Les Lionnes de Lucy Ellmann

Les Lionnes de Lucy Ellmann
(Ducks, Newburyport)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Eric Eliès, le 1 août 2023 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 4 étoiles
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Un roman-performance, fastidieux et vain

Je vais ici faire quelque chose que je déteste chez les autres : donner mon avis sur un livre que je n'ai pas lu mais je ne peux pas m'en empêcher car une simple lecture superficielle a suffi à provoquer mon rejet... Je n'avais pas éprouvé un tel ressenti depuis "Microfictions" de Régis Jauffret, qui me semble présenter de nombreuses similitudes avec "Les lionnes" (même sensation de monstrueux "pavé" interminable, même délire accumulatif, même logorrhée verbale, même obsession de déballage de toutes les turpitudes de l'âme, des plus insignifiantes aux plus glauques, etc.), bien plus qu'avec "Ulysse" de Joyce auquel il a été (injustement me semble-t-il) comparé par des critiques dits "professionnels" (qui n'ont pas dû prendre la peine de découvrir Joyce autrement que par le résumé sur wikipédia).

Je suis tombé ce weekend, chez un bouquiniste, sur cet énorme livre (près de 1200 pages), dont la couverture d'un jaune criard a attiré mon regard (couverture très joliment composée avec les poignées du frigo qui ressemblent à des griffes !). J'ai commencé à le feuilleter et, après une courte introduction d'une écriture qu'on qualifiera de "classique" sur l'observation du comportement d'une femelle cougar avec ses petits (qui va servir de comparaison avec la mère "humaine"), j'ai découvert une écriture ambitieuse, à la limite de la littérature expérimentale, portant un récit composé d'une phrase unique s'étirant sur plus de 1000 pages... J'ai pensé à Claude Simon ou à Joyce et j'ai eu la tentation immédiate de l'acheter (il était soldé à 1 euro) pour prendre le temps de le découvrir. Mais quelques minutes de lecture m'ont fait hésiter et je suis resté une petite demi-heure à le feuilleter, avec une irritation croissante car de plus en plus rebuté par ce que je lisais. De quoi s'agit-il ? On plonge dans la psyché d'une femme de l'Amérique profonde, épouse et mère de famille (mise en parallèle avec la femelle cougar), comme si le lecteur était branché en direct sur son cerveau et dans le flux désordonné de ses pensées. L'auteure ne nous épargne rien de ses préoccupations ménagères les plus triviales, de ses réactions devant la télé, de ses inquiétudes (notamment pour ses enfants), de ses souvenirs, de ses joies et de ses peines, de ses craintes, de ses espoirs déçus et de ses frustrations (sauf, curieusement, dans un flux aussi impétueux qui s'apparente à un déballage brut et sans filtre de pensées intérieures, la dimension sexuelle - en tout cas, je ne suis tombé sur aucune allusion) mais j'avais beau feuilleter les pages, je ne ressentais aucune densité, aucune progression, rien que l'accumulation de digressions oiseuses et verbeuses comme un bavardage insupportable... J'ai songé que le livre se voulait peut-être une démonstration de la vacuité de l'Amérique profonde, qui eût pu être réussie si l'écriture n'avait pas été scandée, comme un maniérisme qui devient très vite insupportable, par la répétition ad nauseam de "le fait que...". En fait, la phrase de 1000 pages repose sur une interminable accumulation de digressions de quelques lignes, qui s'enchaînent de manière chaotique et sont toutes introduites par "le fait que". On a le sentiment que l'auteure a voulu faire une performance car, dans le fond, le texte aurait parfaitement fonctionné avec 500 pages de moins... La critique (mais je soupçonne qu'aucun critique n'a lu le livre dans son intégralité tant quelques minutes sont suffisantes pour en prendre la mesure) semble avoir été ébahie par une telle inventivité mais il me semble que le procédé est à la portée du premier écrivain qui voudrait s'en donner la peine et je crois d'ailleurs qu'il y a déjà eu des romans reposant sur un leitmotiv de "il y a" ou de "je me souviens". Au bout de 15-20 minutes de lecture dans la bouquinerie, j'ai reposé le livre car je savais que je ne le lirai pas.

J'ai également été irrité par les louanges excessivement dithyrambiques ou pseudo-féministes mises en exergue par l'éditeur, sur les rabats de couverture, piochées dans le presse anglo-saxonne ou des magazines comme Cosmopolitan ou Vogue, du genre "Le livre du siècle !", "Un livre plus puissant que la plupart des livres écrits par un homme" ou "Joyce peut aller se rhabiller !" Elles sont un peu pitoyables et je ne comprends pas que l'éditeur (Seuil, qui est pourtant un grand éditeur) et que l'auteure (qui semble connue et réputée dans le monde anglo-saxon) ne comprennent pas que ces accroches publicitaires desservent le texte plus qu'elles ne le servent...

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