Kannjawou de Lyonel Trouillot

Kannjawou de Lyonel Trouillot

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 18 février 2016 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
Visites : 2 890 

NE PAS PARDONNER AU MALHEUR

Le vocable « Kannjawou » signifie, dans la culture populaire d’Haïti, le partage, la fête, à l’occasion de réjouissances. Dans le roman de Lyonel Trouillot intitulé ainsi, ce dernier met en scène cinq jeunes gens, qui à la veille de leur entrée dans l’âge adulte, osent encore rêver de leurs avenirs: ils se nomment Sophonie, jeune serveuse au Kannjawou, nom d’un bar du quartier de l’Enterrement à Port-au-Prince ,Wodné, Joëlle, Popol. Leur soutien quotidien, c’est man Jeanne, mère de substitution un brin protectrice, qui tente de sauvegarder des règles d'humanité et prodigue des conseils à ces cinq adolescents, peut-être déjà en danger de perdition. Un autre personnage, le « petit professeur », tente grâce à sa vaste bibliothèque de leur inculquer des bribes de connaissances, de l’éducation.

Mais comment cela est-il réalisable dans ce pays, Haïti, dont l’auteur nous rappelle, très opportunément, qu’il a été occupé une première fois par les Américains, de 1915 à 1934, et qu’il est occupé une seconde fois par les ONG, les organisations non gouvernementales, depuis le récent tremblement de terre de 2010. Ce que met en relief Lyonel Trouillot, c’est le décalage entre les bonnes intentions de ces occupants, et la réalité haïtienne : « On entend même dix ans trop tard des voix qui dénoncent l’occupant. Tout le monde parle. (…) ça s’appelle la démocratie. Tu mens et tout le monde t’écoute. Tu dis la vérité et plus personne n’écoute. Et on te répond par la voix très douce d’une jolie porte-parole au teint hâlé que c’est bien que tu t’exprimes. Mais les fusils restent. Et les chars. Et le malheur. » Pourtant, ces adolescents tentent à maintes occasions, de barrer la route au malheur et à la fatalité: ils s’entraident, tentent de créer un centre pour gamins, une source éducative pour enfants en mal de repères, souvent dénués de parents ou d’attaches affective solides. Le constat est terrible: l’un des membres de la bande des cinq se résigne à l’échec, à l’impossibilité de s’en sortir vraiment : « Les quatre autres, nous devenons au fil des jours, sans trop vouloir le reconnaître, les plus riches parmi les pauvres, ou les pauvres les mieux lotis. Il leur manque les mots, les connexions. Ou, s’ils bougent, c’est sur un bateau dont ils ignorent la vraie destination. »
Prégnance du malheur, victoire de ce dernier ? En tout état de cause, Lyonel Trouillot pour sa part donne une réponse par la bouche de l’un des ses personnages : « Et notre absence ne changera rien au vaste cours des choses. Le tout est de meubler ce presque cherchant la juste mesure. Aujourd’hui, pour meubler ce rien je ne pardonne pas au malheur. »

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

La compassion idiote !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 58 ans) - 11 novembre 2017

Lyonel Trouillot (1956- ) est un romancier et poète haïtien d'expressions créole et française. Il est également journaliste et professeur de littératures française et créole à Port-au-Prince.
"Kannjawou" parait en 2016 (Actes Sud).

Haïti, Port-au-Prince, la "rue de l'enterrement" mène au cimetière de ce quartier pauvre.
Nous suivons "la bande des 5". Cinq copains que la vie a éloignés quelque peu mais qui se retrouvent pourtant régulièrement.
Les rêves perdus, la misère, l'occupation militaire et humanitaire ont assombri les esprits et émoussé les esprits révoltés.
Car au "Kannjawou", bar où se réunissent expatriés et humanitaires, ce sont les riches qui font la fête.
Et comble de l'indécence, ces fêtes empruntent les symboles de la Culture populaire.
Le jeune narrateur (qui appartient à la bande des 5) tient un journal. Le journal de "la rue de l'enterrement", entre pauvreté et rêves, vie et mort.
En ligne de mire, un hypothétique retour à la souveraineté.

Les très grandes forces de ce roman sont sa simplicité, sa concision et la richesse de la langue.
De courts chapitres sans fioritures qui mettent à mal les "bons sentiments des humanitaires".
Lyonel Trouillot met en lumière les contradictions, les petits intérêts personnels des "aidants", l'indécence de certains.

Un très grand roman de cette rentrée littéraire 2016 que je vous invite à dévorer sans tarder.

Forums: Kannjawou

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Kannjawou".