Les fantômes de la Guerre d'Espagne

En décédant dans un accident de voiture, Greta Ortega, une actrice mexicaine, a légué à son cousin Jamon, le narrateur de ce récit, une valise contenant des négatifs de clichés de la guerre d’Espagne réalisés par de célèbres photographes (dont Robert Capa). Au moment où il se décide enfin à céder les négatifs à la fondation Capa, trente ans après la mort de sa cousine, Jamon nous livre l’histoire de cette valise et de leurs précédents propriétaires.

En se basant sur une histoire vraie, Isabelle Mayault évoque la Guerre civile espagnole, épisode douloureux s’il en fut de l’Europe moderne. Il faut souligner que l’auteure n’a pas choisi ici le mode du documentaire-fiction. Le conflit nous apparaît ainsi plutôt en filigrane, comme vu à travers les négatifs photographiques dont a hérité le narrateur. Le procédé est surprenant de délicatesse. Il donne une curieuse patine, une distance, une sensation de douceur et de clair-obscur qui m’a infiniment séduit.

Mais paradoxalement c’est presque bien plus le Mexique (et les Mexicains) que l’Espagne qui est un des personnages centraux du livre. J’ignore quel est le lien entre Isabelle Mayault et cette nation, mais je ne serais pas étonné qu’elle l’ait pratiquée dans la « vraie vie ». En tout cas elle en parle avec beaucoup d’affection, sans en méconnaître les excès. L’histoire de ce pays, sa tendresse, sa violence, ses couleurs, le caractère de ses habitants : tout cela est magnifiquement suggéré à travers les déambulations nonchalantes du narrateur. Le Mexique est mis en valeur, pour une fois, comme une Amérique rêvée par les Espagnols fuyant la défaite républicaine. Rare pays à avoir soutenu les Républicains espagnols, il fut pour eux en effet une terre d’exil de prédilection.

Attention quant à la forme que prend le récit : contrairement à ce que laisse entendre le résumé de la quatrième de couverture, ce n’est pas du tout une enquête à laquelle nous sommes conviées. L’enjeu du livre n’est pas de découvrir en même temps que le narrateur l’itinéraire de la valise et des différents propriétaires. Jamon livre en effet d’emblée ces histoires, sous la forme d’une confidence, dans une troublante dilatation du temps (il possède déjà depuis longtemps la valise au moment du récit). La proposition du livre est plutôt de découvrir de beaux portraits d'homme et de femme (de femmes surtout d'ailleurs) qui ont emporté une partie de leurs secrets avec eux.

J’ai donc vraiment beaucoup apprécié ce roman, d’autant plus que, hasard du moment, je sortais de la lecture d’une excellente monographie sur la Guerre d’Espagne par Guy Hermet. Isabelle Mayault traite son sujet de façon épuré et élégant grâce à une prose fort belle, tout en rondeur, d’un niveau clairement au-dessus de la moyenne de la production actuelle. Elle prend son temps pour explorer le ressort caché des choses et exorciser les fantômes du passé en faisant planer sur son sujet une étrange atmosphère de mélancolie et de langueur.

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  Une longue nuit mexicaine [Texte imprimé], roman Isabelle Mayault

  de Mayault, Isabelle
  Gallimard
  ISBN : 9782072802126 ; 21,00 € ; 07/02/2019 ; 272 p. ; Broché

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