La Terre aura les derniers maux: Pamphlet en vers et contre nous de Christian Adam

La Terre aura les derniers maux: Pamphlet en vers et contre nous de Christian Adam

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Corail, le 1 décembre 2023 (Ottawa, Inscrite le 8 mars 2008, 63 ans)
La note : 10 étoiles
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Un petit chef-d’œuvre de style, de poésie et de lucidité sur l’avenir compromis de l’humanité

Là où 99% des livres écrits sur l’écologie commencent invariablement par vous dresser un état des lieux juste et honnête, certes, de l’empreinte écologique désastreuse de notre espèce avant de finir dans les dernières pages par vous la bailler belle à coups de « petits gestes écocitoyens qui font la différence », de « technologie qui sauve », de « génie de l’homme capable de nous en sortir », de « promesses du capitalisme vert et renouvelable » et autres utopies idéalistes et rassuristes de doux rêveurs se voilant la face (alors même que (presque) rien au fond ne change en réalité, l’actualité le prouvant quotidiennement) ; là où la plupart des écolos – malgré tout ce qu’ils savent – s’obstinent à croire qu’« il n’est pas trop tard pour sauver la planète », fantasmant notre espèce telle qu’elle devrait être plutôt que comme elle est réellement, La Terre aura les derniers maux – pamphlet tout en alexandrins – sort du lot, des sentiers battus, et intente un procès impitoyable de notre humanité aveugle et court-termiste sans jamais faire dans la dentelle, sans jamais mâcher ses vers, en brossant un portrait lucidement féroce de l’homme, dénué de la moindre complaisance. Pour citer la Préface signée de la plume de Georges Picard : « Dans la morne plaine des ouvrages superficiels, sans cervelle ni tripes, qui envahissent régulièrement les librairies, le livre de Christian Adam fait figure de rareté tant par sa conception littéraire que par son sujet d’un universalisme et d’une urgence quasi eschatologique. Car il y est bien question des fins dernières de l’Homme et du Monde ou, pour faire court, de la fin de la Partie. »

Voilà donc une œuvre tonique, tonitruante, d’une haute intensité du début à la fin, battant ses vers à un rythme de syncope qui ne s’essouffle jamais, un brûlot véritablement hors-normes et iconoclaste, un réquisitoire des plus percutants qui jette ses quatre vérités à la face de notre espèce prédatrice d’Homo sapiens, écrit et conçu à mille lieues des mièvreries ronflantes de l’écologie mainstream. Il y a là des pages d’une rare force de frappe contre l’emprise des « bipèdes » sur la planète (que l’auteur dépeint dans des termes et des métaphores peu flatteurs, et pourtant ô combien fidèles à la vérité des choses lorsqu’on se penche sur les faits...), sa folie scientiste et prométhéenne (en s’en prenant entre autres à la stupidité des apprentis sorciers adeptes de la géoingénierie, du « techno-solutionnisme » à tous crins, etc.), la tartuferie du greenwashing, le bullshit de la soi-disant « transition énergétique », la résistance des peuples à la décroissance, le court-termisme de notre espèce qui ne voit guère plus loin que son nez ; le tout, sans didactisme, toujours en mariant la griffe acérée du pamphlétaire aux ciselures poétiques exquisément versifiées. Un bijou littéraire qui se savoure, en somme, grâce à la beauté de ses vers polémiques qui se lisent et se relisent avec un plaisir renouvelé – contrairement aux « essais » qu’on ne lit qu’une seule fois – mais surtout, grâce aux strophes animées d’un puissant souffle épique (toujours limpides et éloignées de tout hermétisme).

La Terre aura les derniers maux est un brûlot poétique panaché d’une immense ambition, bourré d’images inouïes et de métaphores fortes, qui plaira aux lecteurs à sensibilité à la fois scientifique, poétique et écologique. À lire d’urgence pour ne plus se mentir et se faire d’illusions sur l’incurable bête humaine...

Deux extraits pour finir à cette « grande épopée hugolienne en vers de la “Revanche de la Terre” » pour donner une idée du ton et de la manière de ce [pamphlet poétique :

1 – La « Terre-Matrone », représentée dans toute l’ampleur de son « martyr » :

La Matrone est blême, elle a la mine déconfite,
Ses coraux blanchissent, elle est percluse de maux,
Mais elle montre les crocs ! Pas dit son dernier mot !
L’extorsion à gogo, ça commence à bien faire !
Depuis le temps qu’on lui covide la biosphère !
Se faire tondre sans broncher, mordre la géographie,
Se faire manger la flore sur le dos, ça suffit !
La barbe, ce pou d’Sapiens qui se croit tout-puissant !
Qui lui tranche les veines, qui la vide de son sang,
La survie de son biote ne tenant plus qu’à un fil !
On fracture son torse nu, on défonce son profil,
On lui casse la croûte, on lui fracasse les arbres,
Et il faudrait qu’elle reste froide comme le marbre ?
Surmenée, mal fichue, meurtrie et fourbue,
Elle ne tourne plus rond, elle souffre de scorbut,
De carences en cuivre, en zinc et autres minerais rares.
Du cancer à deux pattes, elle en a plus que marre !
Ras l’écorce qu’on lui encrasse les rivières, les lacs :
Ces muqueuses de Terre-Mère, transformées en cloaques !
Qu’on lui explose la mine, à tort et à ciel ouvert !
Qu’on lui retourne l’or de ses boyaux à l’envers !
Qu’on lui chie du nitrate au nez ! Qu’on lui smogue l’air !
Qu’on dioxine ses pores, plus qu’elle ne le tolère !
Et son cuir épluché ! Et ses traits scarifiés !
Et ses mammifères biffés de la carte, sacrifiés !
Et ses conifères guillotinés de sang-froid !
Ses espèces en cage, en batterie, clouées sur la croix !
Tout ce qui nage, rampe, saute, vole : à l’article de la mort !
Bientôt, guère plus que des vestiges que l’on remémore ;
Bénévoles ailés, préposés jour et nuit
Au transport du pollen, auxquels le poison nuit :
Bourdons, syrphes, papillons, fleurs, plantes, moineaux,
Décimés comme des mouches par effet domino,
Noyés bêtement par les néonicotinoïdes,
Ces toxines sales,
propres au microbe humanoïde ;
Vers, abeilles, sauriens, amphibiens : biocidés !
Bêtes à plumes, poils, nageoires, écailles : génocidés !
Golfes marées-noircis ! Aquifères phosphatés !
Nappes pesticidées ! Surfaces glyphosatées !
Tout l’ignoble plastoc que dans sa lymphe on dégueule !
Chiures, vidures, vomissures : qu’elle ouvre bien grand sa gueule !
Ordures, raclures, micro-saloperies de polymères,
Enfoncées bien profond dans la gorge de ses mers !


2 – Sur la myopie de notre espèce considérée d’un point de vue global :

Autant au niveau purement individuel,
Le bougre sait bander ses muscles intellectuels :
Hacker les codes du vivant et de l’atome,
Résoudre des équations, séquencer des génomes,
Propulser des fusées, larguer dans l’éther des sondes,
Forger de savantes symphonies, peindre des Joconde,
Mettant son génie au service de Son Altesse.
Autant, côté survie et avenir de l’espèce,
Il est si
bogué de la cervelle, le nabot,
Si peu câblé pour régler les enjeux globaux,
Que son niveau de conscience dépasse à peine
Celui des chenilles vautrées sur les feuilles d’un chêne,
Ou du mildiou infectant tout un champ de vigne.
Sot homoncule ! Imprévoyant sur toute la ligne !
Si obnubilé par le court-terme, le triste nain,
Qu’il finira empoisonné par le venin
Craché à heures fixes par le serpent sous son crâne,
Victime du cerveau reptilien qui le condamne
À ne se soucier de rien d’autre que sa propre gueule,
– Lui, ses mioches, ses proches, son clan et sa tribu seuls –
Tout en poursuivant sans trêve, dans la même lancée,
Ses buts égoïstes et ses abus insensés :
À rafler tout ce qu’il peut, tant qu’il est encore temps,
À faire les poches du globe et de tout le restant :
Jugulaires de la Terre sirotées tout son soûl,
Planchers marins raclés sens dessus dessous,
Cartilages terrestres grattés jusqu’à l’os,
Le dernier puits de fioul, qu’il creusera comme sa fosse,
En attendant que Gaïa, dépouillée corps et biens,
Se charge de doucher sévèrement le pou pubien,
L’oppresser par son haleine bientôt irrespirable,
L’engloutir sous ses suées polaires inexorables,
Balayer par son souffle de titan le morpion,
Même si le nuisible, plus dur à cuire qu’un scorpion,
Réussira, nul doute, à retomber sur ses pattes :
Qu’il s’accroche mordicus ou qu’il se carapate,
Que son équipage finisse par couler à pic,
– Livré sans recours à des périls dystopiques –,
Qu’il joue les prolongations, épave en sursis,
Ou qu’il développe des mécanismes de survie,
Il mutera,
s’adaptera au chaos climatique,
Telle une bactérie résistante aux antibiotiques…
Paumé dans sa détresse, il se fera tout p’tit,
Rabaissé au niveau d’un précaire ouistiti,
Ramené malgré lui à une empreinte plus modeste,
S’accommodant de tout tel un mangeur de restes…

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