Même les chiens de Jon McGregor

Même les chiens de Jon McGregor
(Even the dogs)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Stavroguine, le 7 novembre 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 348ème position).
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C'est arrivé près de chez vous

Peu après Noël, Robert Radcliff est mort dans l’appartement miteux qu’il occupait illégalement depuis trois ans. Un narrateur collectif – « nous » – observe la police qui découvre le corps et met en place un cordon de sécurité, puis l’équipe scientifique qui débarque, prend des photos et emmène le corps. L’imaginaire collectif issu des séries télé nous transporte dans une de ces villes industrielles désargentées des Etats-Unis, Detroit en tête, peut-être Baltimore. Nous sommes en réalité en Angleterre, vraisemblablement au nord de Londres, entre Noël et le Jour de l’An. On pourrait être dans n’importe quelle métropole, n’importe quand.

Si le livre débute comme une enquête policière, il n’en sera rien. Rapidement, la mort de Robert n’est plus que secondaire et ce qui compte vraiment, c’est ce « nous » qui nous l’a rapportée. Au fur et à mesure qu’on avance dans le livre, on commence à comprendre qui est cette ombre collective qui suit le corps de Robert partout, y compris là où on ne peut pas être, et qui devient omnisciente sur les destinées de tous ceux qui se rassemblaient autour du défunt, une population de junkies qui pouvait trouver refuge dans l’appartement sale et délabré de Robert, où chacun pouvait se faire son shoot et dormir sous un toit sans craindre le jugement, la police ou la mort. Mort, Robert est donc laissé de côté pour s’intéresser aux vivants pour lesquels il comptait. Ainsi, on colle nos pas à ceux de Dany, qui a découvert le premier le corps de Robert et part à la recherche de Laura, allant de foyer en foyer jusqu’à ce que le manque le gagne et qu’il n’y ait plus pour lui qu’une seule obsession : trouver une dose, n’importe quoi, le truc le plus pourri du marché, mais quelque chose à s’injecter, et rapidement. Puis, McGregor nous fera nous intéresser à Steve, traumatisé par la guerre, qui va risquer sa vie dans un projet humanitaire par amour avant d’être douloureusement éconduit ; à Ant, vétéran qui a perdu une jambe quelque part entre les Malouines, l’Afghanistan et l’Irlande ; à Laura, la fille de Robert, qui a fugué pour rejoindre un père idéalisé et n’a trouvé face à elle qu’un alcoolique crasseux vivant dans un squat. Tous ont ceci en commun qu’ils sont tombés dedans et que ce qui leur a servi à adoucir leurs vies s’est emparé d’elles. Tous avaient en commun de se réunir autour de Robert.

Même les chiens est un roman bourré de défauts, mais qu’on sent néanmoins écrit avec beaucoup d’amour et de compassion, et une réelle envie de la part de l’auteur de donner une voix à ces déshérités, ces fantômes laissés sur le quai par le train de la société. L’auteur réalise un coup de maître en réussissant à éviter les pièges de l’angélisme et du donneur de leçons dans lesquels il est aisé de tomber lorsqu’on aborde le sujet de la drogue. Pas de fausses excuses ici, pas de diabolisation non plus : tous les personnages ont eu leurs galères qui créent de l’empathie et amènent le lecteur à comprendre comment ils ont pu mettre le doigt dans l’engrenage ; n’empêche que s’ils s’y complaisent, c’est parce que l’effet de la drogue est vraiment foutrement bon. De même, si McGregor relève souvent la solidarité entre ces junkies, la douceur avec laquelle ils se piquent les uns les autres, il ne manque pas non plus de souligner la violence de certains comportements, et surtout la constitution en panier de crabes de cette communauté dont les membres font tout pour qu’aucun d’entre eux ne puisse s’en sortir. Pas de bons sentiments ici, juste un réalisme cru qui laisse à penser que l’auteur a dû conduire de nombreuses recherches pour bien maîtriser son sujet (il remercie d’ailleurs un certain nombre de scientifiques et de policiers en fin d’ouvrage).

A l’image de son narrateur collectif, Même les chiens est un livre de fantôme, qui s’intéresse à des êtres qu’on ne voit pas, qu’on refuse peut-être de voir, et dont la vie est rythmée par les prises de doses plutôt que par un boulot, où l’on s’angoisse pour trouver une veine utilisable et pas pour payer son loyer, où les corps déchoient comme le lien social. Somme toute, un monde parallèle au nôtre, peuplé de goules et de zombies – ceux qui suivent la série Breaking Bad verront à plusieurs reprises apparaître par-dessus le texte ces images de junkies émaciés, couverts de croûtes à force de se gratter et de se piquer, vivant par dizaines dans des squats cradingues.

Vraisemblablement afin de coller à cette réalité, McGregor utilise un style proche du langage parlé et même d’un langage qui pourrait être utilisé par un des junkies du texte. Les phrases interrompues se succèdent, elles sont parfois entrecoupées d’interjections (« putain », « comment on dit déjà »). Si cette technique contribue indéniablement à l’immersion, elle finit par lasser et a vraisemblablement posé d’immenses problèmes à la traductrice qui ne parvient pas à éviter de nombreux anglicismes, une utilisation de l’argot et desdites interjections qui ne sonne pas naturelle en français. Au rayon des points négatifs, aussi, on notera le côté un peu redondant du roman qui aurait facilement pu faire une soixantaine de pages de moins tant la dernière partie – consacrée au rapport du coroner sur les circonstances entourant la mort de Robert – n’apporte rien, si ce n’est quelques réflexions intéressantes qui auraient aussi bien pu être placées à un autre endroit. Le véritable sujet du livre étant cette communauté de junkies qu’on suit pas à pas, l’idée de prendre la mort de Robert comme fil rouge apparaît finalement comme un artifice peu convaincant et l’auteur ne semble pas trop savoir comment se débarrasser de ce cadavre envahissant.

Finalement, Même les chiens est à l’image de son sujet : criblé de failles mais éminemment attachant. Pour cette mise en perspective qu’il offre et cette plongée en apnée dans le monde interlope de la drogue, rarement abordé sous cet angle, il mérite largement qu’on fasse l’impasse sur ses quelques défauts pour y jeter un œil. Pas un grand livre, mais définitivement une œuvre méritoire.

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Droit de défonce

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 22 mars 2012

Comme une bande annonce de film, une série de morceaux d’histoires qui se chevauchent, se succèdent, se mélangent, pour reconstituer la vie d’une bande de jeunes qui se sont retrouvés dans la marge, au pays des drogués. Leur vie quotidienne qui consiste à chercher de quoi payer la prochaine dose, à se procurer cette dose, à se l’administrer et à chercher de quoi payer la suivante, à se la procurer, à se l’administrer, et toujours recommencer le cycle jusqu’à être obligés de trouver un coin pour poser leur maigre bagage et dormir un peu, le moins exposés possible à la violence qui est de règle dans ce milieu. Seul compte l’effet produit par la came, décoller, planer, planer toujours plus haut jusqu’à tutoyer les étoiles avec le risque de ne jamais redescendre.

Et Robert qui ne se droguait pas est mort, il a peut-être été assassiné, Danny qui a trouvé le corps, panique et court partout dans la ville pour trouver les autres tout en revivant son parcours d’enfant égaré dans le monde de la dope. Une succession de flashs nous montre ces personnages en quête de leur dose, leur parcours individuel, leur histoire, les drogues toujours plus dures, les doses toujours plus fortes, l’ascension infernale qui les fera descendre toujours plus bas comme Robert que l’on voit à travers le hublot pendant que les médecins légistes dissèquent son corps pour expliquer son décès.

Un texte explosé mais très construit qui montre à coup d’images, de flashs, de saillies, d’éclairs ses jeunes toujours en mouvement, en quête… dans une écriture expérimentale qui évoque la pensée confuse, déstructurée, inachevée, inaboutie, fulgurante des gens sous l’empire de la drogue. Des phrases avortées, sorties de mémoires défaillantes, d’esprits perturbés, pour raconter le parcours de ces drogués : les parents qui crient, les enfants placés, les chambres qui changent sans cesse, les séparations, la tentation, la marge, la dépendance, l’extase toujours plus intense, l’explosion en vol…

Ce récit inspire une profonde pitié pour ces jeunes qui sont condamnés à voler toujours plus haut, à jouir toujours plus fort, à courir éternellement à la quête de cette substance magique qui ne les laissera jamais en paix. Pitié, oui pitié mais aussi, pourquoi pas, un peu de tendresse pour ces paumés que la vie n’a pas épargnés, souvent innocents, faibles, sans défense, toujours défoncés. Jusqu’où avaient-il le choix ?

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