L'heure maliciôse de Louise de Vilmorin

L'heure maliciôse de Louise de Vilmorin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jlc, le 17 août 2013 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 7 étoiles
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L'heure exquise (valse)

Louise de Vilmorin traverse aujourd’hui le purgatoire des écrivains comme elle a traversé son siècle avec certainement la même grâce, la même élégance et la même séduction. Issue d’une famille aristocratique qui s’était fait un nom dans la botanique (pour ne pas dire le commerces des graines), elle souffrit toute sa vie d’avoir été négligée par sa mère, ce qui lui fit dire : « Je suis née inconsolable ». Après des « fiançailles pour rire » avec Saint Exupéry alors inconnu et…fauché, elle épousa un américain puis un Hongrois avant de revenir en France en 1944 et y mener une vie mondaine et artistique extrêmement brillante, recevant et séduisant dans son célèbre salon bleu du château de Verrières tout ce qui comptait à Paris et en Europe. Jamais esclave de son milieu, elle s’amusait beaucoup. Ainsi, fut- elle fut le premier écrivain à participer à des émissions de variété à la télévision avec Guy Béart. André Malraux qu’elle avait aimé dans les années trente fut son dernier amour avant qu’elle ne succombe à une crise cardiaque en 1969.

Mais surtout Louise de Vilmorin était un écrivain et un écrivain qui douta toute sa vie de son talent. D’où peut-être aussi cette mélancolie douce qu’on lui voit parfois dans un regard qui s’échappe. Elle connut le succès avec « Julietta » ou « Madame de » dont Max Ophüls fit un chef d’œuvre du cinéma illuminé par le charme de Danielle Darrieux.

« L’heure malicieuse » est un de ses derniers livres et Louise de Vilmorin a dû beaucoup s’amuser en l’écrivant. Cette rencontre entre une famille pour le moins farfelue avec une jeune femme, belle d’abandon et d’exil va, sur un ton drôle, se révéler être une fable.

Le comte Nini est pauvre, coquet, péremptoire et malhonnête, enseignant à ses huit enfants des principes quelque peu singuliers tels que : « Quand on est un homme du monde, on ne vole dans les salons que les gens qu’on connaît. C’est tricher que de voler un inconnu ».
Il est marié à celle que tout le monde appelle Tante Pée qui « fait toujours « bonne mine à mauvais jeu ». Son obésité va de pair avec une tendance à s’évanouir pour un rien. Et il faut alors l’éveiller sous un jet d’eau qui vient d’un tuyau bien singulier. Long de douze mètres, articulé, en vermeil ciselé par Benvenuto Cellini, ce « Tuyotto Nobile fait la fierté de la famille depuis qu’il fut offert par les municipalités toscanes en hommage à la bravoure d’un ancêtre de Nini et remis par Savonarola, le triste sire. Leurs enfants ont des prénoms inusuels : les aînés, Crottine et Queral « fort snobs à cause de leur naissance et de leur eczéma, indice de leur sang bleu », suivis de jumeaux, de Gamelle (la savante, auteur d’un ouvrage sur « l’influence de la vésicule biliaire sur le pouvoir d’applaudir »), de Bigue la poétesse dont on peut lire les vers, tel ce quatrain :
« Dans les jardins, le vent sauvage
Berce des fleurs aux noms latins
Dans les jardins sous les ombrages
La nuit est verte le matin ».
Il y a enfin les petits derniers et Tante Pée les appelle tous « Mes Cherimimis »

Arrive la belle Maliciôse dont Nini tombe instantanément amoureux. Il la sauve d’un incendie en la serrant contre lui, elle le repousse comme un fripon qui croit émouvoir la belle en lui disant : « Vous êtes mon incendiaire et je brûle pour vous » !! Il lui fait le chantage du suicide, elle prend peur et finalement accepte de le recevoir. A quelle heure ? murmure l’éperdu. A l’heure malicieuse…Quand il se présente à 5 heures, l’heure est passée. Nouveau chantage et le voilà dans le salon bleu, probablement en référence à celui de Verrières où la marquise recevait. Il l’ennuie, elle veut s’en débarrasser. Il fait une mauvaise chute et ne peut la voir plusieurs jours, au moment où ses enfants découvrent son projet de s’enfuir avec Maliciôse. Pour empêcher cela et protéger leur mère adorée ils échafaudent un complot fondé sur de nobles sentiments mais absurde. L’heure Maliciôse « qui dure moins longtemps que celle des pendules » rythme le déroulement des événements. S’ensuivent quiproquo, malentendus, retournements de situations avant un final inattendu où le Tuyotto Nobile va jouer sa partie.

Cette histoire, plus profonde qu’il n’y paraît, est d’une superbe écriture qui n’est pas sans rappeler celle du Stendhal de « La chartreuse de Parme ». L’intrigue, parfois très compliquée, est menée avec maestria. Le bonheur d’écrire de Louise de Vilmorin, sa fantaisie quand elle intègre ses amis dans son récit (tels Gaston Gallimard, félicité pour « l’éclat de sa maison » …dont elle fait partie ou François Valéry, le dédicataire) font le régal du lecteur. Mais tout cela n’efface pas la gravité qui surgit ici ou là. Est-ce pour elle même qu’elle écrivait ce qu’elle fait dire à Maliciôse,
« Tout est là, sauf moi. J’en avais assez d’être moi » ?

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