Anticonformiste

« On est des cons.
On a commencé par piquer une bagnole, comme ça, juste histoire de faire un tour, parce qu'on savait pas quoi faire. Le samedi, on sait jamais quoi faire. Le dimanche non plus d'ailleurs. Le cinéma ça nous emmerde, les filles sont connes et puis faut du blé, et on en a pas.
Une 21 à injection, toute neuve, et garée dans une rue déserte : on pouvait pas laisser passer ça. Et plutôt pute, comme berline. Je pose la main sur le capot : le moteur est encore tiède.
Ça détonnait, faut dire, tant de somptueux métallisé, de cuir et d'appuie-tête, dans cette allée jonchée de familiales croulantes, terne chrome et compagnie. Une luxueuse des beaux quartiers perdue en pleine périphérie. Un pur-sang égaré. Normal qu'on reste en arrêt.
Neuf heures. Je scrute tous les coins sombres, les portes cochères et les balcons. Derrière chaque fenêtre de la résidence, y a l'écran qui scintille, bleuté. Une rumeur de feuilleton nous enveloppe, rassurante. Dehors, pas l'ombre d'un déserteur. L'occasion ou jamais. Dans la vie faut savoir se lancer. »

Les Valseuses avant d'être un film qui a marqué les esprits dans les années 70 est un roman. Une histoire que Bertrand Blier mettra en scène une année après la sortie de ce pavé lancé dans la mare littéraire.
Et que dire de ce roman ?! Tout d'abord qu'il est exaltant, jubilatoire, qu'il constitue une véritable bouffée d'air frais. Nous sommes tous soumis à une certaine pression sociale : mariage, éducation, études, travail, sexualité, lois...
Dans ce roman toutes ces « règles », ces conventions, ces lignes à suivre sont transgressées, détournées. Dans la littérature contemporaine beaucoup de romans ont pour fond ces transgressions. Je pense à des auteurs tels que Bret Easton Ellis, H.S Thompson, Despentes mais souvent ils ont eu tendance à sombrer dans une certaine facilité, une sorte de voyeurisme, voire de vulgarité.
Certes les Valseuses ne fait pas dans la dentelle mais il s'éloigne radicalement de tout cela. Tout d'abord par son style et je n'ai pu m'empêcher de mettre un extrait dans cette critique. Il se dégage un bagout, une verve rarement rencontrés jusqu'alors. Combescot s'en approche quelque peu. Les phrases sont courtes, percutantes. Le vocabulaire, atypique, mêle argot, expressions courantes mais avec une certaine finesse, une candeur qui rendent le récit touchant. Il y a indéniablement du talent. Cela peut paraître simple à écrire mais quiconque s'est essayé à l'écriture connaît la complexité du procédé.

Blier nous conte l'histoire de deux voyous, Jean-Claude et Pierrot. Ils errent sans but ou disons plutôt dans un sens : celui d'éviter les barrots car une chose les effraie plus que tout : la prison. Et pourtant régulièrement leurs pérégrinations les feront tourner autour de ces bâtiments austères, attirés comme des papillons de nuit par les lumières nocturnes. S'y brûleront-ils les ailes ?
Marginaux, petits délinquants, êtres irréfléchis, à la limite du pathétique ils recherchent la liberté, le plaisir immédiat sans se soucier des conséquences. Leur fraîcheur, servie par des dialogues insolents les rend attachants, terriblement attachants.
Peut être ce sentiment provient du film qui je dois bien l'avouer m'a emballé. En lisant ce roman je n'ai pu m'empêcher de revoir Depardieu, Dewaere et Miou-Miou, jeunes, sveltes et beaux. Impossible d'en faire abstraction, impossible.

De plus le roman apporte de nombreuses précisions au film, une touche plus profonde. Un aspect différent même si le ton général reste le même : impertinent. Et que dire de la crudité de certaines situations...

Un régal.

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  Les valseuses

  de Blier, Bertrand
  J'ai lu
  ISBN : 9782277115434 ; 3,99 € ; 01/01/1974 ; Poche

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