Le Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena

Le Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Marvic, le 17 avril 2020 (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 777ème position).
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Parler ou se taire

Vicente Rosenberg est arrivé à Buenos Aires en 1928 ; quelques années plus tard, père de trois jeunes enfants, marié avec bonheur à Rosita, vendeur de meubles, deux amis sûrs, Ariel et Sammy, on peut dire qu’il a tout pour être heureux. Presque tout.
Car Vicente a quitté la Pologne seul ; y laissant son frère et sa sœur, ainsi que sa maman.
Pendant des années, il lui a peu écrit, lui promettant qu’il irait la chercher, remettant à plus tard, profitant de cette liberté accordée par l’éloignement.
En 1939, l’invasion de la Pologne par les allemands ne le perturbe pas vraiment. Mais commencent les interrogations sur son identité. Peut-il se définir comme polonais, lui qui a combattu dans l’armée de son pays qui l’a renié, qui a rêvé de devenir allemand ? Argentin tant il se sent bien là où il a fondé son foyer ? Ou doit-il se définir comme juif, alors même qu’il n’est pas pratiquant, qu’il se sent athée : "C’est comme si cette origine juive était une grosse valise qu’il allait falloir se trimballer pendant toute notre existence."
Les nouvelles d’Europe deviennent de plus en plus rares, les dernières lettres de sa mère lui décrivent l’enfer du ghetto de Varsovie.
Vicente s’enferme alors dans ses questionnements intérieurs, dans une culpabilité envahissante le rongeant, l’anéantissant petit à petit, sans que son épouse, ses enfants ou ses amis, assistant à ce retrait de la vie, témoins de cette immense douleur, n’y puissent rien.
"Pourquoi jusqu’aujourd’hui j’ai été enfant, adulte, polonais, soldat, officier, étudiant, marié, père, argentin, vendeur de meubles mais jamais juif ? "

Un livre que je n’aurais probablement pas lu s’il ne m’avait été conseillé ; et j’aurais eu tort.
L’auteur, au travers les interrogations existentielles du héros, renvoie le lecteur à ses propres questionnements.
Qui est-on quand on a quitté son pays, sa famille, que son pays natal ne nous reconnaît plus ?
Doit-on dire sa douleur au risque de faire souffrir les gens qu’on aime, ou bien se taire, s’enfermant dans un mutisme morbide ? "Mais comment lui raconter tout ça ?"
Très touchant roman autobiographique profond sans être lourd, une écriture convaincante aux phrases marquantes.
"Sa vie se poursuivait sans aller nulle part."

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Une persécution virtuelle

6 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 1 juillet 2021

L’auteur d’origine argentine évoque le martyre de son grand-père, juif d’origine polonaise, qui a quitté l’enfer du National-Socialisme avant qu’il ne soit trop tard.

Alors qu’il aurait voulu que le reste de sa famille, et surtout sa mère, le suive en Amérique du Sud, là où il a fait sa vie, le personnage de Vicente est pétri de culpabilité en apprenant les terribles persécutions subies par les juifs en Europe, et en particulier dans le Ghetto de Varsovie où sa mère survit.

Parallèlement à la dépression du héros, l’auteur nous trace une ligne du temps entre 1939 et 1945, en énumérant les dates clés qui ont marqué la répression et l’extermination des juifs par les nazis.

Certes, cela ne m’a pas appris grand-chose, mais comme déjà dit, je serai le dernier à blâmer ceux ou celles qui rappellent ce que fut la plus grande abomination de tous les temps.

Il est indéniable que le style est parfois un peu scolaire et par ailleurs, le ton est plutôt sombre et moins romantique que d’autres livres sur le même thème ; je pense en particulier à le Gioconda de Nikos Kokàntzis.

pas convaincant

3 étoiles

Critique de Francesca_1 (, Inscrite le 30 décembre 2011, 69 ans) - 8 mars 2021

Je sors un peu déçue de ce "roman".
Il y a eu des livres tellement forts sur ce sujet avant alors ce dernier paraît bien en retrait. Le personnage principal n'est jamais sympathique.
Les lettres de Pologne sont faiblement rendues.
Le style est répétitif et manque de force. On s'attache un peu à Rosita dont on admire la persévérance...
Je ne vois pas là un grand écrivain, désolée.

Combattre le silence

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 11 février 2021

« Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé à écrire un livre pour combattre le silence qui m’étouffe depuis que je suis né », écrit Santiago H. Amigorena. Ce livre, il n’a cessé de l’augmenter, d’en composer plusieurs volumes, jusqu’à écrire Le Ghetto intérieur, l’ouvrage qui donne la clé de toute son œuvre, nous fait-il comprendre. « Combattre le silence », c’est le projet sans fin d’un homme qui, né en Argentine en 1962, s’est enfui avec ses parents lorsque ce pays fut régi par une dictature, pour venir en Europe et, en particulier, en France, pays dont il adopta la langue. Et c’est donc en français qu’il publia, en 2019, avec Le Ghetto intérieur, non pas sa propre histoire cette fois, mais celle de Vicente, son grand-père, un homme qui, précisément, n’eut pas la force de combattre le silence, mais au contraire s’y emmura.
Santiago H. Amigorena l’affirme, le reconnaît : en fuyant l’Argentine, en quittant son pays, sa langue maternelle et ses amis, il a trahi. Il n’a pas été là où il aurait dû être, nous confie-t-il. Mais cela ne l’a pas empêché de s’exprimer, d’écrire, de parler, alors que son grand-père, lui, confronté à un traumatisme intérieur, à une culpabilité dévorante, n’a pu que s’isoler dans le mutisme. Venu s’établir en Argentine dès 1928, Vicente Rosenberg laisse derrière lui, en Pologne, sa mère et son frère. Il s’empresse alors d’oublier le yiddish au profit de l’espagnol, se marie avec Rosita, elle aussi fille de juifs polonais venus s’établir en Argentine dès 1905, avec qui il a bientôt deux enfants, et gagne sa vie en travaillant dans un magasin de meubles ouvert pour lui par son beau-père.
Pour lui, Vicente, le fait d’être juif, polonais ou argentin, ne compte pas. Il ne se reconnaît dans aucune de ces identités et, s’il a quitté sa mère, c’est, entre autres choses, pour en finir avec ces classifications. Les années filent, il reçoit, de temps à autre, une lettre venant de Pologne, mais ne s’en soucie guère. La vie pourrait être belle et riante, mais les nouvelles venues d’Europe sont de plus en plus sombres, de plus en plus inquiétantes. Et quand, la guerre survenue, en Pologne, à Varsovie, la persécution des Juifs par les nazis se précise et s’amplifie, quand les Juifs sont enfermés dans le ghetto pour y être affamés, quand, bientôt, débutent les rafles et les convois vers les camps d’extermination, alors Vicente commence à être rongé de culpabilité et à se murer dans son ghetto intérieur.
Quand il s’était installé en Argentine, Vicente se disait que, s’il arrivait quelque chose de grave à sa famille restée en Europe, il pourrait la sauver en la faisant venir auprès de lui. Pourtant, quand le pire survient, il reste totalement impuissant, il ne peut rien faire. Lui qui avait quitté sa mère avec une sorte de soulagement, le voilà confronté à l’inimaginable, un inimaginable que, pourtant, il est contraint de se mettre à imaginer : sa mère dans le ghetto, puis sa mère envoyée dans un camp, subissant toutes sortes de sévices, sa mère gazée… Vicente a beau faire, il a beau essayer de ne plus rien savoir des horreurs perpétrées par les nazis, il est obligé de savoir, il est obligé d’imaginer et la culpabilité le ronge pour toujours. N’aurait-il pas pu, n’aurait-il pas dû, tout faire pour sauver les siens, jusqu’à entreprendre le voyage en Europe afin de les ramener avec lui en Argentine ? Il n’a pourtant rien fait et il n'a d’autre ressource, pense-t-il, que de s’enfermer à jamais dans le mutisme avec, pour seul dérivatif, les jeux d’argent où il perd, presque invariablement, tout ce qu’il possède.
Ce livre de Santiago H. Amigorena prend aux entrailles, mais aussi pose la question du silence et de la parole. Que faire quand on est confronté à l’innommable ? Se taire comme Vicente ? Parler comme Santiago H. Amigorena ? Oui, sans doute vaut-il mieux persister à s’exprimer envers et contre tout, compte tenu des limites inhérentes à toute parole. Ce thème est sous-jacent à tout le livre, entre autres quand l’auteur évoque les moments où il s’est agi de nommer l’horreur planifiée froidement par les nazis. Eux trouvèrent l’expression de « solution finale », mais, dans le « monde libre », on mit du temps à trouver un mot. On parlait, entre autres, d’ « hécatombe » ou d’ « apocalypse » ou d’ « holocauste », jusqu’à ce qu’on trouve « Shoah » qui semble le mot qui convient le mieux pour exprimer le caractère unique, inédit, de ce qu’organisèrent les nazis. En vérité, aucun mot, aucune phrase ne peuvent être satisfaisants. Le philosophe Adorno ne disait-il pas qu’écrire un poème après Auschwitz est « barbare » ? Pourtant, lui-même persista, en fin de compte, à écrire. Tout comme Santiago H. Amigorena qui, de livre en livre, se donne pour objectif de combattre le silence qui l’étouffe, dit-il, depuis qu’il est né.

Englouti par son propre ghetto intérieur

9 étoiles

Critique de Faby de Caparica (, Inscrite le 30 décembre 2017, 62 ans) - 30 juillet 2020

"Ghetto intérieur" de Santiago H. Amigorena (192p)
Ed. P.O.L

Bonjour les fous de lectures....

Cette histoire a été inspirée par l'histoire du grand-père de l'auteur.

Buenos Aires , années 1940.
Des amis juifs exilés se retrouvent au café pour parler de cette Europe qu'ils ont fuie quelques années plus tôt.
Parmi eux, Vicente Rosenberg, époux de Rosita et père de trois enfants.
Il s'inquiète pour sa mère, restée en Pologne, à Varsovie. Elle lui écrit une dizaine de lettres auxquelles il ne répond pas toujours. Dans l’une d’elles, il peut lire : " Tu as peut-être entendu parler du grand mur que les Allemands ont construit." Ce sera le ghetto de Varsovie. Elle mourra déportée dans le camp de Treblinka II.
Parti, comme bien des fils, avec le sentiment de se libérer de l’emprise maternelle, peut-être aurait-il dû comprendre ce qui se passait.
Mais le pouvait-il ?
Le voulait-il ?
N’aurait-il pas tenu qu’à lui d’insister davantage pour que sa mère quitte la Pologne et le rejoigne en Argentine ?
Ne s'est-il pas montré égoïste?
Après ... quand il ne recevra plus de nouvelles de sa mère, le remord s'empare de lui, le phagocyte et le plonge lentement dans son propre ghetto qui l'engloutira à jamais.

A travers le destin de son grand-père parti en Argentine pour échapper au nazisme et à sa famille, l'auteur raconte la vie mélancolique de l'exil et tous les silences, les douleurs qui l'accompagnent.

Très belle lecture envoûtante qui méritait largement d'être en piste pour le Goncourt des lycéens

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