Le modèle oublié de Pierre Perrin

Le modèle oublié de Pierre Perrin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 8 mai 2019 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 104ème position).
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L'homme derrière l'artiste

Le 10 juin prochain (2019), nous fêterons le deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Courbet, à cette occasion, Pierre Perrin, enfant, tout comme moi, du Pays de Courbet, publie un livre sur le maître. La littérature étant déjà fort abondante sur le sujet, il a choisi de montrer l’homme plutôt que le peintre, une façon de mieux comprendre son rapport à son œuvre. Il dépeint l’enfant rébarbatif aux études au séminaire, le jeune homme fêtard, abusant de l’alcool et de la nourriture, le séducteur coureur de filles mais surtout le conjoint amoureux même s’il n’est pas très fidèle et le père qui n’a pas su aimer son fils comme il l’aurait voulu. Il dépeint aussi le bourgeois affairiste, avide d’argent, qui joue au socialiste sous le regard narquois de ses compatriotes comtois notamment Proudhon. Et l’ami fidèle qu’il a été pour ses compagnons de province ou pour ses relations parisiennes comme Baudelaire qu’il a fréquenté jusqu’à sa mort.

On dépeint souvent Courbet entouré de jeunes filles fort séduisantes et peu farouches qui ne sont pas que des modèles pour le peintre, mais on n’évoque jamais celle qui a longuement partagé sa vie à Paris : Virginie Binet qu’il appelait ma Vigie tant elle était de bon conseil. C’était aussi un point d’ancrage où il aimait revenir, comme le marin au port d’attache, après de longues escapades à travers la France, et même l’Europe, mais surtout pour de longues vacances à Ornans d’où il ne pouvait que difficilement s’arracher pour rentrer à Paris. Virginie, il l’a rencontrée à Dieppe où elle vivait encore chez son père malgré sa trentaine. Il l’a aimée très vite et s’est démené comme un diable pour la faire venir à Paris au moment où il ne connaissait ni la gloire, ni la fortune, se contentant de dépenser les subsides d’un père embourgeoisé. Cette union jamais légitimée, plutôt harmonieuse, durera plus d’une décennie, Virginie lui donnera même un fils, Emile, qu’il refusera de déclarer. Mais la fidèle compagne finira par se lasser des frasques mais surtout des absences de l’homme qui partageait sa vie et rejoindra sa ville natale avec son fils.

Sans sa conjointe, sans son fils, Courbet souffrira mais continuera à travailler comme un forcené, c’était une force de la nature, il a peint quantité de tableaux dont bon nombre sont gigantesques, il a accumulé âprement un joli pactole, achetant de nombreuses propriétés foncières dans la Vallée de la Loue. Pierre Perrin, en fin connaisseur du peintre et de son œuvre, relie chacune de ses œuvres majeures au contexte familial et social dans lequel le maître les a réalisées. Courbet n’avait qu’une seule maitresse qui l’a envoûté tout au long de sa vie : la peinture dont il ne pouvait se passer et dont il était convaincu d’être le meilleur serviteur. Son égo démesuré, son orgueil, sa « grande gueule », ne lui vaudront pas que des succès, alors que Virginie n’est plus là pour l’apaiser, il se fait des ennemis, froisse des personnes importantes et commet quelques bévues qui finiront par lui être fort préjudiciables. Le départ de Virginie sonne le début de la désescalade même si la cote du peintre grimpe de plus en plus et ne cessera jamais de grimper.

Pierre Perrin a choisi la biographie romancée pour pouvoir s’immiscer dans l’intimité du peintre afin de pouvoir montrer Courbet tel qu’il était hors de son atelier et comment la femme de sa vie a contribué au développement de sa carrière. Ce texte très documenté montre l’irrésistible ascension de l’artiste déployant son immense talent auprès de sa douce et compréhensive épouse et la désescalade de l’homme gros goujat égocentrique, goinfre et frivole, hâbleur et orgueilleux, sûr de lui en tout et pour tout, terminant pitoyablement sa vie en un exil qu’il aurait pu éviter avec un peu plus de réserve et de finesse.

Un livre à lire pour ceux qui veulent découvrir Courbet mais aussi un livre à lire par ceux qui croient tout savoir de Courbet en ignorant que l’homme qui se cachait derrière l’artiste était moins glorieux que le peintre toujours autant admiré et adulé.

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Une fresque sublime

10 étoiles

Critique de Chroniques de Parme C. (, Inscrite le 3 janvier 2022, - ans) - 3 janvier 2022

J’ai découvert cet ouvrage par l’intermédiaire de la page Facebook de l’auteur, et j’ai eu envie de le lire car l’histoire de l’art ne peut être appréhendée de meilleure façon qu’en s’intéressant aussi aux hommes et aux femmes qui ont contribué à l’écrire. S’immerger dans la vie d’un artiste, en l’occurence un peintre, permet de redécouvrir ensuite toute son œuvre avec un regard neuf et un éclairage différent.
Dès les premières pages, j’ai été immédiatement subjuguée par le style à la fois juste, vivant et percutant de Pierre Perrin. Le présent de narration favorise une immersion complète dans le récit. On y pénètre comme au sein d’une fresque qui se dessine peu à peu, ressuscitant un contexte et une époque, en l’occurence les milieux artistiques du dix-neuvième siècle.
La magie du voyage opère : on devient Virginie, cette fille de cordonnier qui à 33 ans, après avoir refusé tous ses prétendants, fait la rencontre qui va changer sa vie : celle du jeune peintre Gustave Courbet, qui a onze ans de moins. Le charme opère instantanément entre eux et ils vivent une relation passionnelle, charnelle, teintée de complicité.
Le talent de Pierre Perrin, c’est de nous faire rentrer immédiatement dans la psychologie des personnages. On entre en eux presque à notre insu, de manière naturelle. C’est à cela d’ailleurs que l’on reconnaît à mon sens la marque d’un grand écrivain.
Virginie se laisse enivrer par les paroles du séducteur et accepte lui servir de modèle pour ses dessins. Gustave enchaîne les apprentissages et les copies de tableaux de maîtres et son talent commence à être reconnu. Lorsque Gustave est loin d’elle, Virginie attend ses lettres avec impatience, Elle l’a dans la peau. Mais peu à peu Gustave s’éloigne et ses absences sont de plus en plus longues car il fait passer son art avant tout le reste, c’est son absolu, le sens de sa vie. Sa carrière artistique ne doit être entravée par aucun lien humain, aussi fort soit-il. Pourtant, il en souffre lui aussi parfois, cette solitude lui pèse mais elle est nécessaire. Il semblerait que cela relève d’un irrépressible élan de liberté, incontrôlable, « indétrônable », plus fort que tout. Il n’est pas non plus d’une fidélité à toute épreuve. Mais Virginie trouve une compensation à cela dans les magnifiques toiles et dessins qu’il fait de leur couple, Les amants dans la campagne, sentiments du jeune âge, Paris.
Courbet est ambitieux et en peinture il s’aventure sur tous les terrains : portraits, peinture de genre, paysage , nature morte.
Il se lance le défi de peindre une grande toile qui le fera connaître et en effet c’est un grand succès. Entre-temps Virginie lui a donné un fils, Émile, dont Gustave prend plaisir à s’occuper de temps à autre, même s’il ne se sent pas réellement investi par la paternité. Mais suite à une nouvelle déception, Virginie quitte Gustave.
Ce que j’ai trouvé intéressant dans cet ouvrage, c’est qu’en plus de constituer un remarquable témoignage d’une époque (élections de Louis Bonaparte, émeutes réprimées dans le sang, relations entre les peintres et les poètes notamment entre Courbet et Baudelaire ), il permet aussi de voir la progression d’une carrière artistique.
Il permet surtout d’ouvrir les portes à une réflexion passionnante sur le rapport que l’artiste entretient avec son art, entre passion et dépendance, entre fusion et addiction, entre liberté et asservissement.
Il soulève enfin une dernière question fondamentale : peut-on vraiment résumer la personnalité d’un homme, en l’occurence Gustave Courbet, à un qualificatif comme « égoïste ». N’est-ce pas là un raccourci un peu rapide, même si bien sûr nous sommes tous tentés de le faire, si l’on songe au délaissement dont ses proches ont fait l’objet à certaines périodes de sa carrière, alors même qu’ils avaient parfois tant sacrifié pour lui…
Et en même temps, de nombreux passages du livre semblent opter pour l’hypothèse suivante : Gustave Courbet aurait lui aussi souffert de cette mise à distance, et même si ses proches lui manquaient, il n’a pas su les retenir car il était dévoré par son art, pris dans un engrenage.
Tout peut se résumer à la question que pose Pierre Perrin en fin de livre : « Que reste-t-il d’une vie ? ». Je pense en effet qu’il restera cette fresque sublime de tous nos instants vécus, les plus sombres et les plus lumineux, tous ces instants qui furent notre éternité. Et je terminerai en remerciant Pierre pour ce livre magnifique. Comme l’écrit René Char : « Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel. »


Chroniques de Parme C.

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