Phalènes, essais sur l'apparition 2 de Georges Didi-Huberman

Phalènes, essais sur l'apparition 2 de Georges Didi-Huberman

Catégorie(s) : Littérature => Divers

Critiqué par JPGP, le 25 juillet 2023 (Inscrit le 10 décembre 2022, 77 ans)
La note : 10 étoiles
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Didi Huberman et les phalènes

Les phalènes sont emblématique d’un genre nécessaire, un genre sans genre : donc papillonnant, fatalement réglé sur l’ordre de l’imaginaire et du désordre du savoir des images et de leur « faire voir ». Les images sont donc ces phalènes sans genre (le mot se met au féminin comme au masculin) : des oiseaux. Elles sortent de l’obscurité : parfois y retournent et dans le cas contraire viennent se consumer à la flamme d’une bougie ou aux surfaces surchauffées d’ampoules de verres. N’en restent bientôt que des « cendres » si chères à Beckett très présent dans cet essai.

Didi-Huberman y évoque l’apparition comme réel de l’image. Cette dernière - semblable à la phalène – possède lorsqu’elle est digne d’intérêt une beauté fragile et impalpable façonnée d’états larvaires et de leurs métamorphoses que rappelle ici un autre mot : « chrysalide » ou encore « imago ». Elle est faite de brisures, son luxe est fait d’altération, d’errance et d’obstination ? dont le centre est le désir. Un désir particulier : non celui qui pointe mais qui se consume dans les battements du temps et celui du visible.

L’essayiste pousse ainsi sa réflexion sur un point essentiel : Quels rapports faut-il construire entre connaître et regarder ? Est-ce reconnaître ou pas ? Les tentatives de réponses l’auteur les cherche dans l’« image-sillage » selon Bergson, le « savoir-mouvement » sde Warburg, le « regard des mots » de Rilke, l’« image-dépouille » de Blanchot et chez Deleuze « lecteur » de Beckett. Didi Huberman propose ensuite le noeud qui relie les concepts de l’apparaître et de la la ressemblance . Nœud qui exclut subtilement ici le « se rassembler ». Pour l’illustrer il évoque non seulement le vol des phalènes mais la danse d’un psychotique, la trace d’un suaire, le moulage d’une jeune fille qui frissonne ou le coloris en grisaille d’un tableau de paysage à travers la chronophotographie de Marey, une planche du test de Rorschach, un détail de Velázquez, une draperie de Loïe Fuller, un diagramme de Beckett, une cire anatomique, un châle de prière juif ou une œuvre d’art contemporain dédiée au génocide rwandais… La notion « l’image brûle d’apparaître » prend ici un nouveau sens.

Pour Didi Huberman l’image possède une force paradoxale : celle de s’écarter du temps et de tout ce que le réel empêche de penser. Mais sans pour autant s’en abstraire totalement. Pour autant l’image possède une emprise totalement différente qu’une recherche du temps perdu. L’image prend comme un baiser prend la bouche donc pour un temps compté : celui de donner à la forme son fond le plus profond. Il n’existe plus de mots pour faire la belle à la peur, et pour faire de la belle une peur. L’image se donne dans les démesures qu’elle transporte. On ne sait pas d'abord ce qu'elle veut de nous. Elle interroge. A ce titre le quadrilatère du Quad de Beckett est exemplaire. Mais on finit par comprendre qu’il reste à notre mesure dans le silence qu’il délimite en les promesses de ses angles jamais tenus.

Une telle image devient sublime dans une vision proche du tombeau, lisse, géométrique et pourtant sinueusement libre de l’écart et de ses surfaces creuses sur lesquelles les personnages disparaissent progressivement. On s’y fonde sous peine de ne pas vivre. Néanmoins telles les phalènes brûlés elles marquent le non vivre. Fin de l’histoire ?. Histoire sans fin ? Là est tout le problème que Didi-Huberman reprend une nouvelle fois à sa main. La pensée s’envole, ne fait plus corps ou esprit. Elle devient bien plus « fantômale » (Beckett) : la forme est déjà dans le fond et le fond dans la forme. Avec l’avoir d’un désir, un désir à laisser sur, pour / suite. L’image reste à ce titre pour l’auteur toujours dans un présent mythologique, un présent sans présent. En/fermer. En/sortir. Marelle sans craie, sans ciel. Présence absolue de plantes grimpantes et des chiendents qui les asphyxient les premières. Il y a pourtant l'émotion de leurs branches où avant de s’envoler les phalènes restent cachées avant de s’envoler vers un lumineux « firmaman » sa dimension sublime, son risque absolue et sa nuit à foison.

Jean-Paul Gavard-Perret

Message de la modération : §1 à 3 fortement inspirés de la prés éditeur, §5 de texte de JPGP Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus lelitteraire.com/?p=35654

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