Le quart de Nikos Kavvadias

Le quart de Nikos Kavvadias

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Maroni, le 27 décembre 2004 (Inscrit le 13 décembre 2004, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 832ème position).
Visites : 4 833  (depuis Novembre 2007)

Humain, trop humain

Un texte que je relis régulièrement depuis une quinzaine d’années, que j’ouvre au hasard et dans lequel je m’immerge.
Nous sommes à la fin des années 40, un cargo hors d’âge fait route vers la Chine. Les marins grecs qui sont à son bord se racontent, ressassent leurs vies, leurs échecs, leurs amours. Parlent de leurs mères, de leurs femmes, des putains. Tout y passe : les virées dans les ports, les trafics minables, les traversées sans fin, la vérole, la vie en mer et à terre.
Ce texte est cru, parfois obscène, parfois quasiment onirique. C’est le seul roman de Nikos Kavvadias qui a passé sa vie comme radio-télégraphiste sur des navires.
C’est un très grand texte sur la condition humaine et, pour moi, un sommet de la littérature.

En voici trois brefs extraits :

« Je voudrais qu’on oublie aussi mes ossements, mais dans un bordel. Et que les femmes s’en servent comme canules pour leurs bocks, comme fume-cigarettes, comme sifflets ».

« Alors Blanche, qui possédait la maison aux miroirs à Beyrouth, une autre à Alep et une troisième à Damas, qui en levant ses bras épais faisait tinter sur chacun d’eux cinq rangées de bracelets d’or, dont on estimait la fortune à vingt mille livres-or, Blanche qui pouvait parler jour et nuit sans être épuisée, s’est levée péniblement, est venue près, très près de moi, droit devant moi, a ouvert la bouche et tiré la langue, ce qui en restait, ce qu’en avaient laissé subsister le radium et la maladie ».

« - Pourquoi glisses-tu de mes mains ? Où es-tu ? J’ai un nouveau tatouage à te montrer. Ne t’éveille pas… Là, comme tu es, je te mettrai en figure de proue. Petite fille. Prends-moi par la main pour me montrer le monde.
- Je n’ai pas de mains. Il n’y a pas de monde. »

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Sur le Pont, et dans les cales du souvenir.

9 étoiles

Critique de Rotko (Avrillé, Inscrit le 22 septembre 2002, 50 ans) - 23 avril 2014

Dans la préface, Olivier Rolin rappelle des récits marquants de bateaux et de marins, depuis Conrad et son « Lord Jim », en passant par « le vaisseau des morts » de B. Traven,, jusqu’à « Cités à la dérive » de Stratis Tsirkas, et « Ultramarine« , de Malcolm Lowry. On pourrait y ajouter « Moby Dick » et « La dernière escale du Tramp Steamer », d’Alvaro Mutis,

Dans "le Quart", sur le Pytheas, les marins mêlent aux soucis de la navigation (allure du navire, avis de tempête,) des échanges sur les épisodes maritimes passés, et surtout les histoires que leurs solitudes remâchent. Trop heureux de confier à une oreille le remords cuisant :

"Qui me pardonnera ?" revient souvent dans ces narrations diverses….

On navigue sur le pont dans l’attente de la prochaine escale, et dans les inquiétudes des corps de marins.

« Tant qu’on a le chancre on croit qu’on est pourri, qu’on pue, que d’un moment à l’autre le nez va vous tomber. A la première piqûre, dès qu’il disparaît, on oublie tout. Et ensuite on en a pour toute sa vie à s’affoler. Le moindre mal de tête, un petit bouton, un vertige et on est pris de panique pour des mois… »

Mais aussi souvenirs des drames dans lesquels on s’est trouvé, en prison ou au bordel, endroits clos dont les souvenirs reviennent en boucle. Les bordels sont les points fixes de ces âmes burinées dont les plaies morales suppurent en permanence : missions de confiance mal remplies, attachements éphémères, tricheries en tous genres,.

Défilent les vierges mythiques au milieu des putains chevronnées, les épouses infidèles, les mendiantes pleines de ressources, les maquerelles nostalgiques, et leurs bruyantes malédictions.

Pas le temps de s’attarder, les urgences du bord ou les appels de la sirène pour ré-embarquer mettent une pause, les récits se poursuivent à l’intérieur des têtes, laissant fréquemment, comme les boissons fortes, un arrière-goût amer.

Pour tous les galériens

10 étoiles

Critique de Spiderman (, Inscrit le 14 juin 2008, 61 ans) - 29 juillet 2008

"Les grandes personnes ne pleurent pas. Seulement il y a un noeud qui monte, un lacet qui étrangle. C'est cela qui pousse les terriens à écrire des livres et les marins à sculpter et à gréer des caïques dans des bouteilles, ou à se peindre le corps. Quand les livres sont beaux, les caïques bien faits, les tatouages bien colorés, alors ..."
Ce superbe livre dont les mots restent longtemps tatoués sur le coeur est un sombre caïque qui trace un long sillage dans l'âme du lecteur.
Qu'il soit lu de façon linéaire ou relu comme le fait si judicieusement Maroni, en "livre de chevet", LE QUART fait partie des textes qui font le tour de l'âme humaine dans toute sa noirceur, sa vanité, ses envies d'absolu, son impuissance face aux éléments. Il va bien au-delà de la simple condition de marin et nous renvoie à nos propres existences de terriens : un miroir sans faux-semblants de la condition humaine.

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