Phantom Calls: Race and the Globalization of the NBA de Grant Farred

Phantom Calls: Race and the Globalization of the NBA de Grant Farred

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Gregory mion, le 19 novembre 2012 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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Place de la "race" en NBA : un fantôme de toute éternité.

Depuis le passage remarqué de Michael Jordan en NBA, la question raciale s’est sensiblement atténuée – Jordan et les Bulls, dans les années 1990, ont sportivement répondu à l’hégémonie blanche des Boston Celtics de Larry Bird, et les joueurs afro-américains, après Jordan, ont acquis des statuts de superstars, le meilleur joueur au monde s’appelant en ce moment LeBron James. Il y a donc eu comme une inversion du processus racial en NBA (rappelons que pendant longtemps, les Noirs n’ont pas eu le droit de fouler les parquets de la ligue professionnelle de basket) : les Afro-américains se sont mis à dominer le basket de la tête et des épaules (emblématiquement, Shaquille O’Neal a pris possession de la raquette durant toute sa carrière, et dans une moindre mesure physique, Allen « The Answer » Iverson, paradigme du « sale gosse », a donné aux Sixers de Philadelphie une histoire à la hauteur historique de cette ville – on peut aussi sur ce modèle évoquer la tendance « ouvrière » d’une ville comme Détroit, dont le jeu de basket repose sur la rudesse du un-contre-un et la passion de nettoyer les cercles lorsque les adversaires manquent des tirs, ou lorsqu’ils attaquent le panier et qu’une main toujours travailleuse est prête à les contrer – ce fut le temps robuste symbolisé par le pivot Ben Wallace, plusieurs fois élu meilleur défenseur de la NBA).

Mais l’ère de Michael Jordan, pendant laquelle le basket américain s’est mondialisé, a vu l’intégration presque logique des joueurs internationaux. Tel que le souligne Grant Farred, les intégrations de Steve Nash (Canada), de Tony Parker (France) et de Manu Ginobili (Argentine) n’ont pas vraiment posé question au sein de la NBA. Les pays respectifs de ces joueurs ne représentent pas une menace directe ou indirecte pour l’économie générale des États-Unis, qu’on parle d’ailleurs de finance ou de culture – c’est plutôt l’américanisation de ces pays qui prévaut. En outre, l’internationalisation de la NBA a connu son lot de joueurs déjà tout à fait respectables du temps de Michael Jordan, citons parmi eux et de manière non exhaustive le très technique Arvydas Sabonis (pivot lituanien à la main altruiste et au tir certain), Hakeem Olajuwon (pivot du Nigéria qui a donné des titres de champion du monde à Houston lors de la première retraite de Jordan), ou encore Dikembe Mutombo (pivot congolais adepte du contre, parvenu au faîte de sa carrière quand il fut associé à Iverson au début des années 2000). Tous ces joueurs au renom exotique ont souvent occupé le poste de pivot, place centrale d’une équipe de basket, phare des systèmes de jeu, matière à toutes les spéculations, surtout quand ces pivots atteignent des tailles si faramineuses qu’elles en viennent à constituer des mythes et des légendes (cf. le Hollandais volant Rik Smits qui, du haut de ses 2 mètres 24, pouvait avoir l’habileté digitale d’un meneur de jeu).

Disons que tout s’est plus ou moins correctement passé jusqu’à ce que David Stern, commissionnaire de la NBA, décide de se tourner vers le marché chinois. Si nous n’avons que des souvenirs épars de joueurs tels que Wang Zhizhi ou Mengke Bateer, pourtant tous les deux dotés d’un tir parmi les plus sûrs du monde, et tous les deux culminant à plus de 2 mètres 10, nous avons en revanche une image précise de Yao Ming, ex-phénomène des Houston Rockets, recruté en 2002 aux États-Unis et mesurant 2 mètres 29. Originaire de Shanghai (ville qu’on surnomme dans l’économie chinoise la plus communiste « la putain de l’Occident »), Ming est né de parents basketteurs, très ancrés dans la Révolution Culturelle de Mao, géniteurs d’un rejeton qui sera l’héritier du maoïsme tout en étant le tenancier d’un genre de politesses relatif à l’ère politique de Deng Xiaoping – ce dernier ne mesurait d’ailleurs pas plus d’1 mètre 50, et le régime de Chine exigeait qu’il soit pris en photo dans des postures cent fois remises sur l’ouvrage. Autrement dit, Yao Ming est un pont à la fois génétique et historique : d’une part sa croissance est phénoménale, inscrite dans la droite lignée de ses parents, et d’autre part son identité représente la conjonction des époques Mao/Deng. Sur la seule croissance de Ming, les histoires les plus farfelues ont circulé, parmi lesquelles on a recensé des rumeurs de manipulations biologiques dignes des anciennes espérances de la médecine nazie. On a donc l’image d’un Yao Ming déjà controversé au sein même de la république de Chine, du moins d’un Ming qui n’est pas forcément affranchi de certaines ambiguïtés élémentaires. On peut dès lors comprendre quelles furent les répercussions lors de son avènement dans le monde globalement afro-américain de la NBA. Ni Black, ni Blanc, Ming est un Jaune qui a lui-même une méfiance envers ceux qu’il appelle comiquement les « bananes » : « Les Jaunes qui sont blancs à l’intérieur ». Si cette expression peut prêter à sourire, elle n’en est pas moins révélatrice du fort attachement national de Ming, conscient de sa « chinoiserie », lucide quant à la terre occidentale, et c’est sans doute la raison pour laquelle Ming a été honoré par le régime chinois au rang de travailleur exemplaire – car, en effet, et ce malgré sa position de multimillionnaire, Ming a toujours revendiqué que son argent était acquis à la sueur de son front, ce qui est littéralement vérace. Le sort fut différent pour Wang Zhizhi : ce dernier a été beaucoup moins regardant envers sa Chine natale une fois qu’il est arrivé en NBA, et ces quelques indifférences lui ont valu des revers de médaille où la question de la race, en dernier recours, a eu son mot à dire. Quant à Mengke Bateer, qui est génétiquement flanqué d’accointances avec la Mongolie, c’est sa lourdeur physique qui l’aura éloigné des terrains en dépit d’une vision du jeu tout à fait remarquable et d’un tir, nous le redisons, redoutable.

Yao Ming, dès sa première année de pivot chez les Rockets de Houston, subit d’emblée des critiques de spécialistes : Ming est considéré comme un pivot déguisé car il n’aime pas vraiment le jeu intérieur, il n’aime pas aller au combat, ce qui le distingue de la propension afro-américaine parfaitement illustrée par des Shaquille O’Neal, Ben Wallace et autres Kevin Garnett – mais en vieillissant, Garnett s’est écarté de la raquette, comme du reste tous les « grands » qui ont bossé leur shoot à mi-distance. Quoi qu’il en soit, lors de son année de débutant, Ming est techniquement disqualifié, ce qui n’enlève rien à ses dons de passeur ou de tireur – Ming a même un pourcentage exceptionnel aux lancers-francs, ce qui n’est pas le cas d’un Shaq ou d’un B. Wallace. Reste que cette « carence physique » (corps jaune vs. corps noir) devra être corrigée, et Ming passera tout un été de perfectionnement en compagnie de Moses Malone (légende afro-américaine du basket-ball, considérée comme une machine à prendre des rebonds), histoire de s’étoffer la musculature et d’apprendre les rudiments des guerres intestines à l’intérieur de cette raquette qu’il dénigre un peu. Aussi, le Ming qui fait son « come-back », c’est un Ming sincèrement puissant et technique, un Ming qui peut commencer à faire peur aux adversaires dans tous les compartiments du jeu. C’est dans ce contexte qu’interviendra l’affaire des « phantom calls » (des fautes fantômes sifflées), en 2005, pendant une série de playoffs que les Rockets jouent contre les Dallas Mavericks. L’entraîneur des Rockets, Jeff Van Gundy, un petit Blanc nanti d’impressionnantes poches sous les yeux, surdoué du coaching et physiquement aux antipodes de la culture gangsta, fait une sortie fracassante : les arbitres sifflent des fautes inexistantes sur Ming. Van Gundy recevra une amende record pour ses commentaires, cependant le mal est fait, les spectres de la race reviennent d’entre les cimetières culturels, et ce sera l’objet d’une intense réactualisation des discours racialisés au cœur de la NBA, impactant du reste sur un certain nombre de secteurs connexes. Grant Farred, pourvu d’un sens incroyable de la documentation ainsi que d’une réelle connaissance du basket-ball, nous propose dans son livre une dialectique de la race dans toute l’Histoire de la NBA, et ce jusqu’au paroxysme de celle-ci, lorsque l’affaire des fautes fantomatiques surgit en 2005 et que Yao Ming, en plus d’être un pivot, se mue en « centre » des attentions – ou pivot médiatique d’un champ d’interrogations qu’on aurait aimé ne plus entendre. Pourtant, sept ans après les événements, si les joueurs internationaux ont confirmé leur présence, et même si les Américains ont trouvé des superstars blanches (cf. Kevin Love aujourd’hui ou John Stockton naguère), il demeure des relents nauséabonds autour de la question raciale, comme on a pu le noter lors de la récente percée sportive de Jeremy Lin à New York (intelligent meneur de jeu d’origine taïwanaise et désormais en poste chez les Rockets, comme une sorte de clin d’œil historique adressé à Ming), et comme on aura encore plus récemment pu le noter dans le Minnesota, où un malheureux illuminé a cru pertinent de relever que l’équipe des Minnesota Timberwolves était curieusement majoritaire en « blancheur ». Quand le lecteur aura pris connaissance des arguments de Grant Farred, il pourra lire les sages réponses offertes par la direction des Timberwolves, puis il pourra éventuellement se rassurer en se disant que la NBA, dans l’ensemble, est tout de même une vitrine positive d’intégration malgré ses « fantômes ». Et en définitive, tel que Farred le rappelle en faisant référence au sens de l’écoute du personnage shakespearien Hamlet, on gagne peut-être mieux à entendre les fantômes qu’à les ignorer.

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