour les intérêts américains”. Malgré les décisions de l’ONU, les Etats-Unis confirmèrent “qu’ils se réservent le droit de punir l’Irak”.
Le mépris des règles internationales est profondément ancré dans la pratique et la culture intellectuelle américaine.
Le concept d’Etat scélérat vient du fait que, la Guerre froide terminée, il fallait trouver de nouveaux ennemis. Des ennemis extérieurs en plus des ennemis intérieurs, car la société américaine est raciste : “les Afro-américains constituent (...) la majorité de la population carcérale (avec un taux sept fois plus élevé que chez les Blancs (...)”. Par rapport à l’ennemi extérieur, il faut savoir être imprévisible. C’est la “théorie du fou” chère à Nixon : nos ennemis doivent comprendre que nous sommes des fous imprévisibles, détenteurs d’une incroyable force de frappe. Ce concept a été forgé en Israël dans les années 1950. Et cette attitude pose un problème au reste du monde.
Pour établir un parallèle avec la situation Irak/Koweït, l’Indonésie est intéressante. Les atrocités commises par les Indonésiens au Timor Oriental dépassent de loin ce qu’on a pu reprocher à Saddam au Koweït, or les États-Unis soutinrent l’Indonésie et bénéficièrent du pillage du pétrole au Timor. De même, le coût en vies civiles de l’invasion du Liban par Israël - avec l’aval des Etats-Unis - est lui aussi bien supérieur à celui de l’invasion du Koweït.
Curieusement (?) les Américains ne poussèrent pas à une attaque de l’Irak après que Saddam eut gazé des Kurdes à Halabja en 1988. Bien au contraire, les États-Unis et la Grande-Bretagne confirmèrent leur soutien à Saddam. L’administration Reagan s’opposa catégoriquement à des sanctions et fit en sorte que l’affaire ne s’ébruite pas.
En fait, l’ “État scélérat” n’est pas seulement un État criminel, c’est aussi un État qui n’obéit pas aux puissants, qui, par définition, ne sont pas des “États scélérats”.
Car l’administration Kennedy fut la première à user massivement des armes chimiques contre les populations civiles au Sud Vietnam en 1961-1962.
En ce qui concerne l’Irak et l’Iran, ce sont les ressources pétrolières qui sont en jeu. “Les entreprises pétrolières américaines verraient d’un assez mauvais oeil le fait que des concurrents étrangers - parmi lesquels la Russie et la Chine - obtiennent un accès privilégié aux réserves pétrolières (...)”.

La “boussole morale” de nos leaders (Balkans, Bosnie, Colombie, Turquie, Laos)

Mars 99. Clinton expliqua qu’en bombardant la Yougoslavie, “nous soutenons nos valeurs, protégeons nos intérêts et faisons avancer la cause de la paix”.
Lors des discussions au Conseil de Sécurité, à propos d’un éventuel usage de la force, Washington avait refusé l’usage du terme “autoriser” et n’avait permis que celui d’ “approuver”. L’administration Clinton “ne démordait pas de sa position consistant à affirmer que l’OTAN devait pouvoir agir indépendamment des Nations unies” (New York Times).
Washington a qualifié les troubles dans les Balkans de “crise humanitaire”, donc pouvant nuire aux intérêts des pays riches...contrairement aux massacres en Sierra Leone, en Angola ou à ceux commis par les Etats-Unis eux mêmes. Les Etats-Unis ne supportent pas le recours aux institutions internationales, préférant l’OTAN qu’elles dominent. Dans la Charte des Nations unies, l’usage de la force est interdit tant qu’il n’est pas explicitement autorisé par le Conseil de sécurité. Il existe bien un droit à l’intervention humanitaire qui repose sur la “bonne foi” de ceux qui interviennent : les antécédents des Etats-Unis plaident-ils pour leur “bonne foi” ?
La Colombie aidée par l’armement américain, la Turquie aussi quand elle réprime les Kurdes, etc.
Le mépris des Etats-Unis pour l’ordre mondial est devenu absolu.
Dean Acheson, conseiller de Kennedy, justifia le blocus de Cuba en 1962 en disant que dans les cas où “la puissance, la position et le prestige” de la nation était en cause, on ne pouvait pas recourir à une “solution légale”.
Les Etats-Unis sont en train de devenir le super-État scélérat.
On dit que, concernant le Kosovo, on ne pouvait pas rester là à assister aux crimes.
“Supposez que vous assistiez à un crime dans la rue et que vous estimiez qu’il vous est impossible de ne pas intervenir. Vous prenez un fusil-mitrailleur et tuez tous ceux qui sont là : le criminel, la victime et les passants. Devons-nous admettre que c’est là une solution rationnelle et morale ?”.

La mission de justice des “Etats éclairés” au service du “nouvel humanisme” (Kosovo)

Les pertes parmi la population civile serbe au cours des trois premiers mois de la guerre sont plus importantes que celles qui ont frappé les deux camps au Kosovo dans les trois mois précédents.
Le nettoyage ethnique du milieu des années 1990 au Kurdistan a fait des dizaine de milliers de morts, deux à trois millions de réfugiés et a donné lieu à des exactions épouvantables, tout cela grâce à l’aide américaine au gouvernement turc, au sein de l’OTAN, sous la juridiction du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne régulièrement la Turquie pour ses crimes perpétrés avec la complicité des Etats-Unis.
Mais ceux-ci gardent le cap : se focaliser sur les crimes de l’ennemi officiel du moment et ne pas se laisser distraire par les crimes comparables ou pires qui ont lieu ailleurs.
Les négociations avec la Serbie étaient en bonne voie. Les Serbes étaient près à accorder une autonomie plus grande au Kossovo. On pouvait donc continuer à négocier pour éviter une tragédie humaine. Mais les commentateurs ont presque tous présenté la version USA-OTAN comme le reflet exact des faits...

Un exercice d’entraînement américano-indonésien, Timor oriental 1999

Invasion indonésienne en décembre 1975.
Au référendum d’août 1999, la population vote massivement pour l’indépendance, ce qui déclenche une campagne génocidaire.
En pratique, les Nations unies ne peuvent rien faire sans le consentement de Washington. Au moment où les indonésiens assassinent et pillent, le Pentagone annonce “un exercice d’entraînement americano-indonésien centré sur l’humanitaire et les opérations de secours”.
Le coup d’Etat de Suharto en 1965 fit des centaines de milliers de victimes, détruisant le parti politique de masse de la gauche timoraise, le PKI : enthousiasme général en Occident. McNamara déclara que l’aide et la formation militaire américaines “avaient porté leurs fruits”. En fait, l’administration Clinton avait fait son choix. L’intérêt américain était de soutenir l’Indonésie, pays riche en ressources naturelles : “L’Indonésie est un gros morceau, crucial pour la stabilité de la région”. Par stabilité, on entend bien sûr, favorable aux investisseurs étrangers. En 1975, le Conseil de Sécurité avait pourtant condamné l’invasion et ordonné que les troupes indonésiennes se retirent, mais sans résultat.
Dans ses mémoires, Moynihan raconte qu’on lui avait confié la tâche de faire en sorte que les Nations unies soient inefficaces. Résultat : 200 000 morts selon les estimations de l’Eglise. La France et la Grande-Bretagne s’y mirent à leur tour en fournissant armes et soutien diplomatique à l’Indonésie.
En 1999, 80% de la population choisit l’indépendance. Il y eut 10 000 morts en deux semaines.

Souveraineté et ordre mondial, Raison du plus fort et intérêt national

“En ce qui concerne la ratification ou la signature de conventions internationales ayant trait aux droits de l’homme, les Etats-Unis réalisent l’un des pires palmarès du monde. Exemple, le cas de la convention sur les droits de l’enfant, ratifiée par tous les pays du monde sauf deux : les Etats-Unis et la Somalie” (ce texte est de 1999).
“En fait, au sens strict, les Etats-Unis n’ont jamais signé de conventions, et, lorsqu’ils l’ont fait, ce qui est très rare, ils imposent systématiquement une clause de réserve dont les termes exacts sont : ‘Ne peut s’appliquer aux Etats-Unis’.”
La convention sur le génocide, par exemple, porte la mention “Ne s’applique pas aux Etats-Unis sans l’accord des Etats-Unis”. Accord jamais donné évidemment. C’est comme ça que des plaintes pour génocide n’ont tout simplement pas été recevables puisque les Etats-Unis n’ont pas donné leur accord...
Les Etats-Unis sont pratiquement en passe de faire disparaître l’ONU en refusant de payer ce qu’ils doivent conformément aux traités. Des dettes qu’ils ne paient pas car ce serait sacrifier à la souveraineté du pays.
Car, si les Etats-Unis refusent de respecter les obligations internationales, c’est parce qu’ils entrent en conflit avec leur souveraineté nationale qui doit absolument être défendue (au contraire de celle des autres). Par exemple, la plainte européenne à l’OMC portant sur l’embargo contre Cuba (induisant des effets secondaires sur le commerce d’autres pays) : les Etats-Unis en argué d’une exemption pur cause de sécurité nationale.
A ce propos, la décision formelle de renverser le gouvernement cubain fut prise secrètement en mars 1960, alors qu’il n’existait pas encore de relation significative entre Cuba et l’URSS. Le danger, selon Schlesinger, était de voir se “répandre l’idée castriste selon laquelle il fallait prendre en main ses propres affaires”.
Le conseiller juridique du Département d’Etat déclare : “Les membres des Nations unies ne sont pas capables de comprendre nos motivations et s’opposent régulièrement à nos propositions concernant les questions cruciales dans le domaine international. C’est pourquoi nous nous réservons le droit de décider des situations pour lesquelles les règles de la Cour s’appliquent et n’acceptons aucun ordre de la Cour sur les questions qui concernent au premier chef les affaires des Etats-Unis telles que les Etats-Unis les ont eux-mêmes définies”.
En occurrence, le problème concernant les affaires “internes” des Etats-Unis, c’était la guerre menée contre le Nicaragua que la Cour internationale venait de qualifier d’usage illégal de la force...

Chronologie des interventions militaires américaines, 1947-2000

Philippines 1946, Grèce 1947 (contre une guérilla de gauche), Porto Rico 1950 (contre un mouvement d’indépendance), Corée 1950 (deux millions de morts), Iran 1953 (coup d’Etat pour le pétrole soutenu par la CIA), Guatemala 1954 (renversement d’un gouvernement démocratique), Liban 1958 (empêcher le renversement d’un gouvernement proaméricain), Cuba 1961(Baie des Cochons), Vietnam 1961-72, Laos et Cambodge (même période), Indonésie 1965 (début de la longue et meurtrière carrière de Suharto), République dominicaine 1965 (contre une prétendue menace communiste), Oman 1970 (soutien de conseillers américains aux troupes iraniennes), Israël (forte implication diplomatique et militaire), Chili 1973 (CIA à l’origine du coup d’Etat contre Allende), Timor oriental 1975-1999 (un tiers de la population est décimé), Salvador 1980-90 (100 000 morts en dix ans), Nicaragua 1981-88 (contre les sandinistes), Liban 1982-84 (expulsions et massacres de Palestiniens sous l’oeil des soldats américains), Grenade 1983 (invasion d’un paradis fiscal), Libye 1986 (bombardements, centaines de victimes), Philippines 1989 (soutien à Corazon Aquino contre communistes et indépendantistes musulmans), Panama 1989 (contrôle du canal), Irak (ressources pétrolières), Haïti 1994 (contre Aristide en 1991, ils imposent son retour en 1994), Soudan (destruction d’usines pharmaceutiques), Yougoslavie 1999.
La liste de Chomsky s’arrête en 1999. Jeu : remplir les années qui mènent jusqu’à aujourd’hui.

Pieronnelle

avatar 04/09/2010 @ 17:03:16
MERCI Bolcho!

Micharlemagne

avatar 05/09/2010 @ 09:28:59
Pristi ! La doctrine de Monroë (en fait, de Quincy Adams) en a pris un sérieux coup dans l'aile !...

Bolcho
avatar 05/09/2010 @ 15:44:42
Vu d'Europe, tout cela donne maintenant l'impression d'être un peu monstrueux forcément (même si à l'époque de Monroe, il y avait des aspects progressistes sans doute, dont un certain anticolonialisme). Peu de personnalités politiques européennes (laissons de côté la Grande-Bretagne), dans le discours, se risqueraient à envoyer balader l'ONU aussi explicitement et cyniquement.
Je n'ai pas l'impression que les choses soient sur le point de changer aux États-Unis : les présidents se succèdent, les Démocrates et les Républicains se passent poliment le trône, mais la « doctrine Monroe » reste bien vivante et son champ d'application a maintenant largement débordé le continent américain. La population suit avec la vague impression que le reste du monde est un terrain de chasse encore sauvage.
Pourtant, si les Européens ont une sensibilité différente, il n'en est pas moins vrai qu'ils restent profondément influencés par la vision venue des États-Unis au travers du matraquage médiatique : livres, films, séries télé. N'oublions pas que le fameux Plan Marschall impliquait une ouverture complète du marché européen aux produits de la « culture » américaine, ce qui a sans doute fortement contribué à l'américanisation du mode de vie et de pensée en Europe. Et c'était bien conçu dans ce but.
A noter toutefois que Chomsky ne désigne pas les États-Unis comme des « méchants » par nature. Il note quelque part que n'importe quel pays, « même Andorre », aurait des tentations hégémoniques, mais que les États-Unis ont les moyens de leurs envies.

Saint Jean-Baptiste 05/09/2010 @ 22:50:03
Merci Bolcho !
Ces extraits du livre constituent un réquisitoire implacable et, comme tout bon réquisitoire, son but est, me semble-t-il, d’enfoncer le prévenu et non de faire apparaître la vérité objective – si tant est que l’objectivité existe en la matière.

D’abord, j’ai relu toutes les critiques du site sur les livres de Noam Chomsby. Excellentes critiques au demeurant ! Et assurément, le personnage paraît intéressant. Je le mets sur ma pile, désespérément grimpante, de LAL (livres à lire).

Mais maintenant, avant de juger les Américains, il serait indispensable d’avoir le plaidoyer de la défense, car enfin, comme le proclame les Droits de l’Homme, tout accusé a droit à la défense.
Je pense que quand on veut bien expliquer c’est extrêmement long et compliqué ; et, quand on veut accuser, on simplifie. Ici – sans avoir lu le livre, mais d’après les extraits de Bolcho, j’ai l’impression qu’on simplifie beaucoup ; mais c’est un réquisitoire et c’est la loi du genre.

En matière de conflits internationaux, rien n’est simple ; les causes sont souvent multiples et s’engendrent les unes les autres, elles sont systémiques.
Alors, ce serait trop simpliste de dire que tous les conflits du monde seraient dus à la seule volonté des Américains ; ce serait même, à mon avis, tout à fait faux.

J’aimais bien dans la critique de Benoît, cette réflexion : si on faisait cette même analyse à la France ; et moi, j’aurais dit à l’Europe.

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/7088

Parce que si les US sont la première puissance militaire du monde, la première puissance commerciale et le premier marché du monde c’est l’Europe.
Et on pourrait se demander si la position de l’Europe dans les grands conflits du monde n’est pas souvent pire que celle des US, dans ce sens que l’Europe est bien souvent beaucoup plus hypocrite que les US.

Mais ça, c’est encore un autre débat et, personnellement, j’y connais beaucoup trop peu en matière internationale pour l’envisager.

Pieronnelle

avatar 06/09/2010 @ 01:19:34
Je précise, merci Bolcho pour cette critique du livre de Chomsky et cette synthèse remarquable de clarté!
Non non, SJB, je ne dirais rien......

Micharlemagne

avatar 06/09/2010 @ 07:33:57
A propos de la "doctrine Monroe" dont tout le monde se gargarise mais que bien peu connaissent, ces quelques paragraphes de mon étude à paraître sur le duc de Wellington.

"La position du Royaume-Uni ne saurait être mieux exposée que dans la lettre que Canning écrivit le 20 août 1823 à Richard Rush, chargé d’affaires des Etats-Unis à Londres :
« Le moment n’est-il pas venu pour nos deux gouvernements de s’entendre à propos des colonies américaines de l’Espagne ? Si nous arrivons à un tel accord, ne serait-il pas expédient pour nous-mêmes et bienfaisant pour le monde entier, que les principes en soit clairement entendus et exprimés. En ce qui nous concerne, nous ne laissons place à aucune équivoque
1°- Nous considérons la reconquête des colonies par l’Espagne comme désespérée.
2°- Nous considérons que leur reconnaissance comme Etats indépendants n’est qu’une question de temps et de circonstances.
3°- Nous ne sommes cependant en aucun cas disposés à mettre des entraves sur la voie d’un arrangement entre elles et la mère-patrie par le moyen d’amicales négociations.
4° - Nous n’avons pas pour but la possession d’une partie quelconque de leur territoire pour nous-mêmes.
5°- Nous ne pourrions voir avec indifférence aucune partie de leur territoire transférée à une autre Puissance.
« Si ces opinions et ces sentiments sont, comme je le pense fermement, partagés par nos deux gouvernements, pourquoi hésiter ne pas se l’avouer réciproquement et le proclamer à la face du monde ? »
Il serait fort difficile de ne pas voir dans les cinq points de Canning les prémices de la fameuse doctrine Monroë. En tout cas, le Secrétaire d’État américain, John Quincy Adams – en réalité le véritable père de la doctrine Monroë – confiait à son journal : « L’attitude que je compte prendre est celle de faire de sérieuses remontrances contre toute interférence des Puissances européennes par la force en Amérique du Sud mais aussi de répudier toute interférence de notre part dans les affaires européennes, de construire une cause américaine et d’y adhérer inflexiblement. »
C’est devant le Congrès, le 2 décembre 1823 que le président Monroe fit sa célèbre déclaration, en réalité rédigée par Adams. Revenant sur la question de l’ukase de 1821, il annonçait que des négociations avaient commencé à Saint-Pétersbourg entre la Russie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, afin de régler les limites de leurs possessions respectives sur la côte nord-ouest du continent. Et il énonçait le principe selon lequel « les continents américains, de par la libre et indépendante condition qu’ils se sont donnée et qu’ils maintiennent, ne doivent désormais plus être considérés comme susceptibles de future colonisation par aucune puissance européenne. (§ 7) »
Plus loin, dans son discours, il abordait la question des colonies espagnoles en l’étendant à l’ensemble du continent : « Nous considérerions toute velléité de leur part [des puissances européennes] d'étendre leur système à une partie quelconque de cet hémisphère comme dangereuse pour notre paix et notre sécurité. (§ 47) » Il entendait dire par là que les Etats-Unis n’admettraient pas qu’aucune puissance européenne entende imposer un régime politique quelconque à un quelconque pays d’Amérique : « Mais en ce qui concerne les gouvernements qui ont proclamé leur indépendance, qui la maintiennent, et dont nous avons-nous-mêmes reconnu l'autonomie pour de sérieux motifs et d’après de justes principes, nous ne pourrions envisager l'immixtion d'une puissance européenne quelconque, de nature à les opprimer ou à exercer un contrôle sur leurs destinées, que comme la manifestation de dispositions hostiles à l'égard des Etats-Unis (…) »
Et, enfin, par réciprocité : « Notre politique vis-à-vis de l'Europe reste néanmoins la même que celle que nous avons adoptée dès le début des guerres qui ont agité cette partie du monde depuis si longtemps : elle consiste à ne pas intervenir dans les affaires intérieures d'aucune puissance européenne, à considérer le gouvernement de fait comme le gouvernement légitime, à entretenir avec lui des relations amicales et à maintenir ces relations par une politique franche, ferme et virile, prenant en considération, en toutes circonstances, les justes revendications de chaque puissance, mais n'admettant pas, de la part d'aucune, la moindre atteinte à nos droits. (§ 48) »

Micharlemagne

avatar 06/09/2010 @ 07:35:26
T'as vu un peu l'auto-promo ?

Saint Jean-Baptiste 06/09/2010 @ 10:30:47
T'as vu un peu l'auto-promo ?

Auto-promo qui porte ses fruits… Inscris-moi sur ta liste de souscription, tu veux ?

Saint Jean-Baptiste 06/09/2010 @ 10:36:06

Non non, SJB, je ne dirais rien......

Hé ! dis donc, Pieronnelle, tu dis si tu as à dire et tu ne dis rien si tu n’as rien à dire – et surtout sans me demander mon avis. Je ne suis pas le censeur de Critiques Libres, tu sais !
Du moment que tu ne t’en prennes pas personnellement à ceux qui ne partagent pas ton avis, tout ce que tu diras sera le bienvenu.

Pieronnelle

avatar 06/09/2010 @ 10:51:26
Ce n'est pas l'endroit pour ce genre d'échanges. Ce que disent Bolcho et Mich est beaucoup trop interessant . Ce que je n'apprécie pas beaucoup c'est que tu laisses supposer que chaque fois que j'exprime une opinion ou que je "m'insurge" c'est une atteinte personnelle envers quelqu'un ce qui est absolument faux.
Mais laissons cela, j'atttends avec impatience la suite de ces exposés, le sujet me passionne et mon but est d'apprendre et non de participer.
mais il est vrai qu'en aucun cas je ne te demanderais ton avis.....

Bolcho
avatar 06/09/2010 @ 15:37:03
Micharlemagne, merci pour toutes ces utiles précisions concernant la "doctrine Monroe" que je m'efforcerai dorénavant de nommer "doctrine Adams" pour emmerder mes interlocuteurs...

SJB suggère que les pays européens ne sont pas plus « moraux » que les Etats-Unis en matière de politique étrangère. Je pense que l’on pourra facilement en convenir. D’ailleurs, lorsque Chomsky évoque les éventuelles envies de puissance d’Andorre, il se range – avec malice et ironie - à l’avis de SJB (dont la proximité de pensée avec un anarchiste notoire nous pose soudain question…, hein, SJB).
Le recours à la morale pour analyser les comportements des Etats est en tous les cas non pertinent, même si nombre d’Etats (et surtout les Etats-Unis) en usent jusqu’à l’outrance pour enfumer les opinions publiques.
Alors, on doit bien sûr rappeler les ignominies françaises – en Algérie par exemple -, britanniques, belges, etc, mais il faut convenir que les Etats-Unis ont une capacité de nuire bien supérieure et que leur opinion publique est particulièrement bien tenue en laisse par des médias encore plus « à la botte » qu’en Europe. Certains expliqueront l’attitude agressive des Etats-Unis en remontant à la Conquête de l’Ouest ou aux caractéristiques culturelles particulières de cette colonie de peuplement. Ce n’est pas mon cas. Je me méfie grandement des explications passant par la psychologie et qui permettent, si on les pousse, d’invoquer l’esprit conquérant des vikings ayant déteint sur les anglo-saxons jusqu’à nos jours. Avec un peu d’imagination, on peut faire tous les liens que l’on veut et invoquer ensuite des gènes particuliers, comme il est de mode ces derniers temps chez certains.
Non, rien de tout ça je pense. Rien qu’un pays surpuissant qui joue cyniquement les cartes qu’il a en mains.
J’évoquerais bien toutefois la propension à la religiosité chez les Amerloques, religiosité qui ne les prédispose pas au sens critique, mais c’est au moins autant pour faire gentiment rager SJB que pour chercher des explications…

Saint Jean-Baptiste 06/09/2010 @ 19:17:00
Décidément, Bolcho, tu m’étonneras toujours ! Qu’est-ce qui te fait croire que je ne suis pas un anarchiste notoire ou, un révolutionnaire rabique et permanent ?

Par ailleurs tu me rassures en disant que les États européens ne brillent pas plus par leurs vertus que les US, ce qui devrait les inciter à plus modestie dans leur condamnation des Américains, me semble-t-il.

Où je t’approuve entièrement, c’est quand tu bannis le recours à la psychologique pour expliquer le comportement des peuples : conquêtes de l’Ouest, invasion Viking, etc…
Ces explications sont à bannir, comme du reste, tout les recours à l’Histoire pour justifier les comportements actuels des populations (une méthode pourtant très prisée en Belgique pour le moment).

Sinon, j’ai cru un moment que allions tomber d’accord à propos de l’obéissance à une religion du Partage de la Justice et de la Paix, qui s’opposerait à la loi du plus fort… (Je mets des majuscules pour faire comme dans les encycliques papales).
Sauf qu’en te relisant, je vois que tu parles de « propension à la religiosité » des Amerloques qui ne les prédispose pas au sens critique…
Pffff ! Encore fichu pour cette foi-ci !
;-))

Béatrice
avatar 07/09/2010 @ 09:38:44

Le recours à la morale pour analyser les comportements des Etats est en tous les cas non pertinent


Pas d’accord

Je vais formuler différemment tout en exprimant ma position :

Le recours à la morale pour juger les faits historiques est pertinent

Et

A mon sens toute guerre est un crime

Micharlemagne

avatar 07/09/2010 @ 10:06:46
Encore faudrait-il savoir de quelle morale il est question. Je ne suis pas certain que l'on puisse juger la politique de la Chine, par exemple, à l'aune de notre morale "judéo-chrétienne" occidentale (Je déteste l'expression, mais je n'en ai aucune autre sous la main...).
Mais d'accord avec Béa sur sa deuxième opinion. Etant entendu que le criminel est le fauteur de guerre, pas celui qui se défend...

Pendragon
avatar 07/09/2010 @ 14:44:47
Dites, et si on disait tout simplement que l'homme est une sale bête puante et que celui qui en a les moyens va tout faire pour devenir le chef de meute ?

Dès lors, cela explique que les USA qui sont les plus forts pour le moment (attendons les chinois) soient les "plus mauvais" mais que les autres pays n'aient pas été en reste en leur temps !

Vous en pensez quoi ?

P.

Bolcho
avatar 07/09/2010 @ 15:10:39

Le recours à la morale pour analyser les comportements des Etats est en tous les cas non pertinent


Pas d’accord

Je vais formuler différemment tout en exprimant ma position :

Le recours à la morale pour juger les faits historiques est pertinent

Et

A mon sens toute guerre est un crime


Oui, là j'ai un peu l'impression de n'avoir pas été assez précis : j'ai utilisé l'expression « analyser les comportements des Etats », et non les « juger », voulant dire que lesdits comportements ne sont pas décidés par les Etats au nom de la morale mais en fonction de leurs intérêts économiques, stratégiques ou autres, et cela, même si c'est la morale qu'ils mettent en avant. Il s'agit donc d'une analyse permettant la compréhension des motivations conduisant à tel ou tel comportement des Etats.
Pour ce qui est de « juger », cela me semble différent. Chomsky juge le comportement des Etats-Unis quand il dénonce leurs agissements militaires. Et moi aussi. Je suis évidemment d'accord avec Béatrice et Micharlemagne. Comme eux, je juge criminel le recours à la guerre.
La question du « fauteur de guerre » qu'aborde Micharlemagne se complique quand on prend en compte les actes d'agression non militaires qui laissent peu d'échappatoire aux Etats ou aux groupes de personnes ainsi mis sous pression. Ainsi l'embargo américain sur les ventes d'acier et de pétrole à destination du Japon en 1941 (je sais bien que, par ailleurs, le Japon était déjà agresseur dans la sphère asiatique), mais aussi les luttes d'émancipation coloniale (là, c'est plus clair). Ainsi également la domination d'une classe sociale sur une autre, qui n'est pas un acte de guerre mais qui laisse peu de choix aux dominés. On a là des exemples où le plus faible peut être amené à se présenter sous le jour de l'agresseur apparent.

Bolcho
avatar 07/09/2010 @ 15:14:22
Dites, et si on disait tout simplement que l'homme est une sale bête puante et que celui qui en a les moyens va tout faire pour devenir le chef de meute ?

Dès lors, cela explique que les USA qui sont les plus forts pour le moment (attendons les chinois) soient les "plus mauvais" mais que les autres pays n'aient pas été en reste en leur temps !

Vous en pensez quoi ?

P.


Sans être aussi imagé que Pendragon, qui risque là de nous faire retomber dans le vieux débat sur la "nature humaine", Chomsky ne dit pas autre chose : ce n'est pas la "nature" des habitants des Etats-Unis qui est mise en cause.

Pendragon
avatar 07/09/2010 @ 15:24:09
Ok Bolcho (et les autres), mais tu en penses quoi ? Parce que s'il s'agit bien de "nature humaine", dans ce cas, les américains ne sont pas pires que les autres, ils ont juste plus de moyens... et donc, est-ce que cela te gène car tu ne faisais un plaidoyer que contre les américains et pas contre l'homme en général ? Crois-tu vraiment que les ricains soient "pires" que les autres ? C'est un peu ça le sens de ma question...

C'est la vieille théorie des deux gars qui se battent... et puis un jour on donne un gourdin à l'un des deux et il tue l'autre ! Etant entendu que si on avait donné le gourdin à l'autre, la situation aurait été la même mais inversée... La question est : l'un des protagonistes est-il pire que l'autre ? Ou, pour être plus clair, se base-t-on sur des faits ou sur des intentions ?

(et je parle bien sûr en terme philosophique, je me fiche comme d'une guigne de ce qu'un juge dirait)

Virgile

avatar 07/09/2010 @ 15:40:10
Perso j'ai l'impression que c'est aussi inexact de penser que la nature humaine est foncièrement mauvaise que de penser qu'elle est foncièrement bonne. Je ne vois pas bien ce que c'est "la nature humaine", il me semble que c'est un concept très flou...

En terme philosophique pour juger un individu pire qu'un autre quel est le référentiel Pendragon? :op

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