Rhizome de Christophe Stolowicki

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Débézed, le 6 février 2017 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
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Que la littérture reste un art

Rhizome, c’est le nom de la partie de certaines plantes, entre racines et tige(s), d’où poussent en général ces belles tiges, c’est du moins ce qu’on m’a enseigné quand j’étais jeune apprenti agriculteur. Christophe Stolowicki a adopté ce titre pour son recueil comme pour indiquer qu’à partir de ce rhizome, il fera pousser des tiges : ses colères, ses humeurs, ses remarques, tout ce qu’il a à vider sur ce que professent certains à propos de la littérature : des lieux communs, des idées reçues, des truismes et toutes sortes de fausses vérités qui essaient de nous faire croire que des belles tiges poussent un peu partout dans le monde littéraire. Des opinions, comme il le dit dans sa dédicace, qui vont souvent « à l’encontre du genre ». À contre-courant de ce que pensent en général ceux qui se disent les spécialistes de la littérature contemporaine.

Son propos se présente comme un répertoire de citations, de pensées, d’idées concernant la littérature contemporaine, les diverses formes littéraires, les auteurs, quelques éditeurs et tout ce qu’ils pensent sur ce sujet, essayant de le partager avec le lecteur.

Les tiges qu’il dresse sont comme des flèches qu’il décoche en direction de ceux dont il ne partage pas les vues, il introduit son texte avec un premier trait en direction des auteurs de textes courts, « les brèves », en stigmatisant les producteurs d’aphorismes trop prolifiques pour rester incisifs, « l’aphorisme plus assez dru pour se garder de suffisance », ou de haïkus trop rabâchés, dilués, lessivés « pour préserver sa consistante inconsistance ». Il évoque ensuite « Une poésie contemporaine tout en performances » qui « invente une dérisoire parade à la désaffection populaire ». Les prosateurs n’échappent pas à sa vindicte, ceux « qui pose prose » sont peu nombreux après Gombrowicz et Flaubert qui conservent son estime comme certains poètes : Celan, Pizarnki, Rimbaud, Baudelaire, Celan, Giguère, Luca, Metz et quelques autres. Même Sade n’échappe pas à ses flèches. Le roman, genre le plus exposé à la mode et à la commercialisation du talent, fait lui aussi l’objet d’une mise au point : après Stendhal et Flaubert, « un long intermède d’analphabète » d’où émergent seulement Mérimée et Maupassant. Un texte en forme de mise au point pour stigmatiser tous ceux qui se plient trop facilement aux effets de modes, aux statistiques des ventes, aux étiquettes trop élogieuses et à tous ceux qui vantent le talent de ceux qui n’en ont pas assez pour que le terme ne soit pas dévalorisé quand on l’évoque à leur sujet.

Ce recueil m’a immédiatement fait penser à Philippe Jaffeux dont j’ai eu le plaisir de découvrir le travail, la même recherche poétique en prose pour évoquer la pensée et la mettre en textes pour un lecteur suffisamment averti. Philippe Jaffeux, je l’ai découvert au creux de l’une des dernières pages : « Philippe Jaffeux, ses calligrammes interstitiels qu’évide un logiciel ». Juste ces quelques mots pour évoquer le travail du poète pour la conception d’une écriture possible face au handicap lourd. Toujours des mots très lourds pour formuler des idées puissantes en de courtes opinions souvent en forme de sanctions.
Chaque définition, chaque opinion, chaque remarque, chaque avis est, en effet, une forme de sanction, un coup d’épée contre les travers des « écriveurs » qui croient faire de la littérature mais ne font qu’un travail alimentaire en produisant comme à la chaîne. La littérature c’est autre chose, c’est un art, un art qui peut s’associer avec les autres, comme la poésie se calquant au rythme du rock and roll. La littérature contemporaine, sous toutes ses formes et tous ses aspects, s’écrit au rythme d’une musique et la musique que Stolowicki aime, c’est le jazz et particulièrement celui du Monk, le célèbre Thelonious Monk. Il déroule son texte au rythme de ces airs scandés par les longs doigts du jazzman sur le clavier du piano, réservant les trilles du saxophone de Coltrane à la longue phrase proustienne. L’art ne se divise pas, la musique scande la phrase et la peinture, notamment celle de Kandinsky et du Douanier Rousseau, plante le décor.

Un texte qui évoque sans conteste possible le mode de penser de Philippe Jaffeux avec des expressions, des sentences, des exclamations, des remarques plutôt que des phrases. Cette forme d’expression, si elle s’éloigne hardiment d’un certain académisme, conserve toutefois une force réelle grâce à une recherche très poussée de mots très justes, très adaptés à l’évocation recherchée, à la pensée à transmettre. Stolowicki livre un véritable pamphlet contre ceux qui se croient littérateurs (auteurs, éditeurs, critiques, faiseurs de talents…) et recentre le débat sur le talent dans son expression la plus restreinte, la plus pure, la plus exigeante et je dirais même la plus intelligente car l’auteur formule ses avis et sentences avec la plus grande rigueur intellectuelle.

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