Une autre jeunesse de Jean-René Huguenin

Une autre jeunesse de Jean-René Huguenin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jlc, le 16 décembre 2012 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 7 étoiles
Visites : 2 742 

Un coeur pur

Les trois seuls livres écrits par Jean-René Huguenin, un roman, un recueil d’articles et un journal, nous laissent l’image d’un homme très jeune, tout de fougue fait, révolté exigeant, bouillant d’idées, brillant égotiste et en même temps respectueux de ses aînés dont il apprécie les encouragements, notamment ceux de Mauriac et Aragon. Un cœur pur que la mort, qu’il imagine comme « l’instant ultime où nous attend peut-être enfin la lumière », saisira vif à 26 ans. C’était il y a 50 ans.

« Une autre jeunesse » rassemble des articles publiés de 1958 à 1962 dans divers magasines, essentiellement Arts. Il y aborde, avec beaucoup de cohérence, les thèmes de la jeunesse, de l’indifférence, du nouveau roman et brosse quelques beaux portraits d’écrivains. Sa lecture laisse un sentiment ambigu, partagé que nous sommes entre le côté un peu désuet de certains sujets et la grande force des réflexions sur notre monde. C’est probablement la loi du genre. Ainsi, un article sur « la nouvelle vague », essentiellement cinématographique, date un peu alors que son combat contre l’indifférence et la solitude qu’elle engendre reste, un demi siècle plus tard, d’une actualité terrifiante. « Parce que nous sommes de moins en moins solidaires, nous sommes de plus en plus seuls ». L’humanité de 2012 ressemble à celle de 1960, elle est obsédée par le temps dont elle dit manquer alors qu’elle s’ennuie. Et d’expliquer le succès de Françoise Sagan qui « parle de l’ennui à des gens qui s’ennuient ». Cette humanité veut « posséder avant d’avoir désiré », ne sait pas la joie de « se résister ». En un mot, Huguenin ne supporte pas son époque matérialiste qui prévoit tout, a réponse à tout, où l’affrontement des intérêts a remplacé celui des idées. Mais en aurait-il supporté une autre ?

En littérature, il est proche de Jean-Edern Hallier ou du jeune Sollers avant de s’opposer à lui sur le nouveau roman. Pour Huguenin, cette école a l’originalité d’abolir la distinction entre le personnage et le sujet en retenant quatre aspects fondamentaux de notre civilisation : la technique, le matérialisme, la standardisation et l’obsession du temps, seul vrai personnage. On veut créer chez le lecteur moins d’états d’âme que « d’états de sens ». Je ne suis pas sûr que cette controverse pourrait avoir lieu aujourd’hui où le débat cède trop souvent le pas à la polémique.

Huguenin est un moraliste réactionnaire, dont la révolte est proche de celle de Bernanos. Il pourfend les idées reçues, fustige l’éducation qui ne serait qu’une « indulgence fatiguée plus faible que tendre », se désole que des « humanistes modernes aient prétendu substituer à la religion une espèce d’idéal humanitaire et social fondé sur le copinage viril et l’aide aux familles nombreuses ». Il use de la plume du polémiste quand il se mêle au débat entre les catholiques intégristes (il y en avait déjà) et les psychanalystes, les premiers reconnaissant les vertus thérapeutiques de la psychanalyse tout en rejetant les postulats philosophiques des seconds. Il s’inquiète de ces abbés recyclés dans le freudisme qui veulent éviter que « les chérubins se sentent coupables des péchés dont ils s’accusent ».

Ce fou de littérature sait brosser de magnifiques portraits d’écrivains. C’est la partie que j’ai préférée et plus particulièrement ce qu’il écrit de François Mauriac dont « le visage a gardé les contrastes de l’adolescence », avec qui il avait noué des liens d’amitié et qui disait se reconnaître en lui ; Mauriac qu’on « ne saurait comprendre si on ignore qu’à vingt mois il a été privé de père », pour qui Dieu continua de remplir le rôle de ce père disparu, qui vivait « dans la terreur de la tentation, de la « mauvaise pensée ». Huguenin parle si superbement des premières pages de Genitrix qu’on ne peut s’empêcher d’aller rechercher ce roman oublié avant de se laisser envoûter par cette superbe prose. D’Aragon on retiendra cet artiste aux multiples facettes, aux fonctions innombrables qui ne dédaigne pas d’afficher son snobisme d’avoir le goût de tout ce que les autres n’aiment pas encore ; « ce merveilleux art du banal » que ne contredit pas une « distraite élégance » ; ce grand amoureux qui le fut aussi de lui même. De Hemingway que Huguenin suivit une nuit dans Paris, on se laissera prendre par sa politesse timide et émouvante quand il se levait pour accueillir quelqu’un et attendait que la personne fût assise pour faire de même ; ou lorsque il vous donnait un affectueux coup de patte quand vous partiez.

Le livre se conclut néanmoins sur une note d’optimisme, celle de la jeunesse, cet âge où « le cœur se réserve ». « On la croit la saison de l’Amour ; elle est plutôt la saison du désir de l’Amour. » Faite de désordre et de douleur, les années 60 se rapprochent ainsi du romantisme (et il cite les films d’Alain Resnais). Huguenin fait un rapprochement entre le James Dean de « La fureur de vivre » et les nihilistes du dix neuvième siècle décrit par Lermotov dans « Un héros de notre temps » sans savoir qu’il en aura le destin, mourir très jeune après avoir vécu intensément.

Outre ses indéniables qualités littéraires, « Une autre jeunesse » nous offre l’éclairage à contre-jour d’un jeune homme formidablement doué, dont on peut certes contester les idées mais pas la générosité, qui interrogeait trop la vie pour avoir une réponse claire et qui n’aurait jamais été qu’une consolation insuffisante pour ce cœur pur.

En 1961, Mauriac lui écrivait : « Je ne vous souhaite pas le bonheur car vous ne devez pas l’aimer, mais je vous souhaite de désirer la lumière. » Lumière, le dernier mot de ce livre.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Une autre jeunesse

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Une autre jeunesse".