La Décision de Isabelle Pandazopoulos

La Décision de Isabelle Pandazopoulos

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 7 octobre 2013 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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viol et déni

Nous sommes dans un lycée parisien de qualité, la plupart des élèves font grève pour soutenir les protestations contre la réforme des retraites ; pas ceux de Terminale S, qui bachotent pour le bac. Mais ce jour-là, Louise Beaulieu, élève brillantissime, a un malaise en classe, demande à aller aux toilettes. Samuel, le benjamin de la classe (deux ans d'avance), l'accompagne. Elle s'enferme, et peu de temps après, Samuel aperçoit un filet de sang qui coule sous la porte et s'agrandit. Il alerte les secours. Louise vient d'accoucher d'un petit garçon, événement que rien ne laissait présager (elle avait juste dû augmenter ses jeans "d'une taille"), elle ne se savait pas enceinte, elle dit à la psychologue de l'hôpital et à ses parents : "Je... n'ai jamais eu... de relations sexuelles... JE-N'AI-JA-MAIS-COU-CHÉ-A-VEC-PER-SON-NE !" Ce que, bien sûr, personne ne croit. Et on lui met le couteau sur la gorge : il faut que, dans les deux mois qui viennent, elle prenne une décision difficile : garder l'enfant ou continuer ses études. Elle est placée dans un centre maternel où elle rencontre d'autres jeunes filles déjà mères. Des paumées, au sort déjà fixé par la société, et qui sont là en attente d'une solution de sortie, enviant quelque peu Louise, qui ressemble à ces filles des beaux quartiers qui, "elles, ont un chez soi, un amoureux, un boulot, des parents qui les aiment... Une vie comme on en rêve et qu'on n'aura jamais." Pendant qu'elle est là, le jeune Samuel mène son enquête pour savoir ce qui s'est passé. Car Louise, dans son "déni de grossesse", persiste à ne rien savoir : "tu cherches à tâtons dans la nuit un sentiment, mais tu n'éprouves rien, c'est ça le plus effrayant, que ça ne t'appartient pas, comme si c'était toujours l'histoire de quelqu'un d'autre..."

Isabelle Pandazopoulos, dans "La décision", crée un roman choral, où les chapitres sont tour à tour racontés à la première personne par Louise qui paraît à la fois accablée, honteuse et insensible, par ses condisciples que l'affaire dérange (qui est le fautif ?), par les parents et la famille que tout ça dépasse, par les professionnels du centre maternel, les seuls (avec Samuel) à être d'une aide précieuse pour Louise. Tout ça est raconté avec un naturel que la diversité des points de vue des raconteurs charge d'intensité. On est vraiment dans la peau des différents personnages, de Louise en particulier, confrontée à un choix difficile. Mais rien à faire, elle ne se sent pas mère. Elle a appris à chérir son bébé qu'au début elle ne voulait toucher qu'avec des pincettes : "c'est moi qui l'ai mis au monde, ça je l'ai accepté, je l'ai vécu. Je l'aime mais je ne suis pas sa mère."

De toute façon, l'enquête va révéler qu'elle a été victime d'un viol sous GHB, ce qui explique qu'elle ne se souvient de rien. Cependant elle ne veut "pas porter plainte". Mettre l'odieux individu, un de ses copains de lycée à qui elle se refusait, car n'étant pas sûre de l'aimer, "en prison, à quoi ça servirait ? Me venger ? Je n'en éprouve pas le besoin. J'imagine ses remords, le poids qu'il va être obligé de porter, ça suffit bien comme ça. Et si les autres, les juges, les flics décident de lui faire un procès, moi, je refuserai d'y aller. C'est à ces gens-là de faire leur travail. Moi, j'essaie juste de cesser d'y penser." Louise donc va prendre la décision que je vous laisse découvrir. Car l'auteur n'a pas voulu faire un roman à suspense (l'enquête ne nous intéresse pas vraiment, ce qui compte c'est l'évolution des sentiments de Louise), car le passé, même s'il est douloureux, est mort. Ce qui compte, c'est le présent, prendre une décision, et l'avenir qu'il faudra vivre avec ce poids.

Un sujet dérangeant, difficile à aborder, voire à supporter, traité avec beaucoup de délicatesse. Publié dans "Scripto", la belle collection pour ados de Gallimard, le roman est fort, car il est exempt de jugements ou d'explications simplistes. Aucune thèse, la vie qui coule, comme le sang sous la porte.

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