Le désir demeuré de Christine Aventin

Le désir demeuré de Christine Aventin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 26 août 2005 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 113ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 5 349  (depuis Novembre 2007)

Le jeu de la mort et du désir.

"Le désir demeuré", publié en 2001 chez Ancrage, une maison disparue depuis quelques années, marque le retour à l’écriture de Christine Aventin plus de dix ans après son deuxième roman de jeunesse, Le diable peint.

Œuvre courte et déroutante que ce roman de cent pages à peine où Aventin explore les cavités concentriques du désir et de la mort dans une structure narrative très travaillée (qui n’est pas sans annoncer les contraintes oulipiennes qu’elle s’imposera en 2004 dans Portrait nu). Le récit est divisé en neuf chapitres, mais dont la numérotation, d’abord classique, s’inverse après le cinquième pour revenir à 1 au terme d’une sorte de compte à rebours ; dans chaque chapitre, on observe une alternance première personne / troisième personne (avec, de nouveau, inversion après le cinquième – les cinq premiers donnant d’abord la parole au « je », les quatre derniers au « elle ») ; le nombre de subdivisions narratives de chacun des chapitres est inversement proportionnel à leur numérotation : dix pour le chapitre 1, 8 pour le 2 et ainsi de suite jusqu’à 2 pour le 5, cette sorte d’effacement progressif s’inversant à nouveau après le chapitre central, la pointe de la pyramide en somme, pour connaître, dans la deuxième partie, une nouvelle croissance, ramenant le nombre de parties à 10 dans l’ultime (dernier et « premier ») chapitre ; enfin, les personnages recouverts par le « je » et le « elle » sont également différents dans les cinq premiers chapitres et les quatre derniers : « elle », c’est d’abord Laurine, la figure de jeune fille morte autour de laquelle s’organise tout l’univers du roman, qui peut être perçu aussi bien comme son portrait impressionniste que comme une définition patchwork du désir – « je », au début, c’est l’innommé frère de Laurine, son clone en somme, né un an après le suicide de sa sœur pour la remplacer, l’effacer plus exactement – « elle » et « je », dans les quatre derniers chapitres, semblent représenter le même être, « la blonde », « l’amie », cette femme qui a aimé Laurine avant de souffrir par elle, cette femme vieillissante qui, aujourd’hui, espère retrouver la sœur dans le frère (« la retrouver en lui et qu’il tombe amoureux »).

Cela, c’est pour les données objectives, presque mathématiques. Mais il est possible à un lecteur distrait (voire à un lecteur attentif) de se perdre dans ces circonvolutions, ces cercles infernaux où les protagonistes eux-mêmes semblent s’égarer, car tout, en somme, est perçu par les regards du frère et de l’amie blonde qui, chacun à son tour, reconstruisent des fragments de Laurine. Fragments « réels » ou « imaginaires » ? Qu’importe. Est-il d’ailleurs possible de faire la distinction dans un univers romanesque où tout est de mots, rien que de mots ? « Elle s’invente des histoires qu’il suffit de raconter pour qu’elles deviennent vraies », « Il lui semble parfois qu’elle a tout inventé. Du bruit de la mer à la mort – elle y vient – de Laurine. » Inventer des histoires pour qu’elles deviennent vraies… c’est ça, la littérature, non ?
L’essentiel n’est pas là. Le désir demeuré n’a pas à être jugé sur le critère d’une vérité absolue, en quelque sorte révélée. Car ce n’est pas un roman réaliste. Et ce n’est pas seulement une habile construction narrative. Dès l’incipit, on est sous le charme d’un ton, d’une écriture, comme on entre dans la peau d’un type mal dans sa peau, un frère qui sait qu’il ne doit la vie qu’à la mort d’une autre : « Ce fut, comme chaque fois, le réveil chiffon. A l’heure dite et non tenue, la sonnerie s’est vidé les rouages. Mais du fond des paupières froissées, on n’a pas entendu ! La matinée semble inaccomplie – Tant de choses à faire, infiniment reportées à demain – bouffée par un sommeil qui ne répare rien ; Un sommeil vorace qui vous dévore aussi et vous laisse traîner là, comme les os sur le bord d’une assiette. »
Une langue hybride, entre l’ellipse essoufflée et la comparaison léchée : « Des bougies ont brûlé, et la cire coulé comme un désir de femme », « Une saison comme un disque rayé qui rejoue sans ennui sa dernière giboulée », « Elle attendait cette heure, chienne et louve, des ciels de Magritte, où les méfiances se relâchent, se pénètrent les secrets, des châteaux en ruine, de sable ».
Et cette exploration en profondeur des frontières ténues entre désir, plaisir et mort, avec la douleur pour point d’orgue :
« Les désirs sont vécus à couteau tirés et c’est en lambeaux que la chair se détache de l’âme. »
« Il faudra le lui dire, deux ans ont passé comme un hiver au chaud ; il est temps de souffrir. »
« Elle s’est juré infidélité. Et la blonde ne lui manque plus. »
« Car aimer n’est plus dans ses cordes, car il y a trop de corps à vivre pour en revoir aucun, et qu’il en est de l’irrésistible envie comme du fou rire : Sait-on pourquoi on veut, et pourquoi tout à coup plus ? »
« Le désir, c’est de respirer ! Et d’un corps pour inventer le sien ! Et d’être pourfendue ! Et de tomber, comme un mouchoir, des doigts de la blonde. »
« Le plaisir, c’est la mort en jouet. »
« Le choix ne se pose qu’entre deux désespoirs : elle a toujours préféré l’oubli, elle va essayer la douleur. Pour une fois. »
« Quiconque a aimé tôt ou tard le sait : la plus vive douleur vient avec l’oubli de la voix. »
« Noces et funérailles se célèbrent ensemble. »

Et tout ça sur fond brumeux, pluvieux, neigeux de Toussaint et de Nouvel An, avec un fleuve où des clochards noient des chatons et une passerelle pour traverser le fleuve, l’écharpe autour du cou, dans des aubes grises, poreuses, où l’on respire l’odeur humide, presque simenonienne, de la Meuse et de Liège, n’étaient les métaphores : « L’eau se glisse en dessous des ponts, sous un ciel qui absorbe patiemment la nuit ; Un buvard sur une tache d’encre », « L’aube d’ailleurs hésite et tout hésite avec elle entre un jour vécu de plus et un jour à vivre en moins. »

"Le désir demeuré", de Christine Aventin. Un livre naufragé dans le naufrage des éditions Ancrage… A quand sa réédition ?

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Quand le désir demeure

8 étoiles

Critique de Menina (, Inscrite le 24 mars 2007, 39 ans) - 24 mars 2007

Un homme.
Une femme.
Deux voix s'alternent.
On ne comprend pas tout de suite les liens qui les lient. Puis, on réalise. Un suicide. Un vide. Et un fils pour combler l'absence. La soeur disparue, Laurine, puis le frère, né pour la remplacer.

Lui, il tente de survivre à cette absence, au non-sens de sa naissance. "Je suis le fils, jeté au monde"
Laurine, elle retrace son amour brisé. Cette femme qui l'a laissée partir un beau matin, sans rien dire.

Mais le désir demeure, même après la mort. Et cette femme ne regrettera jamais assez son silence...

C'est fait ! C'est réédité

10 étoiles

Critique de Lectriceavide (Liège, Inscrite le 17 décembre 2004, 63 ans) - 23 mars 2007

Cher Lucien et autres lecteurs du Désir demeuré, première version, et futurs lecteurs du Désir demeuré,
Cette réponse à votre post pour vous dire que, deux ans plus tard, c'est fait ! Le Désir demeuré est réédité. Et c'est bien sûr aux Editions du Somnambule Equivoque
www.lesomnambule.be
En plus, c'est une toute nouvelle version du Désir qui nous est proposée, encore améliorée !

Faire écho à la mort

5 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 26 août 2005

Laurine incarne la mort, la jeune femme s'est suicidée. Pour pallier à son absence, il y a son frère, portrait de sa soeur, rappel permanent de cet amour disparu. Pas évident de vivre avec une telle pression, un tel passé affiché sur le visage. Le frère tente de se souvenir, de faire revivre sa soeur comme il peut.
Narration à double visage. Celle de ce jeune homme qui donne un nouveau souffle à la vie disparue de sa soeur, comme un écho. Et narration de l'amour, celle de l'amante blonde de Laurine, celle de ses compagnes épéhémères, narration féminine qui nous place de l'autre côté, comme si les deux êtres se parlaient en miroir. Dialogue destiné à s'affranchir de la mort et à se découvrir, à s'imbriquer dans l'autre qui fait partie de soi.

Petit livre dense, parfois un peu confus, il faut suivre sans se heurter ces digressions et ces monologues, ces changements incessants de personnage.
Passé cette difficulté qui peut désarçonner au premier abord, le lecteur se retrouve confronté au style de Christine Aventin, alors toute jeune auteur. Quelques longueurs, un peu de maladresse, mais beaucoup de force et d'émotion. On sent la plume qui tremble et l'envie d'écrire, ce besoin d'exploser et de confier ses émois à une page blanche. Cela explique peut-être le côté maladroit, voire immature du texte, et en même temps, ce récit dégage beaucoup de choses, de puissance, le contenu est très fort.
Lecture intéressante sans être un coup de foudre.

Forums: Le désir demeuré

  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  ISBN 9 Lucien 26 août 2005 @ 18:08

Autres discussion autour de Le désir demeuré »