Mourir est un art, comme tout le reste de Oriane Jeancourt-Galignani

Mourir est un art, comme tout le reste de Oriane Jeancourt-Galignani

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 17 avril 2013 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 350ème position).
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"Quand il est mort le poète..."

Dans le Devon, par une nuit glacée de février 1963, Sylvia Plath organise méticuleusement son suicide tout en prenant soin que ses enfants puissent trouver quelque chose à manger quand ils se réveilleront orphelins. Oriane Jeancourt Galignani prend cette histoire à bras le corps pour reconstituer, à sa façon, la mort de cette poétesse adulée des féministes, délaissée par son mari, humiliée plus souvent qu’à son tour, mais aussi pour expliquer comment une femme jeune, belle et talentueuse peut arriver à cette ultime extrémité. « Ce roman s’est accordé toute liberté…. S’appropriant l’existence de personnalités réelles ».

En préparant son suicide Sylvia explore toutes les failles qui ont fissuré sa vie et qui se creusent de plus en plus la détruisant complètement : son avortement, l’accouchement de son fils, ses amours, son amour, son grand amour avec Ted Hughes, le poète chéri des médias, « imposteur en goguette », qui s’en va à vau l’eau. Ted conduit sa carrière au détriment de celle de sa femme qui accepte de vivre en retrait pour l’amour de son mari et de ses enfants. « Parce que ta vie restera l’officielle et la mienne l’officieuse ». Elle revoit aussi Bergman et son film, « Au seuil de la vie », sur l’accouchement, la maternité, l’avortement, la stérilité ; elle ressent encore l’humiliation qu’elle a éprouvée quand on lui a refusé ironiquement de publier « La cloche de détresse » ; elle ne peut oublier son père nazi à jamais, profondément antisémite, sa mère qui ne sait pas l’aimer, sa première tentative pour fuir vers un autre monde ; elle revit sa rupture avec la religion le jour des obsèques de son père, le jour du baptême des ses enfants ; elle n’arrive toujours pas à assumer ses origines allemandes, sa parentalité avec les auteurs de l’Holocauste. Toujours l’échec, l’humiliation, les hallucinations qui la pourchassent, elle ne croit plus en elle, elle se trouve laide, indésirable, incapable de séduire, mauvaise mère. Femme bafouée, poétesse dévaluée, mère accablée, fille hantée par les fantômes, sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue.

Oriane ne raconte pas la vie de Sylvia, elle la réinvente, elle s’infiltre sous la peau de la poétesse pour nous conduire au cœur du drame de cette femme mille fois humiliée car ce n’est pas seulement la folie qui a tué Sylvia mais surtout la somme des humiliations et des frustrations qu’elle a dû subir. Elle veut, par ce procédé, nous faire ressentir ce que cette femme a subi, ce qu’elle n’a pas pu supporter, ce qu’elle a fui. Sylvia Plath était bipolaire, selon le diagnostic actuel, mais Oriane insiste surtout sur sa vie de fille, sa vie de femme, sa vie d’épouse avec tous les échecs qu’elle a rencontrés dans toutes ses vies. Mais ce livre est avant tout, à mon sens, un grand texte qui se suffirait certainement à lui-même s’il ne fallait pas un prétexte pour assembler les mots, les accorder en une musique funèbre, un requiem, pour toutes les femmes poussées vers l’extrême.

Une écriture riche, travaillée, léchée, un récit très maitrisé, vivant sensuel, agréable à lire, un beau texte, étayé de multiples citations de l’œuvre de la poétesse, qui réinvente une Sylvia acculée à la dernière extrémité, dans un récit cheminant au gré des pensées que la victime a pu avoir tout en ourdissant son ultime plan. Un texte dans lequel Oriane pourrait conjuguer son talent avec celui de Sylvia mais pour l’affirmer, il faut que désormais je lise « La cloche de détresse ».

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"Ma peau luit comme un abat-jour nazi"

8 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 28 mai 2013

La protagoniste de ce livre est bien Sylvia Plath, mais ça aurait pu effectivement être n’importe quelle autre femme. Ce livre, c’est le parcours douloureux de quelqu’un, quelqu’un qui un jour en arrive à calfeutrer le bas des portes pour que les émanations de gaz ne parviennent pas dans la chambre des enfants, qui prépare des biscuits et du lait pour ces derniers et qui décide irrémédiablement d’en finir.
Ce livre ne raconte pas la vie de Sylvia Plath, ce livre montre comment une artiste, une femme, une mère, une fille qui traîne un fardeau déjà bien lourd (« Tu es mort sans me laisser le temps de tuer… » écrit-elle à propose de son nazi de père) se retrouve emmurée dans une souffrance insubmersible et ne voit plus d’issue pour en sortir. Comment, à force de petits moments de vie cruels, de paroles assassines, de frustrations répétées, des petits cailloux viennent s’ajouter au poids du fardeau et finissent par faire couler à pic celle qui ne parvient plus à le soutenir.
Bipolaire, couverte d’eczéma, angoissée et sans doute névrosée, Sylvia Plath a été également mal aimée, mal considérée, bafouée et rejetée.
Alors elle a décidé de se taire, de disparaître…
« Une bouche cousue parce qu’il n’y a pas d’arme. Et à l’arrière, ces disques noirs tournant sans cesse le chant de l’humiliation. »

Ce livre, c’est une femme qui parle d’une autre femme, en essayant de la « dire » au mieux, et qui lui donne la parole (des extraits de Sylvia Plath s’insèrent dans le texte), montrant ainsi qu’elle l’a écoutée, et qu’elle s’est beaucoup inspirée de ses écrits pour la comprendre.
Certains passages sont impudiques, et pourtant c’est avec beaucoup de pudeur, une émotion contenue, une juste sobriété qu’on pénètre dans l’intimité de cette femme dévastée. Le ton est juste. De bout en bout. L’équilibre est parfait.

Ce livre, c’est un beau livre à lire. Tout simplement.

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