La mer, la mer de Iris Murdoch

La mer, la mer de Iris Murdoch
( The sea, the sea)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Féline, le 17 février 2005 (Binche, Inscrite le 27 juin 2002, 45 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 576ème position).
Visites : 7 244  (depuis Novembre 2007)

Fausses mémoires pour vrai roman !

Iris Murdoch a reçu le célèbre Booker Prize en 1978 pour ce roman dans lequel elle donne la parole à Charles Arrowby, célèbre acteur et metteur en scène du théâtre londonien, qui nous livre ses mémoires. Comme le souligne la quatrième de couverture : « En un temps où pleuvent tant de Mémoires de metteurs en scène et d’acteurs, à l’authenticité plus ou moins douteuse, ce livre constitue un « faux » délectable ». Et en effet, délectable il l’est ! On retrouve les thèmes chers à la romancière : la solitude, le remords, le sens de la vie, les relations entre les hommes, le mariage, le célibat mais aussi la religion, la vengeance et tout ce qui a trait à l’être humain. Elle aime aussi mettre une pincée de surnaturel, avec l’air de ne pas y toucher, pour relever le comique ou le tragique de certaines situations.

Charles Arrowby, arrivé à un certain âge (que l’on ne cite jamais mais qui semble proche de la retraite), décide de quitter le monde du faste et du superficiel de la vie théâtrale londonienne et part s’isoler dans une vieille bâtisse proche de la mer. Là, il souhaite renouer avec la solitude et les vraies valeurs de la vie. Mais un célèbre acteur peut-il réussir à réellement s’isoler ? On verra rapidement que non ! Bien vite, les visites se succèdent à Shruff End : les amis, les anciennes conquêtes et même James, le cousin rival. Tout ce petit monde haut en couleurs trouble les paisibles journées de Charles, ses baignades et ses délires dans lesquels il revit son passé et qui le poussent à entamer la rédaction d’une autobiographie. Jusqu’au jour où il croise Hartley, son amour de jeunesse qu’il n’a jamais pu oublier et qui, selon lui, est la raison pour laquelle il ne s’est jamais marié et n’a plus jamais vraiment aimé. A partir de là, le roman qui s’appesantissait et traînait en longueur, devient littéralement baroque et déjanté. Charles décide de tout faire pour la re-séduire et la voler à son époux, qui semble être une brute épaisse ! Las, la jeune femme fraîche et épanouie semble s’être transformée en vieillarde défraîchie et timorée, à la limite de la folie et terrorisée par tout et tous. Qu’importe, Charles sait qu’il l’aime et fera tout pour reconquérir son cœur, même la séquestrer dans un cagibi s’il le faut ! Sans parler de tous les autres personnages, plus pittoresques les uns que les autres, qui n’hésitent pas à s’en mêler, le tableau n’est pas des plus tristes !

Malgré le caractère comique des situations et de l’histoire, on sent poindre en arrière fond, une pointe de tristesse, d’ironie et de cruauté. Tout n’est pas rose pour les personnages et I. Murdoch n’épargne pas les gens du milieu huppé londonien et leurs faiblesses. Elle a l’œil juste pour taper où il faut, pour épingler les petites misères humaines. Iris Murdoch est une grande romancière, selon moi, qui ne connaît pas la notoriété qu’elle mérite de ce côté-ci de la Manche. Malgré tout, ses livres ne sont pas toujours facile d’accès et il faut avoir l’envie de s’immerger dans son monde et dans son écriture brillante et précise.

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"Il n'y a jamais eu de place pour notre amour dans le monde réel".

9 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 20 octobre 2011

« La mer a toujours eu sur l’esprit un effet délassant, c’est bon de voir la ligne nette de l’horizon ».

C’est cela que vient chercher le très célèbre Charles Arrowby, lorsqu’il choisit de quitter l’effervescence d’un monde un peu factice pour se replier dans une bicoque au bord de la mer : la quiétude.
Arrivé à l’automne de sa vie, il ressent le besoin de se retrouver face à lui-même, de se recentrer, de revenir à un mode de vie plus sain et plus primitif.
Ne parvenant pas à rédiger ses mémoires comme il se l’était promis, il raconte dans un premier temps son quotidien, sous la forme d’un journal où se mêlent anecdotes on ne peut plus futiles (mais qui n’ennuient jamais), confessions, réflexions et tourments personnels.

Puis, au fur et à mesure que le temps passe (et pour lui, et pour nous), cette belle sérénité se voit dérangée par des visites intempestives qui ne vont cesser de s’enchaîner et perturber de manière définitive les belles perspectives de calme que le narrateur avait envisagées.
Sans compter que, fait non négligeable et même central, concomitamment à ces irruptions incessantes Charles retrouve fortuitement Hartley, son grand amour de jeunesse, et qui, surgie du passé, va occuper tout le présent, l’accaparer tout entier et raviver ses éternel questionnements.
Femmes, famille, amis semblent s’être donné le mot pour nuire à la tranquillité de Charles, qui de fil en aiguille va passer des petits plats savamment concoctés aux boîtes de conserve grignotées à la hâte, du journal écrit au quotidien au roman qui relate à retardement, et d’un sentiment de complétude à la perte de contrôle de sa vie.

A l’image de la mer, imprévisible, sournoise et changeante, divine et monstrueuse.

C’est là la formidable réussite de ce livre, ce fabuleux crescendo dans le déroulement des évènements, dont on ne sait plus finalement s’ils sont réels ou non, crescendo transcrit avec excellence par une écriture dense, des dialogues pleins de naturel, et une structure narrative subtile, avec enchâssement du présent, du passé, du passé proche, du passé lointain, des récits différés ou au contraire pratiquement en direct.
Le trouble s’installe insidieusement, ainsi que les drames et l’incertitude, dans un flou vaporeux que la présence de la mer réactive sans cesse.

Des vagues d’émotions.
Avec en filigrane cette obsédante réalité : il faut régler ses comptes avec le passé. Parce que de toute façon il nous rattrape toujours. Inexorablement.

La mer pour toile de fond

8 étoiles

Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 68 ans) - 21 décembre 2010

C'est à une véritable pièce de théâtre avec la mer, toujours changeante, pour toile de fond à laquelle nous avons l’impression d’assister.
Charles Arrowby, vieil acteur et metteur en scène dans la soixante, égocentrique et un peu fou, décide de se retirer au bord de la mer, dans une improbable maison sans électricité et sans chauffage.
Le livre est divisé en « Histoires », comme les différentes scènes d’une pièce de théâtre.
Charles Arrowby qui a voulu fuir la foule déchaînée du monde théâtral londonien se retrouve bientôt l'hôte forcé d’anciennes maîtresses et de différents personnages qui ont peuplé sa vie mondaine.
Peregrine, l’irlandais alcoolique, Lizzie, la douce Lizzie, Rosina, la femme qu’il a ravie à Pérégrine, Gilbert, vieil acteur de théâtre faisant une belle carrière à la télévision font irruption dans sa retraite, viennent lui demander des comptes et puis se retirent en laissant à chaque fois des sédiments dans sa tête et dans son cœur. Et puis il y a James, son cousin James, toujours admiré et envié. Qui est James, cet homme mystérieux, rationnel, froid et pourtant…
Et que dire de Hartley, la femme qu’il a aimée lorsqu’il était adolescent et qu’il retrouve, comme par un coup de baguette magique ? Elle est devenue vieille, laide, à la limite de la débilité mentale et Charles persiste à dire et à se dire qu’elle est le seul véritable amour de sa vie et imagine, tel un érotomane qu’il est le seul homme qu’elle a aimé alors qu’elle ne cesse de lui dire le contraire.
Murdoch nous mène littéralement en bateau en nous parlant d’amour, de théâtre, de filiation, d’apparences, de la vérité profonde des êtres, toujours différente de ce que l’on imagine. C’est à la fois drôle, triste et cruel. Qui est réellement Charles Arrowby, le sait-il lui-même ?

De l'eau qui dort

9 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 23 avril 2010

Iris Murdoch est bien trop peu connue en France, où sa notoriété est inversement proportionnelle au nombre d’ouvrages qu’elle a publiés et de prix qu’elle a glanés, ou du moins effleurés. Bien entendu, il est des écrivains qui ont écrit beaucoup de mauvaises choses et d’autres très peu de bonnes. Certains ont même reçu des prix pour cela car, après tout, et comme le disait avec sévérité et mauvaise foi un ami d’Erofeïev resté anonyme et néanmoins fameux, « le comité du prix Nobel ne fait erreur qu’une fois par an ». Aussi, débuter une critique par le nombre de prix remportés par un auteur et la quantité de ses ouvrages est sans doute une très mauvaise chose. Il n’en demeure pas moins qu’Iris Murdoch, en France, n’est pas reconnue à sa juste valeur.

Alors, plutôt que d’insister sur ses nombreuses distinctions, je ferais sans doute mieux de parler de The Sea, the Sea, pour lequel elle reçut, en 1978, le prestigieux Booker Prize – mais je retombe dans mes travers. La mer, répétée deux fois sans doute parce qu’elle est omniprésente, peut-être aussi comme quand on en parle avec connivence, des points de suspension et un soupir, sans en dire plus, parce que cela suffit à traduire tout ce que l’on en pense et les multiples visages qu’adopte tour à tour cette étendue infinie dans laquelle, immanquablement, on se noie. C’est d’ailleurs en quelque sorte pour se noyer que Charles Arrowby, acteur et dramaturge fraîchement retraité dont l’amour propre ne lui permet que de confier qu’il a plus de soixante ans, sans rentrer dans les détails – c'est donc pour se noyer que Charles Arrowby a choisi d’élire domicile dans une improbable bicoque, sans eau ni électricité, dont les fenêtre, à l’étage, ne s’ouvrent que sur cette vaste étendue bleue dans laquelle, chaque jour, il trempe son corps dénudé, bien décidé à vivre le reste du temps une vie d’ascète faite de repas équilibrés, de lectures, et surtout de l’écriture de quelque chose qui reste encore assez vague et oscillant entre autobiographie, mémoires et journal.

Bien sûr, présenté comme ça, les souvenirs d’un vieil égocentrique vaguement exhibitionniste qui fait trempette dans son coin de mer, ce n'est pas forcément enthousiasmant. Et pourtant, aussitôt rentré dans le livre, on est pris par la prose de Murdoch/Arrowby qui semble réellement écrire comme ça lui vient, ce qui a le mérite de rendre le récit extrêmement vivant, et ce dès la première partie dont l’intérêt principal, et néanmoins certain, est de confier au lecteur, sur le ton de la confidence, les recettes des petits plats que se mijote le très diététique acteur. Bien vite, cependant, il se fait encore plus intéressant lorsqu’il nous évoque certaines des figures les plus emblématiques de sa profession qu’il a eu le plaisir de côtoyer, d’aimer parfois. Et puis voilà que, non contentes d’être simplement évoquées, ces figures excentriques surgies d’un passé récent viennent rendre visite à Charles, le hanter littéralement comme cet étrange serpent de mer dont il attribue la vision à une stupide prise de LSD, des années avant. Et petit à petit, c’est ce passé, que Charles s’était décidé à fuir en se réfugiant au bord de mer, qui le retrouve, le poursuit et l’obsède, et exacerbe des sentiments enfouis sous le nombre des années jusqu’à l’en rendre plus que presque fou.

Pour l’auteur, c’est l’occasion, en plus de nous introduire toute une galerie de personnages charismatiques et pour le moins hauts en couleur, d’aborder certains thèmes forts comme le souvenir et surtout toutes les dérives de l’amour : obsession, haine, jalousie, aveuglement, possessivité, violence et au centre de tout cela, cette incapacité à concevoir et à accepter que l’être aimé – ou ne serait-il finalement que désiré ? – puisse être heureux sans celui qui l’aime et pour qui il représente tout. Oui, The Sea, the Sea est un roman d’amour, mais dénué de toute espèce de mièvrerie, presque malsain tant il retourne chaque aspect et chaque expression de ce sentiment idéalisé – amour romantique et charnel, bien sûr, mais aussi filiation, fraternité, admiration, amitié – pour mieux insister sur ses pires travers, sur la folie à laquelle il mène presque inéluctablement jusqu’à ce que, finalement, un drame ou un départ force les choses à rentrer dans l’ordre, annihile tout.

Heureusement, à côté de cette folie, subsistent des êtres exceptionnels que la maîtrise de magies obscures, la connaissance d’arcanes mystérieux font presque passer pour insensibles et comme trop rationnels. Et pourtant, ces êtres rejetés, jalousés, possèdent le pouvoir de sauver les fous, mais chacun de leurs actes a des conséquences et des plus grands miracles naissent les plus grands drames. Ce sont dans ces êtres presque surnaturels que réside l’équilibre du monde et toute rupture dans la balance doit immédiatement être compensée, ne leur laissant plus, incapables qu’ils sont de dominer le monde, que l’unique privilège de choisir quand ils le laisseront derrière eux pour partir vers un ailleurs inconnu, et qui leur laisse un dernier sourire aux lèvres.

Cette débauche de folie n’était-elle qu’une diversion pour adresser quelque chose de bien plus fort et de bien plus mystérieux, une sérénité métaphysique, chamanique, surnaturelle ? Murdoch brouille les cartes et nous entraîne dans un livre magnifique qui, à tout point de vue, dépasse amplement les fausses mémoires d’un people retiré.

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