Le petit prince cannibale de Françoise Lefèvre

Le petit prince cannibale de Françoise Lefèvre

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 18 octobre 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 718ème position).
Visites : 7 429  (depuis Novembre 2007)

Cri de rage

"Le petit prince cannibale", un livre qui ressemble à un cri. Un cri d'amour, de douleur, de colère. Le récit d'une maman qui élève son enfant autiste avec toutes les difficultés que cela comporte. Difficultés au sein de la famille d'abord mais aussi et surtout face au monde extérieur, face à ces regards emplis de pitié ou de désapprobation lorsque Sylvestre pique d'abominables colère dans les supermarchés ou en pleine rue.
Au fur et à mesure de la lecture, j'ai établi quelques parallèles avec le cri de Catherine Chaine ("J'aime avoir peur avec toi"), mais le fond du propos est différent, Françoise Lefèvre ne remettant pas en question la naissance de son fils.
"L'amour maternel est le moins mièvre des sentiments. Il se trouve qu'il faut lutter pour vivre cet amour, car de la maternité aux institutions, voisins, parents, amis, il y a peu d'être pour se réjouir d'une naissance. (...) Il faut oser aimer le tout petit enfant et oser le dire." (page 20)

Nous suivons les avancées et les régressions de Sylvestre, les subterfuges employés par sa maman pour qu'il communique, les ruses pour ne pas qu'il casse tout de rage. C'est épuisant, Françoise Lefèvre le décrit avec une franchise et une sincérité qui laissent sans voix tant tout cela est naturel et puissant.
Elle aime son fils, plus que ça encore et en même temps, elle lui en veut. De lui bouffer la vie. De l'étouffer.
"On dirait que tu veux soumettre tout le monde à ta loi, à tes codes. Tu te conduis en terroriste. Tu nous tiens en otages" (page 31)
L'auteur emploie le mot "transfusion" pour parler de cette relation. Une relation par laquelle elle infuse toute son énergie et son courage à son fils, avec plus ou moins de succès selon les jours et les humeurs. Tâche vivifiante mais également ingrate, profondément frustrante. Il arrive à l'auteur de craquer, de crier sa rage, de demander du répit.
"Je t'aurais tué parfois de me faire si mal, d'aspirer avec tes hurlements toute ma poésie. Mes pensées. ma bonne volonté. Tout mon amour. Mon increvable amour pour toi. Tu prenais tout et ne donnais rien." (page 42)
Elle ne lâche pourtant pas prise, elle demande de l'oxygène mais n'abandonne pas. Elle ne laissera pas tomber. Cette force me laisse pantoise. Quel courage, quelle résistance. Même si elle insiste dans son livre pour qu'on ne compare pas Sylvestre aux autres enfants lorsqu'ils se fâchent, je n'ai pu m'empêcher de penser à mon manque régulier de patience devant les caprices de mon marsu face à la ténacité de cette femme, ouverte, tiraillée, meurtrie par l'amour qu'elle voue à son fils, qui la porte et la détruit en même temps.
"Je ne te quitte pas. je ne te lâche pas. Je souffle sur ta vie. Je souffle sur tes doigts. Souffler. Souffler pour que la lueur minuscule qui s'allume parfois dans tes yeux ne s'éteigne jamais." (page 99)

C'est un formidable cri d'amour et de désespoir. Parallèlement à ce parcours chaotique se dresse le personnage plus effacé de Blanche, vision de l'imaginaire de Françoise Lefèvre, la potentielle héroïne d'un récit auquel elle aimerait tant donner vie. Blanche, une cantatrice atteinte d'un cancer de la peau qui la ronge, qui dévore ses forces et ses illusions, qui la détruit à petit feu. Une femme qui se bat, résiste envers et contre tout, malgré les envies de plus en plus présentes de tout laisser tomber, de s'incliner face à cette vie qui ne lui est d'aucun secours. Transposition de la douleur et de la détresse de Françoise Lefèvre face aux murs qui la séparent de son fils, face à la frontière derrière laquelle il vit. Exutoire imaginaire qui lui permet de souffler un peu, de se donner du courage, de reprendre vigueur en décidant, elle, de ne pas laisser tomber.
Un cri d'amour et de désespoir, oui. Aussi une formidable leçon de vie et de courage. A méditer. Impérativement. L'auteur n'en fait pas des tonnes, ce n'est pas mélo ou mièvre, c'est naturel, j'insiste beaucoup sur le côté franc et naturel du récit, il lui donne toute sa force.

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Mère courage

9 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 11 novembre 2022

"Le petit prince cannibale" est un livre très émouvant, tant par le thème abordé que par l'écriture.
Françoise Lefèvre a écrit cet ouvrage avec ses tripes, parle de la difficulté de s'occuper de son enfant différent, considéré comme presque débile, voué à être accueilli en établissement spécialisé.
Ce livre est le combat d'une mère, essayant chaque jour d'entrer en communication avec son petit garçon. Une mère qui souffre de le voir se balancer, de l'entendre crier, de refuser de mâcher, de se faire dessus. Elle crie aussi, intérieurement, et se consume.
Sa vocation ? Elle doit l'oublier, tant ce petit être lui prend du temps, lui happe son énergie, elle est parfois sur le point de sombrer dans une certaine folie, face aux difficultés. Le peu qu'elle puisse écrire, durant ces années, concerne Blanche, une cantatrice certes adulée par son public, mais délaissée par l'homme qu'elle aime, et de surcroît amoindrie et défigurée par la maladie qui la ronge. Des mots jetés sur le papier, en parallèle avec la situation de l'auteure, qui peine à surmonter la différence de son petit, enfermée dans ce huis clos avec lui, si seule et impuissante. Il n'y a que peu de choses en retour, mais elle guette le moindre progrès, le mot qui sort enfin, le sourire tant espéré qui se dessine. L'abnégation est de mise, cette mère se résout, malgré la complexité, à aller vers son enfant, à entrer dans son monde, à profiter des instants fugaces mais intenses, où il vient vers elle, lui touche les cheveux, lui caresse le visage. Mais le regard de son fils s'assombrit soudainement, il repart dans sa bulle, les derniers progrès disparaissent, tout est à recommencer.

"Mère courage", c'est le titre que je donne à cette chronique, tant le parcours est difficile. C'est un hommage aux parents d'enfants différents, mené par une écriture sensible, poétique et tremblante d'émotions diverses.

Des mots posés délicatement parfois, pour apaiser la douleur de la situation, et des termes plus durs et des cris, quand les nerfs lâchent et que la rage l'emporte.

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