Sault-au-Galant de Isabelle Grégoire

Sault-au-Galant de Isabelle Grégoire

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 6 juillet 2014 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 7 étoiles
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Village du Québec et Albi, même réalité

Sault-au-Galant est un village fictif que l’auteure situe non loin de Thedford. L’exode crée un vide qui dévitalise ce milieu rural habité par à peine 500 habitants. La population perdra-t-elle son école par manque d’élèves, et la seule entreprise qui offre des emplois fermera-t-elle ses portes faute de mains-d’œuvre ? C’est la menace qui plane sur de nombreux villages québécois. Pour résoudre la situation, Alix Pineda, une Colombienne mariée à un fermier de l’endroit, a eu la lumineuse idée d’inviter ses compatriotes immigrés à s’y établir afin de surseoir à une démographie moribonde.

Douze familles ont répondu à son appel. Mais l’arrivée d’une soixantaine d’immigrants risque d’ébranler la population de Sault-au-Galant, un village séculaire isolé dans la chaîne des Appalaches. Si l’accueil par la municipalité (commune) est chaleureux, qu’en sera-t-il de la vie au quotidien ? Les préjugés risquent de surgir à plus ou moins long terme. Ce ne sont pas les petites sandwiches (féminin au Québec) pas de croûte servies lors de la réception qui résorberont le choc culturel. La nourriture est l’élément déclencheur de tous les malheurs des « étranges ». Et c’est à l’école, à l’heure du lunch, que les jeunes Colombiens paieront les frais de la différence à cause de leur bouffe qui pue selon les petits Québécois. Il n’en faut pas plus pour enclencher les mécanismes de l’intimidation, la plaie incurable dont souffrent d’ailleurs toutes les écoles du Québec.

Le petit Emilio Mondragon est désigné tacitement comme principale victime du rejet. On est imaginatif pour inventer des moyens de torture mentale. Sa vie se transforme en véritable calvaire, qui se solde par sa disparition. L’incident a l’effet d’une trêve. Tous et chacun participent aux battues organisées pour le retrouver le long de la rivière, croit-on, où il aurait pu se noyer en ce printemps qui gonfle les eaux déjà tumultueuses à cause des écueils qui ont donné le nom au village. Cette disparition sert de pivot au roman, qui se conclut évidemment par la découverte de l’enfant. Une découverte qui noue des liens apparemment impérissables entre tous les membres de la petite communauté, vivant à l’ombre d’une énorme église.

L’auteure ajuste sa trame aux rites du village. Elle crée de nombreux personnages, sans perdre son lecteur, pour incarner toutes les facettes d’un quotidien qui risque de s’étioler sans la venue d’une relève. Le curé, le pompiste, le dépanneur (propriétaire d’un petit marché), le maire, l’unique entrepreneur, les enfants et leurs parents sont tous mêlés, de près ou de loin, à cette histoire d’immigrants et de disparition. La dichotomie s’efface devant l’histoire d’âmes en quête de bonheur. Le mal et le bien sont intimement liés comme l’a écrit Baudelaire. Le passé parfois coupable et presque toujours douloureux est signalé pour chacun des clans. Le bourreau sud-américain côtoie l’idiot du village, la commère xénophobe appuie la Colombienne ouverte aux autres. On s’affaire à laver le linge sale : l’adultère est pointé du doigt autant que l’acte charitable. C’est par contre un peu bucolique comme propos. L’entente parfaite existe-t-elle ?

Si le roman excelle dans l’exercice de saisir la psychologie des gens de toute souche, on peut en dire autant de la structure, qui soutient l’action en cheminement vers l’épilogue. L’auteure a concocté un suspense qui défie les plus perspicaces. Qu’est-il advenu du petit Emilio ? Plusieurs narrateurs palabrent à son sujet. Ils apportent des éléments qui font comprendre que sa disparition dépasse l’incident malheureux pour s’attacher à une collectivité qui veut se reconstituer à tous les plans.

Ceux qui aiment se faire raconter une histoire seront servis à souhait par cette œuvre, qui s’adresse à un large public. D’aucuns sourcilleront par l’écriture un brin surannée, mais il reste que l’auteure s’attaque à un drame vécu dans plusieurs milieux depuis l’avènement de l’arrivée massive d’émigrés venus de partout. Pour nous au Québec, ce n’est pas sans rappeler l’histoire d’Hérouxville. Et en France, le drame récent d’Albi appartient aussi à ce créneau funeste de la vague d’exodes de pays incapables d'assurer la sécurité de leurs commettants.

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