Notre combat pour le climat de Pierre-André de Chalendar

Notre combat pour le climat de Pierre-André de Chalendar

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Scientifiques

Critiqué par Eric Eliès, le 11 novembre 2023 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Plaidoyer, engagé et argumenté (mais pas totalement convaincant), pour une politique environnementale globale incluant les entreprises, fondée sur la conviction que la croissance économique est compatible avec la décarbonation de l'énergie

L’usage intensif des énergies fossiles depuis le début de la révolution industrielle est fréquemment considéré comme l’une des causes majeures du dérèglement climatique, dont la réalité n’est aujourd’hui plus contestée. Dans ce petit livre écrit en 2015, peu avant la COP21, Pierre-André de Chalendar, alors PDG du groupe Saint-Gobain, brosse le portrait d’une planète en état d’urgence et plaide pour une politique environnementale regroupant les acteurs publics et privés. Même s’il ne m’a pas totalement convaincu, car il restreint les enjeux environnementaux à la maîtrise du réchauffement climatique et omet tous les autres (pollution globale, effondrement de la biodiversité, etc.), le propos est lucide et solidement argumenté et, surtout, propose des mesures concrètes pour dépasser les blocages politiques constatés depuis des décennies.

Tout d’abord, de Chalendar affirme que tous les grands groupes industriels, souvent pointés du doigt comme la cause du problème, sont prêts à s’engager pour lutter contre le réchauffement climatique, dont l’origine humaine est désormais trop documentée pour être contestée. Il y a longtemps eu une sorte de déni, fondé sur l’idée que l’atmosphère (un peu comme l’océan) était trop vaste pour être massivement contaminée par les activités humaines et subir un effet de serre artificiel (dont les mécanismes physico-chimiques sont connus depuis le début du 20ème siècle), mais la croissance fiévreuse des années 60/70 a fini par provoquer une inquiétude puis une prise de conscience progressive. En parallèle des travaux du club de Rome, créé en 1968 par des économistes, des hauts fonctionnaires et des chefs d’entreprise inquiets du risque de surchauffe de l’économie et de la démographie mondiales, c’est en 1972, à Stockholm, que s’est tenue la première réunion des Nations Unies sur l’environnement ; elle a lancé le principe des « Sommets de la Terre », qui réunissent, tous les 10 ans, les dirigeants mondiaux sur des problématiques environnementales. Vingt ans plus tard, lors du Sommet de Rio, à la suite des rapports alarmants du GIEC (créé en 1988), les Etats ont adopté la Convention des Nations Unies sur le climat et se sont accordés pour organiser des réunions annuelles, dites COP (pour Conférence des Parties), destinées à contrôler la bonne application de la Convention. Le constat dressé par l’auteur est terrible : alors que Paris va, en 2015, organiser la COP21, les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé de croître sur les vingt dernières années, notamment dans les grands pays industrialisés, historiques (USA, Europe) ou émergents (Chine), à tel point que l’augmentation des températures moyennes à la surface du globe risque d’atteindre + 4°C à horizon 2100 (avec une accélération brutale à partir de 2080) or les simulations d’impact démontrent la nécessité de contenir cette augmentation à + 2°C au maximum. En effet, au-delà de ce seuil, les conséquences deviennent exponentielles puis rapidement imprévisibles. En fait, ce qu'on comprend à la lecture de ce livre, c’est que la limite à +2°C n’est pas étayée par une analyse d’impact environnemental : elle est simplement la limite « assurance-vie » de l’ordre mondial actuel. Au-delà, c’est l’inconnu et potentiellement le chaos d’une transformation accélérée de la planète, remodelant la géographie des déserts, des côtes, des fleuves, des précipitations, etc., avec des conséquences insupportables pour l'ordre mondial actuel, qui n'y pourra résister.

Les Etats, pour de multiples causes, ont échoué à définir une politique efficace et un chemin vers la décarbonation des énergies, qui est le défi – majeur et difficile - auquel l’humanité est confrontée. La principale raison est qu’aucune puissance ne veut courir le risque de s’affaiblir dans la compétition internationale en prenant l’initiative de dispositions contraignantes pour son économie ou susceptibles d’indisposer sa population (c’est notamment le dilemme des démocraties illustré par Al Gore, vice-président de Bill Clinton, dans son documentaire évoqué par l’auteur : les dirigeants ont bien une idée de ce qu’il faut faire, mais ils ne peuvent pas le faire car la population les sanctionnerait aussitôt en les virant du pouvoir). Aussi, même si tous les Etats ont affiché de belles intentions et pris quelques mesures pour limiter leurs émissions de gaz à effet, c’est l’attentisme qui prédomine, notamment aux USA et en Chine qui représentent à eux deux près de la moitié des émissions mondiales. C’est ce que de Chalendar appelle le principe du passager clandestin : les Etats veulent bien prendre le train de la décarbonation, mais en marche et sans payer le prix du ticket… En outre, les Etats producteurs (pétrole, charbon, etc. : pays du Golfe mais aussi Russie, Canada, Australie, Indonésie, etc.) refusent de perdre une manne financière et retardent le plus possible des dispositions qu’ils jugent susceptibles de les appauvrir. Enfin, même quand ils s’efforcent de prendre des initiatives, les Etats peuvent se tromper lourdement et aboutir, par précipitation ou méconnaissance, à des résultats calamiteux. L’auteur détaille ainsi le cas allemand de l’Energie Wende, décidée par Angela Markel : l’abandon du nucléaire (qui représentait 16 % de la production allemande) devait accélérer la transition énergétique vers les énergies renouvelables mais il a surtout augmenté l’activité des centrales à charbon et fait de l’Allemagne le principal émetteur de CO2 de la zone Europe. Le charbon est un problème épineux car, alors qu’il est très polluant, il reste la principale source d’électricité dans le monde (env. 40 % de l’énergie mondiale, notamment en Chine et en Inde mais aussi – chiffres 2015 – aux USA). En conséquence, face à l'échec et/ou à l'inertie des instances politiques de concertation, de Chalendar considère que les acteurs de la société civile, et notamment les grandes entreprises, ont un rôle majeur à jouer. L’ONU semble avoir également adopté cette position, et l’auteur loue d'ailleurs à plusieurs reprises les propos du secrétaire général de l'ONU (Ban Ki-Moon), qui a encouragé l’organisation, à Paris, du « Business & Climate Summit » qui, en mai 2015, peu avant la COP21, a regroupé des entreprises et des associations en vue de proposer des solutions. Les mesures préconisées par l'auteur sont globalement simples et paraissent fonctionnelles :

1 : définir et imposer un système mondial de mesure des gaz à effet de serre, fiable et contrôlé par une entité indépendante, afin de mettre fin aux avalanches de chiffres biaisés et interprétables en fonction des intérêts de ceux qui les présentent

2. définir un prix du carbone, préférentiellement en instaurant une taxe universelle plutôt qu’un marché du carbone afin d’éviter les effets spéculatifs ou les contournements par délocalisation de la production. L’auteur affirme avec force que, contrairement aux idées reçues, les entreprises sont prêtes à cette taxe carbone et même l’appellent de leurs vœux, sous réserve que les règles soient claires et établies à long terme

3. investir rapidement dans les infrastructures et le bâtiment, qui constitue un gros poste de consommation énergétique (générant près de 40 % des émissions CO2 en Europe) alors que les progrès techniques (nouveaux matériaux, etc.) permettraient de le réduire drastiquement voire presque de le supprimer (nota : de Chalendar, en tant que PDG de Saint-Gobain, prêche un peu pour l'intérêt de son groupe, dont il vante les qualités et les résultats… mais il a l’honnêteté de ne pas le cacher !)

4. instaurer un dialogue constructif entre tous les acteurs (Etats, industries, institutions, ONG) pour faire émerger une politique globale de long terme, en faisant confiance aux entreprises et à l'innovation technologique pour trouver des solutions efficaces de décarbonation et/ou d'économie énergétique (nouveaux procédés industriels, nouveaux matériaux, développement des capacités de stockage des énergies renouvelables, création de moyens de piégeage et d'enfouissement du CO2, etc.)

5. préserver le modèle de croissance et dénoncer l’impasse des théories de décroissance, qui conduiront inéluctablement à l’appauvrissement des populations et à des crises sociales (chômage, etc.)

Toutefois, sur ce dernier point, le bât blesse car il montre que l'engagement de Chalendar rejoint les discours usuels sur le nécessaire verdissement de l'économie, qui vise en fait à « tout changer pour que rien ne change », pour paraphraser la fameuse conclusion du "Guépard" de Visconti, comme si l’intention véritable de l’auteur, ancien énarque inspecteur des finances devenu PDG d’un groupe industriel mondial (qui était rémunéré environ 2,5 millions d'euros/an en 2015, à la période de rédaction du livre), était autant d’endiguer le réchauffement climatique que de préserver l’ordre actuel, dont il a personnellement et pleinement profité et auquel il ne peut imaginer d'alternative. Or le réchauffement climatique n’est qu’un des critères - parmi d’autres – de la crise environnementale. Même si le modèle de croissance économique était compatible d’une économie décarbonée, il n’apporterait aucune réponse aux énormes dégâts causés par l’explosion de la démographie et de la consommation : pollution globale, effondrement de la biodiversité, inégalités croissantes, épuisement des ressources naturelles (même une économie décarbonée peut être sur-consommatrice de ressources et donc prédatrice pour la planète), etc. que l’auteur omet ou mentionne sans s’y attarder. Toutefois, de Chalendar semble implicitement reconnaître les fragilités de ce modèle hérité d’un capitalisme débridé, notamment lorsqu'il s’interroge sur la définition même de croissance, aujourd’hui mesurée en PIB alors que le PIB n’est plus forcément l’indicateur le mieux approprié pour mesurer la santé de l’économie mondiale, et sur la surconsommation de produits jetables. Ainsi, il déplore la trop grande publicité faite à la révolution numérique, qui détourne l’attention des enjeux énergétiques alors que ceux-ci constituent, selon l’auteur, la vraie urgence du monde réel. Trop d’argent est gaspillé dans le développement de produits destinés à finir à la poubelle alors que la planète a désespérément besoin qu’on accélère la recherche sur les énergies nouvelles, sur les nouveaux matériaux, etc. (de Chalendar regrette, avec une pointe d’ironie, que les JT préfèrent s’ébahir du dernier i-phone lancé par Apple plutôt que des performances du dernier double vitrage « intelligent » développé par Saint-Gobain), sans oublier le financement des fonds de compensation et de soutien nécessaires aux pays émergents, qui cumulent des difficultés susceptibles de devenir insurmontables…

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