Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli

Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Rotko, le 20 novembre 2014 (Avrillé, Inscrit le 22 septembre 2002, 50 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 647ème position).
Visites : 4 881 

Être l’instrument du Mal.

Voilà un livre bien mené, dans l’Espace et dans le Temps. On parcourt essentiellement la Corse, malgré des incursions orales en Italie et en Grèce, avec des paysages très présents, abrupts, propices aux embuscades comme aux fuites salvatrices. L’époque, c’est un XIXe turbulent et sanguinaire, qui allie au début la lutte pour l’indépendance contre les Bleus, et le refus de la Conscription.

Mais, comme souvent, les combattants connaissent des dérives, de militants sincères et armés, ils deviennent des mercenaires et des « Bandits corses », dans des épisodes plus souvent horribles et sanglants que savoureux.

Au départ une affaire de vengeance amène une jeune fille corse à engager un tueur patenté pour châtier des criminels parfaitement odieux. Le Tueur, « l’Infernu », accepte, ce sera sa dernière affaire, et Vénérande obtient de l’accompagner dans sa traque, particulièrement malaisée et périlleuse.

En chemin L’Infernu raconte ce qu’il a vécu, et le récit avance donc sur deux plans : celui des actions passées, et celui du présent, l’acteur devient conteur, Vénérande écoute, parfois critique, séduite et effrayée par les faits rapportés. Puis le conteur devient acteur , et c’est Biancarelli qui prend le relais des scènes haletantes, et des conversations serrées entre les deux protagonistes. L’harmonie est grande entre ces deux narrateurs successifs, Biancarelli adopte le ton de son personnage, jusque dans la gloriole et le cynisme :

« L’Infernu avait agi vite, de manière cruelle, certes, mais somme toute assez généreuse, sans s’attarder sur la découpe, tranchant dans le vif plutôt que cisaillant, et de plus il avait une bonne lame, affûtée à merveille, pas un outil qui accroche ou qui ripe, et à ce moment là c’était tout de même appréciable. »

Ils font de cette histoire un western animé, avec chevaux, justiciers cruels, et crapules sans vergogne, à moins qu’elles n’aient une grandeur dans le Mal.

Car Le Mal est revendiqué - et assumé, par Vénérande et l’Infernu, celle-ci commanditant les meurtres et y prêtant main forte, celui-ci expliquant son parcours depuis son jeune âge jusqu’à sa grande expérience dans le crime. Au début il n’était qu’un adolescent, « Ange » lui servait de prénom, avant que le surnom mérité de « L’Infernu », n’atteste sa grandeur dans le Crime. « Ange Colomba », à croire que son nom prendrait tout son sens avec la rencontre d’une femme avide de vengeance.

On a deux histoires d’initiation, celle du tueur, et de Vénérande : des liens rapprochent progressivement la jeune fille et le vieil homme, dans le cheminement « moral » et la pratique. Tous deux évoluent, ce qui amène le thème de la Rédemption. Il sera question d’un monastère, dans des plaisanteries du Tueur, comme au cours de l’action : le Mal, une fois commis, deviendrait objet d’une réflexion transmise.

La couverture du livre, avec un cavalier semeur de morts, et le titre « les orphelins de Dieu » ouvre le champ à un « western métaphysique », au langage cru et sacrilège :

« Je crois comme ça que cette ordure qui est Notre Seigneur a pris un peu de tous les ingrédients les plus pourris de la nature humaine et qu’Il a foutu tout ça dans un bocal, avec nous au milieu pour voir ce que cela pourrait donner, et comme ça il saurait et Il éviterait de reproduire partout le même potage […] Il nous a choisis parmi les cobayes les plus zélés. La haine, le ressentiment, la jalousie, la convoitise, la médisance, on dira que c’est à peu près ce qui se partage le mieux dans ce putain de territoire, et si on y ajoute l’enculerie, la politique, la tyrannie, l’oppression et la guerre permanente, la vengeance et la corruption, je crois qu’on un terreau durable pour que le merdier légué par nos anciens se perpétue encore longtemps. »

Il est possible que les dernières pages concernent la Corse elle-même, se rappelant ses anciens forfaits pour mieux s’en débarrasser et changer de voie.

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Anges déchus

8 étoiles

Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 47 ans) - 9 août 2017

La Corse sauvage, plus hostile qu'accueillante, plus vénéneuse qu'enchanteresse. Il y a peu de beauté dans cette île où nous plonge Marc Biancarelli. Pas plus dans ses histoires que dans ses personnages.

Ange Colomba est un jeune garçon alors que les troupes de la Restauration tiennent d’une main de fer sa Corse natale. Mal aimé par sa famille, humilié par les soldats d’occupation, il répond aux sirènes de la bande de hors la loi de Théodore Poli. Mais quand les idéaux sont rattrapés par l’hubris de la rapine, quand même la population rejette cette violence dégénérée, quand de bande il n’existe plus rien, que peut faire un jeune homme qui ne sait que la haine et la guérilla?
Quarante ans plus tard, Vénérande ne rêve que de vengeance. Son frère a été mutilé par des brigands. Elle veut engager un tueur. Son chemin croise alors Ange devenu l‘Infernu.

Le roman est intense et brutal. Tel que l’on imagine la Corse du XIXème siècle. Celle des vendettas, celle de l'insoumission. C’est très bien écrit. J’ai été emporté dans cet univers désabusé comme dans un western aux héros vieillissants, préparant leur dernière sortie.

L'ange ou le démon

7 étoiles

Critique de Ellane92 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 48 ans) - 21 mars 2017

L'île de Beauté, les plages de sables fins, les criques cachées, les villages que l'on atteint par les sentiers détournés pleins de senteurs, de châtaignes et cochons sauvages, le tout sous l'œil bienveillant de la Citadelle... Tout cela est bien loin de la Corse telle que nous la dépeint Marc Biancarelli dans Orphelins de Dieu ! La beauté y est crasseuse, les plages lointaines, les sentiers raides et plein de caillasses et de boue. La sieste à l'ombre n'amène que la malaria. Les gens crèvent de faim dans des taudis, tandis qu'ils épient leurs voisins à leur fenêtre. Les héros d'hier sont les bandits d'aujourd'hui, toujours prêts à sortir les armes au moindre froncement de sourcils, et plus chatouilleux sur leur honneur qu'un Espagnol de l'ancien temps. Même les filles de joie n'enivrent leurs jeunes visiteurs que pour mieux leur soutirer leurs bourses (non, il n'y a pas de jeu de mot...). On ne va donc pas s'étonner si une jeune fille part dans l'espoir de venger son frère en lavant sa colère dans le sang, avec l'aide de l'Infernu, un ancien de la bande à Poli, le célèbre héros Corse.

Orphelins de Dieu est un drôle de livre. Nul doute que le titre est bien choisi et donne le ton de cet ouvrage résolument noir et violent, qui engendre chez le lecteur (enfin, ça a été mon cas) une sorte de fascination malsaine pour les aventures de Vénérande et le passé d'Ange. Qu'est-ce qui fait qu'un homme devient un héros ? Pourquoi Lewis Wallace est-il encore un symbole de liberté et d'indépendance, alors que Théodore Poli a fini trahi et abattu comme un chien ? Les guerres d'indépendance, quand c'est chanté par des poètes, ça va, mais quand on les vit en vrai, on n'a pas envie d'en faire des chansons. Mais à la vérité on n'était plus des héros depuis longtemps. On était des salopards.
Salopard, il faut sans doute l'être encore pour vivre de la boisson que rapportent les contrats que l'on exécute pour le compte de tiers. L'infernu, vengeant le faible et la vierge sans défense, devient-il un héros, ou à défaut peut-il se racheter une conscience au crépuscule de sa vie ? Est-ce en se vengeant qu'une jeune fille peut enfin, peut-être, vivre sa vie ?

Il y a quelque chose de sordide dans l'histoire racontée par Biancarelli, dans la succession de bagarres, de violence, de mutilations, évoquées. Mais il y a aussi parfois des éclairs de désir, de rédemption. Mais ça ne dure jamais que le temps que la réalité prenne le dessus. Il manque à mon sens quelque chose à ce livre pour en faire autre chose qu'un étalage de sévices et de morts brutales, une lumière d'espoir, un brin de compassion, un peu d'humanité, une aspiration à transcender cette vie de misères pour une autre. Et c'est dommage, parce que Orphelins de Dieu aurait pu être un livre fort et marquant.

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