Les pâtres de la nuit de Jorge Amado

Les pâtres de la nuit de Jorge Amado
(Os pastores da noite)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Myrco, le 26 février 2013 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 908ème position).
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une certaine philosophie de la vie...

Jorge Amado est considéré comme l'écrivain peut-être le plus emblématique de la littérature brésilienne du XXème siècle.

Avec "Les pâtres de la nuit" écrit en 1964, il rend hommage aux plus pauvres de Bahia, aux démunis, marginaux, qui vivent d'expédients, licites ou non, par choix ou nécessité, et ce, dans la plus grande précarité.

Dans une langue de l'oralité, simple et familière, anticipant parfois sur la suite des évènements, en appelant à la complicité du lecteur, Amado se fait témoin-narrateur pour nous conter avec malice et humour, mais surtout une infinie tendresse sincère et indulgente pour ses personnages hauts en couleur, la chronique d'un petit groupe d'amis vagabonds: Martim, l'irrésistible cavaleur, jaloux de sa liberté, joueur invétéré et tricheur talentueux, Curio, l'ami idéal, naïf et romantique, toujours entre deux chagrins d'amour, Massu, le nègre Hercule au grand coeur, Jesuino le sage qui a la solution à tout, La Rafale peu scrupuleux, obsédé par la croupe des mulâtresses et capable de fondre (et de nous faire fondre) devant une petite souris apprivoisée... et d'autres encore.

Mais qu'importe la misère de leur condition... La nuit est leur refuge qui abrite leurs rencontres quotidiennes dans la boutique d'Alonso ou ailleurs, au bistrot, chez Tibéria, la patronne du bordel, si maternelle avec ses "filles". On s'y recrée une véritable famille, dans la chaleur et la solidité de l'amitié virile, autour d'une bouteille de cachaça. On s'y raconte des histoires, on se concerte sur la manière de résoudre les problèmes des uns et des autres, et surtout... on y célèbre les plaisirs simples de la vie au jour le jour, les femmes (enfin... le sexe) , la fête... tout cela habité par l'omniprésence du candomblé, cette religion des noirs de Bahia, héritée des cultes africains, avec ses rituels et ses divinités multiples.

Amado nous raconte en fait trois épisodes différents et successifs de l'histoire commune de cette bande d’amis, dont la fin, à chaque fois s'avèrera plus ou moins inattendue.

Je vous avouerai que j'ai mis un certain temps avant de me laisser entraîner dans cette comédie humaine plutôt lumineuse et joyeuse dans laquelle Amado tend à magnifier ses principaux personnages dont il fait les héros d'une sorte de geste locale. J'ai craint un moment que ce livre et moi ne parvenions à nous rencontrer. J'ai d'abord été surprise et déçue par la rupture de style entre le lyrisme poétique des quelques pages sublimes écrites par l'auteur en introduction à son roman et la suite; déçue aussi par la banalité du début de l'histoire de Martim dont il me semblait que les aventures maritales ne valaient pas un tel intérêt disproportionné; j'ai été rebutée par la terminologie spécifique du candomblé qui rend la lecture parfois fastidieuse et indigeste; je suis restée en retrait devant une certaine vision de la femme incarnée par Marialva, archétype de la duplicité... et puis, j'ai ri à la conclusion de l'épisode qui devrait réjouir nos amis du sexe opposé! A partir de là, j'ai pu me laisser envahir par le plaisir de la lecture; la rencontre s'était opérée.

Le second épisode consacré au baptême de l'enfant de Massu nous fait pénétrer au coeur du folklore pittoresque de cet étonnant syncrétisme religieux entre catholicisme et candomblé.

Quant au dernier épisode, sur le thème de l'invasion par ces démunis , de terrains inexploités appartenant à de riches propriétaires, pour y construire leurs favelas, s'il n'est pas en rupture avec les précédents, il se teinte néanmoins d'une coloration à la fois plus grave -avec la disparition de Jesuino (annoncée dès l'entrée) et la douce figure d'Otalia, la petite prostituée de seize ans à peine sortie de l'enfance-et surtout plus politique. Avec une clairvoyance aiguë et sans illusions, Amado renoue là sur le fond, avec la littérature engagée de sa première période littéraire, usant toutefois d'humour et de dérision pour fustiger politiciens, police et médias qui tirent les fils d'un écheveau complexe qui mêle corruption, manipulation, collusion d'intérêts et clientélisme électoral. En contrepoint, cette ultime partie du roman est avant tout un vibrant hommage à ces sans-grades, qui témoigne d'une profonde admiration pour leur philosophie de la vie "vivre et résister":
"ils parvenaient à ce prodige (...) vivre quand ils n'avaient que les moyens de mourir (...) leur capacité de résistance (...) elle était née sur les bateaux des négriers (...) Et non contents de vivre, ils vivaient heureux, qui plus est (...) ils résistaient à tout, affrontaient la vie et ne la trouvaient pas nue et froide, ils la revêtaient de rires, de musiques, de chaleur humaine et de gentillesse, de cette civilisation du peuple bahianais. "

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9 étoiles

Critique de Naoki70 (, Inscrit le 13 septembre 2011, 45 ans) - 18 juin 2013

Je n'ai pas grand chose à rajouter à la critique de Myrco , juste que c'est sûr que j'ai bien ri à la fin de l'aventure entre Martim ( qui ne m'a pas déçu ) et Marialva ... Ca me fait un auteur de plus à découvrir , ça tombe bien , j'ai trouvé "La boutique aux miracles" à Emmaüs ....

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