Le supplice des week-ends de Robert Benchley

Le supplice des week-ends de Robert Benchley
(The Benchley round up)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par AmauryWatremez, le 9 novembre 2011 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans)
La note : 7 étoiles
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Robert Benchley élégant et caustique

Pour lire cet écrivain, je ne suis pas sûr que l'on soit obligé d'être dans le hall d'un palace à regarder passer les profiteurs et les putains, les parvenus vulgaires et leur suite de pique-assiettes intéressés, mais cela aidera à se mettre dans l'ambiance, celle d'un monde à jamais disparu, à la fois totalement innocent et complètement amoral, celui qui a suivi la Première Guerre Mondiale.

On y commettait des actes dits gratuits, les femmes se coupaient les cheveux courts et portaient des robes beaucoup plus courtes. Et l'on écoutait du Jazz

De nos jours, c'est très mal d'aimer les belles choses, les coquetèles dispendieux, les belles toilettes pour les femmes. On se doit d'être dans le développement durable dès que l'on a peu les moyens, dans la valise en fils de chanvre, dans les habits en coton authentique du Kenya, dans les soirées concernées. Les mondains doivent se sentir coupables d'aller dans celles où l'on offre des téléphones dernier cri, pas trop car nous vivons maintenant, parait-il, dans un grand « village global » où tout le monde s'aime grâce aux bienfaits de la communication.

Deux citations de Robert Benchley lui-même en guise de hors d'oeuvre...

« La plus sûre façon de faire passer quelqu'un pour un crétin est de le citer. »

Sauf Robert Benchley.

« Il m'a fallu quinze ans pour découvrir que je n'avais pas de talent pour écrire. Hélas ! je n'ai pas pu m'arrêter, j'étais devenu trop célèbre ! »

extrait de « le supplice des week-ends » et et de « Pluck and Luck »

Par ici on écoutera quatorze nouvelles extrait du livre qui a inspiré ce texte, « le supplice des week-ends » que son fils conseille de lire à dose homéopathique pour bien goûter tout l'humour de ces histoires courtes.

Les éditions Robert Laffont ont donc eu la bonne idée de ressortir un choix de nouvelles écrites par Robert Benchley du début de sa carrière à la fin dans sa collection de poche, et qui montre qu'il garde tout au long de sa vie le même goût pour l'humour pince-sans-rire, le mépris des convenances et un cynisme de très bon aloi, ainsi qu'un goût certain pour l'absurde.

Si on aime bien les classements, on peut dire que Benchley est à mi-chemin entre Sacha Guitry et Kafka.

Mais finalement au bout du compte, il rappelle surtout Alexandre Vialatte partageant son goût pour le « non-sense » et la raillerie des lieux communs. Quant à cette dernière particularité, on comprend qu'il ait été souvent découragé d'écrire car il y a fort à faire vu la quantité de fadaises et de banalités débitées à longueur de journée par les uns et les autres (et moi-même je ne me sens pas très bien).

Comme toutes les personnes un peu lucides, sa plus grande peur est de sombrer dans l'esprit de sérieux et de gravité, cette gravité en tout qui est le bonheur des imbéciles comme a dit Nietzche à moins que ce ne soit la concierge de Proust. Il ne payait pas de mine, petit et plutôt rondouillard, moustachu, la mise soignée, discret, il surprenait toujours ses interlocuteurs par des saillies cruelles et tranchant immédiatement dans le vif des ridicules des congénères partageant l'usufruit de la même boule de glaise perdue dans l'infini ou presque de la Voie Lactée.

Robert Benchley est né à Worcester dans le Massachusetts, ville qui porte le nom d'une sauce qui sent sa cuisine de club anglais snob, en septembre 1889 et mort à New York en 1945. Il a vécu la « belle époque » et les « années folles », les folies des rugissantes années 20, celles de Scott Fitzgerald et Zelda, les conquêtes d'Hemingway, les mots d'esprit de Gertrud Stein et d'autres.

Il était humoriste, écrivain et acteur, par nécessité, et grâce à son élégance. Il était aussi très paresseux et pour livrer chaque semaine les pages qu'il devait à ses multiples employeurs, il attendait souvent bien au-delà du dernier moment, ne le faisant que lorsqu'il était acculé, comme Antoine Blondin en France plus tard, autre grand dilettante que Gaston Gallimard enfermait à double tour pour qu'il termine ses manuscrits.

Bien sûr, tout le monde sait qu'il vaut mieux être un dilettante de talent qu'un griffonneur laborieux et prolifique.

Aux crimes de lucidité, et de causticité, il en rajoutait donc un autre qui est celui de dilettantisme, le pire selon la morale commune et non dite du troupeau que nous sommes parfois comme le signale Marcel Aymé à la fin de sa nouvelle « Traversée de Paris », dans laquelle Martin, le brave type, assassine Grandgil, le peintre .

Je me souviens d'une nouvelle, qui n'est pas dans le recueil, où il décrit tout un peuple étrange avant de révéler à la fin qu'il ne faisait que transcrire ses impressions quant aux motifs dessinés sur son papier peint.

Quand Alain Robbe-Grillet fait le même genre de descriptions, c'est mieux qu'un somnifère et ennuyeux à en mourir, quand Robert Benchley éxécute cette tâche, on a des envies d'insomnie.

Comme il l'avoue dans une des nouvelles où il se souvient du jeune homme qu'il était, il était du peuple des caustiques très jeune, ne prenant pas grand chose au sérieux et surtout pas les grands discours, de ceux que l'on prononce au chaud sans prendre trop de risques, ou du moins en encourageant les autres à le faire, à se faire trouer la peau pour se sentir un peu vengeur masqué.

Les écrivains français se prennent très au sérieux, racontent des histoires d'architectes habitant un loft à San Francisco, ou exposent leurs névroses au tout venant, s'engageant parfois dans des grandes causes ce qui engendre chez eux une littérature dite « engagée », très lourde, qui ne sert qu'à démontrer le bien-fondé de la vulgate qu'ils ont à défendre.

Robert Benchley était membre permanent de la « Round Table » à l'hôtel Algonquin à New York, autour de laquelle on trouvait Alexander Woolcoot, l'échotier le plus connu de la « grosse Pomme » jusque dans les années 60, de temps en temps Louise Brooks y prenait un verre, mais méprisait finalement les membres de cette confrérie qu'elle trouvait épouvantablement mondains.

On y trouvait aussi quand même l'excellente Dorothy Parker et parfois les frères Marx, parfois Groucho que cela encouragea à écrire, et surtout Harpo qui y amena le reste de la fratrie, qui y restait silencieux, discutant avec les filles de la table d'à côté par mimiques.

Comme les deux premiers, Chico et Zeppo (le moins connu, celui qui jouait les jeunes premiers dans les films des trois aînés) venaient y jouer au poker tout en écoutant les ragots mondains et les méchancetés que l'on pouvait entendre à cet endroit. Tout ce beau monde a un jour ou l'autre écrit dans une des revues les plus select de la planète, encore maintenant, à savoir « The New Yorker », un bazar élégant et élitiste encore en 2011, comme un petit rappel du monde complètement perdu dont faisaient partie Robert Benchley et Dorothy Parker.

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