Une saison de machettes de Jean Hatzfeld

Une saison de machettes de Jean Hatzfeld

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par CCRIDER, le 9 février 2004 (OTHIS, Inscrit le 10 janvier 2004, 76 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 226ème position).
Visites : 7 436  (depuis Novembre 2007)

L'homme est pire qu'un loup pour l'homme

Personne ne peut ressortir indemne de la lecture d'un tel livre . On est forcément éclaboussé , bouleversé . C'est une descente aux enfers , au plus profond de la férocité , de la sauvagerie , de la monstruosité humaine . Jean Hatzfeld nous y présente tous les éléments nécessaires pour comprendre vraiment le génocide tutsi au Rwanda en 1994 et pour cela mérite amplement son prix "Fémina- Catégorie Essais" .
Rappel des faits : en moins de trois mois , les Hutus massacrèrent 800 000 Tutsis , la plupart du temps en les décapitant à l'arme blanche . L'auteur qui , dans un livre précédent avait recueilli les témoignages des rescapés pleins de honte , s'attache à aller dans une prison interroger cette fois des tueurs sans complexes . Et ce qui frappe le plus , c'est le calme , la franchise , la naïveté même de leurs déclarations . Ils ont fait cela parce qu'ils en avaient reçu l' ordre , que tout le monde s'y était mis à la mort du président hutu et qu'il y avait beaucoup à gagner grâce aux pillages qui allaient avec .
Bien sûr , le livre , par le biais des annexes ( présentation du contexte historique , politique et sociologique ) montre l'importance de la propagande anti-tutsi à la radio , le climat de guerre civile du pays , le départ précipité de tous les blancs , de toutes les autorités morales et donc cette impression de vide et d'impunité totale qui régnait à ce moment .
Mais quand même , pas un mot de repentir chez ces simples paysans , qui pendant cent jours traquaient leurs voisins tutsis pour les trucider à la machette jusqu'au fin fond des marais . Ils faisaient cela méthodiquement comme s'ils avaient eu affaire à du bétail .Un seul regret : n'avoir pas pu mener complètement cette tâche à son terme !!!Le lecteur en a froid dans le dos . D'autant plus que l'auteur fait des rapprochements avec d'autres génocides ( khmer , arménien , gitan et surtout celui des juifs , bien sûr .)
Tous les mécanismes psychologiques de manipulation des masses sont pratiquement les mêmes . Seuls les moyens employés furent différents , industriels d'un côté , artisanaux de l'autre . Au Rwanda , on peut même parler de génocide de proximité . Alors qu'un occidental ne voit pas de différence entre un hutu et un tutsi , eux la font très bien ... et c'est le début du racisme: un peuple est plus grand par la taille , plus fin par les traits du visage , l'un est cultivateur , l'autre éleveur , l'un a le pouvoir , l'autre pas ...etc...Mais cela n'explique pourtant pas la raison profonde d'une telle horreur . Et on est bien obligé d'admettre la part de ténèbres , de sauvagerie inhérente à tout être humain qui fait que dans certaines circonstances , n'importe qui peut devenir pire qu'un loup pour un autre homme . Alors , vigilance . Les génocides ont jalonné l'Histoire du monde , ils peuvent ressurgir à tout moment et c'est CONSTERNANT .

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Les éditions

  • Une saison de machettes [Texte imprimé], récits Jean Hatzfeld
    de Hatzfeld, Jean
    Seuil / Fiction & Cie
    ISBN : 9782020612142 ; 19,30 € ; 22/08/2003 ; 312 p. ; Broché
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Accablant

8 étoiles

Critique de Odile93 (Epinay sur Seine, Inscrite le 20 décembre 2004, 69 ans) - 28 mars 2006

Ce livre-documentaire fait de témoignages étayés par une analyse comparative avec la Shoah et des compléments d'information sur le Rwanda est terrible.

Il m'est difficile de donner une note, j'ai lu ce livre par bribes et pas complètement car c'est insoutenable, ce récit, d'autant plus insoutenable, qu'en filigrane, on comprend qu'éventuellement de tels actes de barbarie pourraient revenir dans ce pays, qu'une étincelle peut tout faire rejaillir.

Le pire, le plus choquant, c'est qu'ils allaient tuer comme ils allaient au travail. C'était une tâche qu'il fallait accomplir, on ne peut pas dire, sans se poser de questions (machinalement, comment se peut-il?) puisque, au final, le but n'était pas que l'extermination froide. Au bout, la récompense: les pillages.

On descend bien bas et cette lecture est démoralisante. Donc lecture difficile mais très intéressante.

Rwanda 94 : témoignages de la monstruosité des hommes

8 étoiles

Critique de Voni (Moselle, Inscrite le 1 septembre 2005, 64 ans) - 5 novembre 2005

Par tous ces témoignages des tueurs hutus du génocide rwandais, on pénètre un peu le processus des êtres humains qui se dépossèdent littérallement de leur âme sous l’emprise d’une manipulation de masse. Ces hommes dont le travail rythmé, réglé était d’aller “couper” aussi naturellement que d’autres pouvaient aller “au charbon”. Dans une épouvantable consternation, une insupportable stuppeur, on comprend certains mécanismes de ces comportements de meute qui mènent à une cruauté collective, à une monstruosité humaine. Les génocidaires livrent leurs témoignages sans repentir ni mauvaise conscience banalisant naïvement leur “travail”.
Et Dieu dans tout ça ? Ils l’avaient délibérément mis en suspension le temps d’accomplir leur besogne…
Ce livre est un terrible documentaire, Horrible ! Je l’ai abordé petit à petit, à doses infimes entrecoupées de multiples autres lectures résolument plus distrayantes. Effort conséquent, certes, mais indispensable pour appréhender l’ignominie, la barbarie. C’est sûr qu’à ce rythme-là, il m’a fallu du temps mais bien nécessaire pour parvenir à endurer jusqu’au bout.

Le bateau îvre !

8 étoiles

Critique de Léonce_laplanche (Périgueux, Inscrit le 22 octobre 2004, 87 ans) - 15 décembre 2004

L'auteur apporte un témoignage rétrospectif sur les massacres qui ont eu lieu au Rwanda au cours de l'année 1994.
En fait, le terme de génocide est plus approprié.
Apres avoir donné la parole aux Tutsis rescapés dans " Le nu de la vie : Récits des marais rwandais" en 2000, il a recueilli dans ce livre les paroles des Hutus responsables des tueries.
Pour moi, il s'agit davantage d'un document que d'un récit, l'auteur, d'une intégrité exemplaire a pris toutes les précautions pour ne présenter que des faits et témoignages, sans jamais porter de jugement de valeur.
Le résultat est exemplaire.
Hatzfeld a rencontré les présumés assassins dans leur prison, généralement en groupe, car dans ces conditions ils parlaient plus facilement.
Avant leur jugement.
Le livre n'a été publié qu'après que la justice (pas bien sévère !) ne soit rendue, afin de ne rien influencer.
Les prisonniers ont manifesté l'envie de raconter ce brouhaha de l'extermination, peut-être pour renouer avec les braves cultivateurs ou instituteurs qu'ils étaient autrefois !
L'un des protagonistes dit : "La règle n°1 c'était de tuer, la règle n°2. il n'y avait pas de règle n°2 !"
Les faits sont tellement clairs et bien agencés qu'au bout d'une centaine de pages on a tout compris, mais l’auteur rend compte jusqu’au bout.
J'ai noté que les femmes Hutus, moins abruties par l'alcool ont apprécié clairement la situation des le début. Elles n'ont pas participé aux massacres, mais malheureusement n'ont pas non plus été écoutées par leur époux.
Même si je ne donne pas une note maximale ( les tueries me répugnent et me font tourner les pages plus vite), j’ai une grande admiration pour l’auteur et la qualité du travail qu’il a réalisé afin de publier cet ouvrage.

Génocide version tueurs

7 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 28 avril 2004

C'est en 1994 que Jean Hatzfeld effectue son premier périple au Rwanda. Depuis, il n'a cessé de multiplier les voyages au pays des mille collines, rassemblant des témoignages oraux et écrits des survivants du génocide, qu'ils soient victimes ou tueurs.
Hatzfeld est-il allé trop loin dans sa démarche ? Lui-même avoue l'ignorer, mais il estime qu'il était important d'apporter un début de réponse à "Dans le nu de la vie", donnant la parole à quatorze rescapés Tutsis. Les tueurs devaient, eux aussi, avoir droit au chapitre. Et condition incontournable, avoir déjà été condamnés avant d'être entendus par l'auteur. Histoire que ces témoignagnes ne puissent influencer aucun jugement officiel. Ces détenus de la prison de Rilima, jugés pour participation au génocide rwandais, se sont résignés à l'idée de ne jamais sortir de prison, ne jamais revoir les leurs et donc ne jamais devoir baisser les yeux devant eux ni supporter le poids de leurs crimes face au regard des autres. C'est en compagnie d'Innocent Rwililiza, un enseignant tutsi, que Jean Hatzfeld a rencontré chaque jour ces prisonniers à vie. Lorsque le soir il rentrait dormir chez ses amis tutsis, les questions qu'il pensait voir naître n'ont jamais franchi le passage de la parole. Le pardon étant impossible à donner pour les Tutsis, inutile pour eux d'ajouter à la souffrance un quelconque sentiment de culpabilité. On peut comprendre leur démarche de silence.
Jean Hatzfeld a souvent failli craquer devant les monstruosités qu'il entendait. Il a eu besoin alors de se plonger dans l'histoire de la Shoah pour comprendre les mécanismes d'un génocide et tenter d'y voir plus clair, de coller des bouts d'explication sur le drame rwandais.
"On ne peut pas envisager le génocide et quand on est obligé d'y croire, il est trop tard !"
Contrairement à son précédent livre qui laissait champ libre à la voix des rescapés, "Une saison de machettes" présente les témoignages des tueurs sous formes de thèmes, d'interventions classées par sujet, le nombre conjoint de témoins accentuant la notion d'acte de groupe commis par des personnalités à part entière.
Un livre qui ne fera pas accepter plus facilement le drame du Rwanda, c'est certain, mais qui permettra peut-être d'en comprendre certains mécanismes.

Un génocide de proximité

9 étoiles

Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 12 avril 2004

Après avoir recueilli les récits des rescapés tutsis du génocide rwandais dans un livre précédent ( "Dans le nu de la vie"), Jean Hatzfeld a interviewé les tueurs hutus: une bande de copains de longue date, habitant le même village et attendant à la prison de Rilima leur libération. Le récit nous livre leurs témoignages, entrecoupés de chapitres qui les mettent en perspective.
Dans ces témoignages, les tueurs évoquent le quotidien de ce printemps 94 où ils allaient tuer dans les marais comme d'autres vont cultiver leurs champs. Comment de simples paysans, des artisans, des fonctionnaires ont-ils pu plonger dans une folie collective et tuer à la machette, leurs voisins, leurs amis, des enfants....? Une question lancinante que ces témoignages éclairent un peu sans justifier l'innomable.
Voici un témoignage parmi d'autres, celui de Pancrace : "Tuer, c'est très décourageant si tu dois prendre toi-même la décision de le faire, même un animal. Mais si tu dois obéir à des consignes des autorités, si tu as été convenablement sensibilisé, si tu te sens poussé et tiré; si tu vois que la tuerie sera totale et sans conséquence néfastes dans l'avenir, tu te sens apaisé et rasséréné. Tu y vas sans plus de gène...." Une impunité que les Hutus ressentaient après le départ des armées européennes et des missionnaires.
Ce livre est évidemment très dur et souvent dérangeant tant les tueurs semblent tellement "naïfs" dans leurs explications. Ainsi, quand ils évoquent leur éventuel pardon par les Tutsis et leur retour dans la vie villageoise, les tueurs ne doutent pas qu'ils seront pardonnés et pourront vivre comme si rien ne s'était passé, sans même penser à leurs victimes, qui elles passent des nuits remplies de cauchemars atroces.
L'auteur tente aussi des comparaisons avec le génocide juif. Mais les différences sont nombreuses. Au Rwanda, le génocide était un "génocide de proximité" : une tuerie entre des gens qui habitaient les mêmes villages, qui se connaissaient, se côtoyaent jour après jour, jouaient dans les mêmes clubs sportifs,....La Shoah était quant à elle beaucoup plus étendue touchant tous les Juifs d'Europe. Autre différence : au Rwanda, les tueurs employaient des moyens artisanaux (machettes, ....) tandis que les allemands utilisaient des moyens industriels et "travaillaient à grande échelle". Au delà de ces faits, ils restent les morts qui, dans ces deux périodes tragiques de l'Histoire, ne peuvent plus se compter.
Alors que l'on vient de commémorer les dix ans du génocide rwandais, ce livre se révèle essentiel pour tenter de comprendre ce mystère éternel, celui du mal absolu, qui se réveille encore trop souvent chez les êtres humains.

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