Solène de François Dominique

Solène de François Dominique

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Precious_thing, le 27 février 2012 (Paris, Inscrit le 22 novembre 2005, 35 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 034ème position).
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Expérience de la catastrophe

J’aimerais que tout le monde lise Solène, de François Dominique. Solène est un roman qui a été publié à l’automne dernier par les excellentes éditions Verdier. Il s’est vu décerner la mention spéciale du prix Wepler (obtenu cette année par Éric Laurrent, ce qui confirme la haute tenue et la haute exigence de ce prix littéraire).

Les personnages de ce roman de François Dominique sont les membres d’une famille vivant dans le domaine des Lisières. Ils évoluent dans une France dont on comprend très vite qu’elle a été ravagée par une catastrophe, et que la catastrophe se prolonge pour les précaires survivants, qui luttent contre un étrange mal, l’ombre, et contre des rôdeurs qu’on ne voit jamais mais dont la présence en creux dans les discours des personnages, est palpable.

Le texte est composé de la voix du personnage éponyme, Solène, qui s’adresse directement au lecteur que nous sommes à travers le temps et l’espace : nous sommes placés comme des spectateurs de sa conscience, une conscience lointaine et comme ancienne, et nous suivons la façon dont la famille survit face aux événements.

Il y aurait beaucoup à dire sur une tendance importante de la littérature française actuelle (mais aussi internationale) qui consiste à évoquer des mondes ravagés, en proie au désastre. Cette littérature de paysages dévastés est présente actuellement dans les oeuvres de nombreux écrivains, tels que Volodine-Bassman (Bassman qui est également publié par Verdier), dans les dernier romans de Xabi Molia (Avant de disparaître, publié au Seuil en septembre dernier) et de Julien Péluchon (Pop et Kok, publié aussi au Seuil dernièrement), ou même dans La Route, de Cormac McCarthy, dont le succès est maintenant légendaire. Bien sûr, toutes ces figurations d’un monde éteint ont des visées différentes : chez Volodine, la fin du monde est concomitante de la mort du rêve révolutionnaire et d’une sorte de stase temporelle, chez Xabi Molia, elle est l’occasion d’une réflexion allégorique sur le temps présent, dans la veine d’un Camus avec La Peste, chez McCarthy, elle sert l’évocation d’un monde d’où Dieu s’est retiré, etc.

Le projet de François Dominique est lui aussi singulier, car il se sert de certaines de ces thématiques balisées du roman d’anticipation pour les amener autre part, vers une réflexion d’ordre métaphysique et vers une écriture faite de contrastes, en s’interrogeant sur la nature de la parole et des sens.
La première réussite de ce livre est d’exprimer le désastre à travers le quotidien de cette famille. On suit la vie des membres de la famille par une écriture lente et précise, qui s’adapte au rythme des jours et des tâches quotidiennes : jardin, jeux, cuisine, etc. Ce procédé a le mérite de dessiner le désastre en creux, de ne pas le faire de manière appuyée mais bien plutôt de l’évoquer de biais, en le définissant en quelque sorte comme l’envers des scènes présentées dans le roman. Le lecteur et les personnages connaissent la menace, savent la présence d’un danger, mais on se concentre davantage sur la vie réelle et présente : c’est cette grande subtilité dans l’écriture et dans la construction du roman, cette intelligence, qui donnent une force d’incarnation parfaite à son intrigue. C’est de cette construction-là et de ce parti-pris que naît une écriture fondée sur le contraste, car la beauté de certaines scènes se voit renforcée par l’imminence de la mort ou de la maladie : aussi les scènes quotidiennes ou les descriptions du jardin en deviennent-elles plus belles, comme les images d’un monde en suspens, prêt à dépérir. Je pense, en écrivant cette critique, à un titre de Kawabata : La beauté, tôt vouée à se défaire. C’est exactement comme ça que je l’ai perçu. L’évocation de la nature, notamment du jardin, acquiert une présence sensuelle : “Et quand il fait beau, que le soleil luit, la lumière me réjouit et j’attends ce bonheur chaque jour, tôt le matin, et encore demain, demain et demain… J’adore me lever à l’aube ; tout le monde dort aux Lisières, les oiseaux s’éveillent, je guette avec mes yeux de chouette les moindres détails. L’herbe du grand pré est couverte de rosée.” (p. 22) Et la nature est le lieu d’un émerveillement : “je suis transportée par un sentiment de bonheur qui efface la tristesse du monde.” (p. 23)

Car le roman est aussi une réflexion métaphysique sur le sens du temps. On ne cesse, dans ce roman, de parler du temps, dont on évoque le passage, l’impossibilité de le mesure, le sentiment du temps et la façon qu’il a de séparer les êtres. La nature est la façon qu’a le personnage de Solène de faire l’expérience, en somme, d’un temps absolu, d’un temps qui n’est plus processus mais état. À partir d’une situation qui ressort de l’héritage de la science-fiction ou de l’anticipation, François Dominique parvient à orienter son intrigue sur les voies d’une réflexion subtile sur la temporalité, la solitude, ou, et c’est peut-être le point le plus important, le langage, la langue.

Il y a des pages réellement sublimes sur les mots et sur la langue : le personnage, décrit comme une petite fille “pleine de mots” est capable d’entendre les pensées des autres personnes. La langue devient dès lors une sorte de matière, réelle matière verbale en suspension, de véritables “paroles flottantes”. Il y a une réelle émotion pour le lecteur à avoir l’impression d’entendre des paroles venues d’un lieu indistinct, d’un temps sans nom. La parole est ambiguë, à la fois nécessité et menace. Il y a de très belles pages sur la nécessité de donner des noms aux choses, au monde extérieur : des séances de jeu où les enfants doivent nommer le cri des oiseaux. Comme si la parole était une exigence, une question de survie. Mais, paradoxalement, elle est aussi insuffisance, voire menace : des déclaration de Solène (“il faut changer tous les mots”) à la présence de mots “crevores” véritables forces de désintégration du monde, s’élabore conjointement le rêve d’un langage silencieux à même de signifier l’émotion pure, l’expérience pure. La réussite du roman est d’avoir réussi à montrer toute l’ambiguïté du statut de la parole, sans privilégier l’un ou l’autre aspect outre mesure.

Cette destruction possible du monde et des choses, cette maladie de l’ombre qui fait se dégrader automatiquement les paysages et les êtres, peut être une métaphore du passage du temps, le temps qui fait tout disparaître, irrémédiablement, ou alors une métaphore de ce que devient la vie sans sensations, sans conscience des sens : une pétrification, une mort par assèchement. C’est aussi comme ça qu’on peut entendre ce roman, comme une ode aux sens et à la vie, comme le rêve d’une expression pure du rapport au monde. Un rêve trouble et ambigu, puisque ce que semble nous dire le texte, dans les magnifiques dernières pages, est qu’un rapport possible au monde, est de n’avoir plus de corps, uniquement une voix. Tragique certes, désespéré, mais désespéré et beau, car c’est une voix qui chante.

(critique extraite de mon blog, http://hermitecritique.wordpress.com)

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Déception... :-(

2 étoiles

Critique de Stanhb (Paris, Inscrit le 17 juin 2010, 39 ans) - 2 mars 2012

J'attendais beaucoup de ce récit mélangeant à la fois fantastique, science-fiction et imaginaire d'enfant. Malheureusement, après un début prometteur, l'histoire ne décolle jamais vraiment.
Trop métaphorique, ce livre s'adresse surtout à ceux qui aiment la poésie plus que la science-fiction.

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