La côte sauvage de Jean-René Huguenin

La côte sauvage de Jean-René Huguenin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jlc, le 29 novembre 2012 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 2 881 

Un foudroyant succès dans une vie foudroyée.

« La côte sauvage » a été publiée en 1960 et a connu un succès littéraire que François Mauriac et Louis Aragon ont souligné. Ce fut le seul roman de Jean-René Huguenin. Issu de ce qu’on appelait alors « la bonne bourgeoisie », diplômé de Sciences Po, déjà reconnu dans le milieu éditorial où il est très actif voire provocateur, compagnon des jeunes Hallier ou Sollers à la revue Tel Quel, il mourut accidentellement en septembre 1962, six jours avant Roger Nimier. Il avait 26 ans. Outre « La côte sauvage » il laisse un très beau journal et des articles qui ont été réunis dans « Une autre jeunesse ».

C’est l’été dans la France des années 50. C’est le temps où l’on se vouvoie, même entre jeunes, où les jeunes filles cousent ou raccommodent, où les enfants portent des maillots de bain en laine, où l’on roule en 4CV ou en Dauphine, où des centaines de milliers de jeunes gens sont envoyés en Algérie, pour deux ans et plus parfois, afin de rétablir une situation qui n’ose pas dire son nom.
C’est l’été. Olivier revient dans la maison familiale, en Bretagne, après une absence de deux ans de service militaire. Il y retrouve ses sœurs – Berthe l’aînée, mal dans sa peau, déjà un peu alcoolique pour effacer son mal de vivre et sa jalousie, Anne la dernière qu’il aime tendrement- et leur mère malade d’une vie inutile, veuve d’un homme dont on ne saura jamais bien s’il fut un héros ou un déserteur que seul le suicide aurait préservé du regard angoissé ou méprisant de ses enfants. Dés ces premières pages, Huguenin nous fait sentir une atmosphère familiale lourde où les secrets, les tentations, les regrets sont contenus, un temps encore avant que d’exploser, par une éducation austère. Anne et Olivier renouent leur relation complice faite de promenades en bord de mer, de « bains de fougères », d’élans de tendresse, de recherches de ce qui fut leur enfance. Anne désoriente Olivier en lui annonçant qu’elle va épouser Pierre, son meilleur ami dont elle aime la droiture et peut-être la faiblesse, regrettant probablement « qu’il voit les choses comme elles sont » alors qu’Olivier « n’achève jamais ce qu’il commence », exigeant tout, jouant de « l’empire qu’il a sur les autres », qui « serait sûr de n’importe quoi pour le plaisir de désespérer ». Le sérieux opposé au romantique.
Berthe réduite à s’occuper de sa mère, ce qui est à la fois un alibi et une cruauté, les trois jeunes gens passent les journées ensemble avant qu’un groupe de jeunes se joigne à eux.
C’est l’autre versant de l’été dont personne ne semble s’apercevoir. Olivier insidieusement introduit le doute dans l’esprit d’Anne, la subjugue et la désoriente à son tour. « J’ai essayé de vous imaginer ensemble. Je n’y arrive pas ». Fragile elle sait cependant éviter l’irréparable d’un désir qu’ils contiennent. « Il se résiste comme on succombe ». Epuisée de doutes, elle lui dit qu’elle fera tout ce qu’il voudra. Et la réponse vint, désespérée et impuissante : Mais Anne je ne sais pas ce que je veux. Les hasards de la vie feront le reste.

Cette tragédie moderne tout en ambiguïté, en non-dit, en exigence, en provocation, en tendresse aussi, se situe dans un décor achevé de beauté. Le vent, la lumière, les rochers nettement découpés par les tourments de la mer, la pluie, les nuits d’été et les matins des « bateaux qui vont partir ». L’intrigue est ténue certes mais ici c’est l’écriture qui en fait le charme et la beauté poétique. Jean-René Huguenin sait aussi être moraliste quand il parle de l’indifférence comme d’une passion ou de l’enfance qu’on ne peut retenir.
J’ai été bouleversé par ce roman il y a cinquante ans. A sa relecture j’ai éprouvé une certaine tristesse car je n’y retrouvais pas l’émotion que j’en avais gardée. Le livre est le même, j’ai changé. Je l’ai relu encore et j’ai retrouvé non pas l’émotion d’alors mais tout simplement la beauté foudroyante de ce texte écrit par un tout jeune homme à qui peut-être j’aurais aimé ressembler.

Pour vous mettre l’eau à la bouche je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques lignes somptueuses :
« Depuis des années je cherche un mot. Mais au fond c’est peut-être un geste qu’il faut trouver. »
« Elle a sans doute ce sourire rêveur et chagrin qu’elle réserve à ce qu’elle quitte, comme si déjà elle ne contemplait plus la mer mais le souvenir de la mer. »
« On peut embrasser une bouche, des yeux, mais comment embrasser un sourire, un regard et surtout une expression, une lumière ».
« Ils regardaient cette ville dont l’aube ne se retire jamais tout à fait, laisse aux quais gris sa lumière, prête sa tristesse aux hôtels de passage et son chant aux bateaux qui vont partir ».

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • La Côte sauvage [Texte imprimé], roman Jean-René Huguenin
    de Huguenin, Jean-René
    Seuil / Points (Paris).
    ISBN : 9782020257763 ; 6,50 € ; 01/01/1997 ; 171 p. ; Poche
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: La côte sauvage

  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  Jean-René Huguenin 1 Aria 2 décembre 2012 @ 23:03

Autres discussion autour de La côte sauvage »