"Face à la modernité"

Cornelius Castoriadis, philosophe et penseur de la société, qui a mené tout au long de sa vie une réflexion sur nos "sociétés à la dérive", et Octavio Paz, poète mexicain lauréat du Nobel de littérature 1990, sont ici réunis pour réfléchir à la modernité et à son nécessaire dépassement, dans un débat nommé "Face à la modernité" et animé par Alain Finkielkraut.
La modernité, donc, est le sujet de ce débat; les deux penseurs en dressent une critique radicale. Ainsi, pour Castoriadis, " ce qu'il faut déplorer actuellement, c'est la disparition des individus véritables devant cette espèce de conformisme généralisé". Autrement dit, ce qui rend unique chaque être humain est détruit, car la société moderne réduite toutes les valeurs à des valeurs économiques. Et tout respire dans la même direction : la technoscience que personne ne contrôle; la tendance de l'économie, qui, considérée comme une finalité, ne se soucie plus de l'utilité des produits mais uniquement s'ils sont vendables, et qui fabrique des produits conçus pour s'user rapidement (l'obsolescence programmée, avec la logique du profit poussée à bout).
Qui est responsable de cela? On tombe alors sur un autre constat : ce sont des "forces impersonnelles, des mécanismes presque autonomes", et qui sont soutenus inconsciemment par quasiment l'ensemble de la population, les consommateurs (dans les pays du Nord). Pour Paz, "la société moderne a changé les citoyens en consommateur", et c'est peut-être cela le plus inquiétant : ce phénomène de passivité générale, d'acceptation de la situation. Il faut néanmoins nuancer : d'une part, la prise de conscience de la dangerosité de la modernité se répand, d'autre part, les deux penseurs tombent malheureusement quelque peu dans une critique qui tend à considérer la majorité des gens comme totalement aliénés, ce qui est faux (il leur suffirait de regarder en eux-mêmes pour remarque que "tout le monde" n'est pas aliéné!).

Pour bâtir une autre société, "toute pensée politique nouvelle doit se fonder sur la reconnaissance que chaque personne est unique" (Castoriadis), ce qui exige une nouvelle création historique et des valeurs nouvelles; en clair, une révolution culturelle. Cette société nouvelle devra notamment rompre avec l'idée que Dieu a créé le monde et l'a donné à l'homme, donc rompre avec l'idée qu'il domine la nature.
Quels objectifs se fixer pour cette nouvelle société? La liberté de tous et la justice. Par liberté, j'adhère à la pensée kantienne, c'est-à-dire qu'elle doit trouver ses limites dans les autres, et doit donc être encadrée. Ainsi, aujourd'hui, la liberté des plus riches d'accumuler toujours plus détruit celle des plus pauvres d'accéder à un minimum de ressources matérielles. Et, pour cette nouvelle société, quelle substance? Aider l'humain à devenir le plus créateur et le plus autonome possible; élever les nouvelles générations dans un esprit de respect des autres et de la nature; aussi et surtout, recréer la notion de personne (ou d'individu), et, pour cela, recréer la notion de l'autre, donc une fraternité, une solidarité, une conscience que nous sommes produits de la nature, de l'univers.

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  Dialogue [Texte imprimé], [avec Octavio Paz, Francisco Varela, Alain Connes et Jean-Luc Donnet] Cornelius Castoriadis

  de Castoriadis, Cornelius
  Éd. de l'Aube / Monde en cours. Intervention.
  ISBN : 9782876784871 ; 2,98 € ; 12/09/2003 ; 112 p. ; Broché

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