L'ange déchu, vie de Jack Kerouac de Steve Turner

L'ange déchu, vie de Jack Kerouac de Steve Turner

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Lamanus, le 3 février 2005 (Bergerac, Inscrit le 27 janvier 2005, 65 ans)
La note : 9 étoiles
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Whisky, Peyotl & Beat

La beat generation a eu son sphinx : Jack Kerouac, à l’instar de notre actuelle bête génération qui célèbre sa sphinge : A. Nothomb — cherchez l’erreur. L’ange déchu (une vie de Jack Kerouac) de Steve Turner nous fait redécouvrir l’auteur de Sur la route.
Il y a dans ce livre, et ce n’est pas sa moindre qualité, une quantité de photos de Jack Kerouac et du petit monde qui gravitait dans les années 50/70 dans la mouvance de la beat generation (Cassidy, Rexroth, Ginsberg...) On commence donc par feuilleter l’ouvrage par le petit bout de la lorgnette. La photographie qui pour moi est la plus émouvante se situe page 204 en haut à droite. L’on voit J. K. vautré dans un fauteuil, bouffi d’alcool, le regard noyé, les traits avachis, le tee-shirt sale, bref la dégaine de l’alcoolo dans toute sa grandeur et sa décadence. Elle a été prise quelques semaines avant sa mort d’un ulcère variqueux à l’estomac.
Kerouac disait sans malice ni provocation : « Je suis un beatnik et je suis un catholique. » C’est sous cet angle, la religion dans l’œuvre de J. K., que Steve Turner a bâti sa biographie. Il va disséquer les rapports ambigus entre l’auteur de Sur la route et la religion, tantôt catholique tantôt bouddhique, avec laquelle, toute sa vie, il entretiendra des relations profondes et conflictuelles.
Voilà un homme, Kerouac, qui va donner naissance à une révolution littéraire et qui corrélativement se sentira toujours plus ou moins un raté tout en affirmant être un génie de la littérature du Xxe siècle. Contradictions qui le mèneront en droite ligne à la consommation sans modération de whisky (la société en ce temps-là ne prenait pas par la main le citoyen en lui serinant que l’abus d’alcool est dangereux et que la cigarette tue), et à la prise de drogues plus ou moins “houlala” (à côté de certains beatniks, Bob Marley avec ses pétards sept feuilles fait figure de brave père de famille cotisant pour sa retraite) sous la houlette de gentleman Burroughs, inventeur de La machine molle, du Festin nu & de l’excellent Dead Fingers.
Steve Turner nous fait suivre pas à pas l’évolution de J. K. dans un environnement délétère comme diraient messieurs les censeurs. Nous croisons par exemple un gars nommé Neal Cassidy, son meilleur copain, avec qui il fera la route durant dix années et qui sera le Dean Moriarty de Sur la route. Neal qui lui aussi mourra dans la quarantaine — les deux dernières années de sa vie il ne se déplaçait pas sans un marteau avec lequel il tapait contre les murs —, consumé par une vie d’excès (sans pour autant donner un sens péjoratif au mot excès).
Et puis les femmes aussi. Si la beat generation s’est signalée dans des domaines aussi variés que la littérature, la musique (Dylan et sa voix de fausset métallique) et l’art (Pollock et son dripping), elle s’est aussi caractérisée par sa liberté sexuelle. On forniquait comme des damnés et les femmes devinrent l’une des composantes essentielles de ce mouvement. Kerouac ne resta jamais en reste, même si le bon Dieu voyait ses libations d’un mauvais œil.
C’est seul ou presque que meurt Kerouac, alors que l’unique femme qui compta vraiment fut sa mère (ça l’fait pas comme disent de nos jours nos jeunes outlaws scotchés devant la Star Academy à la télé). Drôle de Jack qui fera de sa vie une transgression sans fin, mortelle, et qui parallèlement sera un le gentil bébé à sa maman adorée.
Seulement voilà, ce sont ces antinomies entre l’homme public, ivre, drogué, auteur de génie et sa vie intérieure profondément respectueuse de sa mère et de Dieu, qui justifient qu’on s’attache à lui.
Certains écrivains contemporains qui font commerce de leur vie et de leur corps au travers de pages insipides et voyeuristes feraient bien de relire Kerouac, ils changeraient à coup sûr leur stylo d’épaule et iraient voir ailleurs s’ils y sont. J. K. n’avait vocation, comme il l’affirmait, à n’écrire que sur lui-même, ses expériences, sa vie ; et pourtant ce sont des romans universels qu’il nous a donné à lire et relire.
Kerouac a pulvérisé les dictats de la littérature de son siècle, l’a atomisée et a pris tellement d’avance que nous ne savons pas encore qui le rattrapera.
À brûler la vie par les deux bouts on meurt tôt, mais cela ne vaut-il pas mieux, quand on est un écrivain et un créateur, que de mourir vieux, le cul sur une chaise d’Académicien ? Ce qui étouffe et abâtardit de nos jours la littérature (et plus généralement la société des hommes), n’est-ce pas le conformisme et la pusillanimité des mœurs ?

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