Les coups de Jean Meckert

Les coups de Jean Meckert

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 3 octobre 2012 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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la dureté de la vie


Jean Meckert : en voilà un qui en a bouffé, de la vache enragée. Né en 1910, orphelin très jeune, il commence à travailler dès treize ans : "On m'a foutu en apprentissage chez Galanier. Les corvées, les brimades, les saletés au môme sans défense. Le jour que les trois fraiseurs hilares m'ont passé la tête à la graisse consistante... Et la baffe du contremaître devant la petite Olga... Et la fois qu'ils ont pissé dans ma canette..."
"Les coups", que je viens d'achever, est son premier roman, publié en 1942 chez Gallimard. Dans les années 30, Félix, le narrateur, vingt-six ans, après avoir fait bien des métiers, et après des mois de chômage, trouve enfin une place de manœuvre dans un garage. Il tombe amoureux de Paulette, la dactylo qui s'occupe du courrier et de la comptabilité. Paulette est malheureuse, mariée avec un artiste flemmard et qui se croit maudit. Elle le quitte pour Félix, lui fait rencontrer sa famille, sa mère d'abord, puis ses cousins qui tous, veulent se donner un air de bourgeois : Félix remarque tout de suite en arrivant chez l'un d'eux que "c'était fermé comme maison, comme un vrai cercle bien-pensant" et que "c'est toujours un peu obscène le bonheur, si on veut bien chercher". Il a beau n'être qu'au bas de l'échelle, il ne supporte pas ces gens-là, qui "avaient monté l'échelle d'un cran. Ils passaient leur vie à ne rien dire, mais bon Dieu ils le disaient bien", surtout en répétant comme des perroquets ce qu'ils avaient lu dans la presse. Ces repas de famille, avec leurs conversations creuses ("Parfois Auguste pensait : – Ah ! La vie !... qu'il disait. Ça signifiait beaucoup, on sentait ça. C'était écrasant"), pleines du vernis des conventions, où l'on singe la bourgeoisie, et leur vie toute d'hypocrisie, le débectent assez vite : "Au fond, c'est bien ça que je ne peux pas leur pardonner : leur fausseté manifeste, leur embourgeoisement, il n'y a pas d'autre mot. Ah ! ils avaient des notions bien arrêtées du bien et du mal. Ils étaient comme il faut tout plein, à montrer en exemple". Félix, ça lui est égal de ne pas épater les autres, de ne pas savoir expliquer pourquoi il aime ou n'aime pas tel film, pourquoi il n'aime pas l'opéra, il veut vivre sans faux semblants, et il préfère sa "pauvre vie de quatre sous qui n'intéressait absolument personne". Mais enfin, il aime Paulette, et le divorce prononcé, il accepte le mariage.
C'est vrai qu'entrer en ménage, pour Félix, ce n'est pas forcément l'embourgeoisement, mais il pense : "Je voulais un peu autre chose, un courant d'air frais, un petit changement". Ils rêvent à deux : "– Si nous étions riches !... C'était classique, on vidait l'abcès par là. On prenait des succursales dans l'imagination", et ils vont au cinéma pour cela. Mais bien vite, la difficulté à communiquer entre ces deux êtres si différents, la jalousie rétrospective, le fait que Félix, abruti par son travail sans intérêt, rentre fatigué et n'est pas toujours prêt à parler ni à s'exprimer sur ses sentiments, entraînent qu'il devient violent : dès qu'il entre en conflit avec sa femme, il la bat, comme si chez lui, les coups remplaçaient le langage. Il ne se comprend pas lui-même : "On s'aimait, on le sentait bien, mais il y avait l'amour-propre, ce chiendent, qui faisait sa grande offensive". Et le voilà désormais seul, Paulette le quitte : "Le néant venait me griffer à l'estomac. Tous les pourquoi de l'existence venaient crever dans ma chambre comme des bulles de savon".
On l'aura compris, j'aime beaucoup ce livre, très maîtrisé pour un premier roman, écrit dans une langue qui utilise savamment les tournures populaires pour mieux dénoncer les conventions bourgeoises. Il n'y a pas de bons et de méchants, mais la vie toute nue, dans laquelle les coups peuvent, malgré les apparences, cacher un profond amour. La violence ne naît pas de rien, mais de la misère, mentale et sociale, et du choc des contraires : "Je n'étais pas habitué, je n'avais pas la résignation des vieux". Un livre puissant, mais faut avoir le moral bien accroché (existe en poche, chez Folio).

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Les éditions

  • Les coups [Texte imprimé] Jean Meckert
    de Meckert, Jean
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070421688 ; 7,50 € ; 28/03/2002 ; 270 p. ; Poche
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