Requiem pour un paysan espagnol de Ramón José Sender

Requiem pour un paysan espagnol de Ramón José Sender
(Requiem por un campesino español)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Pieronnelle, le 10 octobre 2011 (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 183ème position).
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Un roman intemporel

Ramon Sender est né en 1901 en Espagne ; journaliste engagé politiquement dès l’âge de 18 ans, il sera également lié aux milieux anarcho-syndicalistes. La guerre civile de 1936, époque du roman, le conduira, comme tant d’autres à s’enfuir d’Espagne après les morts de sa femme et de Ramon , son frère, tous deux fusillés par les phalangistes. Il n’acceptera de revenir dans son pays en 1974 qu’à la condition qu’y soit enfin édité « requiem pour un paysan espagnol » qui subissait la censure depuis des années.
Ce roman qui évoque la guerre sans combats, est intemporel. Car il y est question de l’homme dans son absolue humanité, avec ses moments de bravoure, de cruauté, de lâcheté et de dignité.
Nous sommes dans un petit village d’Aragon ; le curé du village, Mosen Millan, attend que les villageois viennent assister à la messe de requiem qui doit être célébrée pour le repos de l’âme du « Paco du moulin » exécuté par les phalangistes un an auparavant. Il n’est pas à l’aise, Mosen Millan, son âme est tourmentée. Il ne peut s’empêcher de repenser à Paco, petit garçon alors enfant de cœur, qu’il aurait bien aimé entraîner dans son giron religieux et envers lequel il éprouvait beaucoup d’affection même s’il posait des questions auxquelles il avait bien du mal à répondre. Comme lorsqu’ils s’étaient trouvés à donner ensemble l’extrême-onction dans les grottes où vivaient des paysans dans une misère innommable. Paco en restera marqué toute sa courte vie et c’est sans nul doute ce qui le conduira à se révolter contre toutes les injustices et à devenir conseiller municipal :
« Ils allèrent à l’extérieur du village, où il n’y avait plus de maisons, là où les gens vivaient dans des cavernes taillées dans la roche. On y entrait par une ouverture rectangulaire aux bords blanchis à la chaux. (…) Il n’y avait pas de lumière dans la première pièce. Dans la seconde, on ne voyait qu’une petite lampe à huile. Une vieille femme en haillons les reçut un bout de bougie à la main. (…) Dans un coin, il y avait un grabat fait de planches, où était le malade. (…) la vieille femme se taisait. Son menton tremblait parfois et on voyait alors l’os de la mâchoire sous la peau. Paco regardait toujours autour de lui. Il n’y avait pas de lumière, ni d’eau, ni de feu ».
Le prêtre, gêné, sera dans l’incapacité de répondre aux questions du garçon sur le pourquoi de cette détresse et de cette misère.
Le roman est construit sur la mémoire du prêtre qui se souvient de tous les événements qui ont conduit à ce drame. Et nous découvrons ce petit village avec ses coutumes et ses habitants dont certains sont très hauts en couleur comme la Jerõnima, « la sorcière » qui anime les bavardages du « Caracol » lieu où se réunissent toutes les femmes, et le cordonnier homme rebelle et indépendant qui sera également exécuté malgré sa neutralité.
Par l’histoire de ce Mosen Millan, dont on sent bien qu’il a un gros problème avec sa conscience, de celles de Paco du moulin, des potentats, des villageois dont on ne sait toujours pas jusqu’à la fin du roman s’ils viendront à la messe de requiem, Ramon Sender explore toute la nature humaine avec une écriture d’une simplicité, d’une pureté pourrait-on dire, qui touche profondément sans aucun affect mais avec un réalisme absolu, ce qui sera une des causes de la censure.
On comprend pourquoi ce court et grand roman qui parle d’une guerre sans la nommer dans un petit village où les crimes vont arriver un matin par un groupe de «fils de bonne famille, avec des bâtons et des pistolets » sous l’œil ébahi des villageois qui ne comprennent rien, était si cher à Ramon Sender car c’est bien en pensant à sa femme et son frère qu’il a décrit les scènes d’exécutions.

Ramon Sender qui est mort en 1982, écrivait en 1956 en réponse à ceux qui lui reprochaient son engagement politique incompatible, selon eux, avec la poésie:
« Un écrivain ne peut pas faire l’impasse sur la situation sociale. A notre époque, pour demeurer insensible aux problèmes sociaux, il faut être une crapule ou un imbécile »
Cette pensée semble bien toujours d’actualité.

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10 étoiles

Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 84 ans) - 11 juin 2014

Pieronnelle a donné de ce livre un beau compte rendu. Dans ce petit village espagnol, s'affrontent en peu de pages les grands mouvements qui ont bouleversé l'Europe du XX° siècle. L'ancienne tradition féodale soutenue par des "gens impudents" s'oppose à une vision plus généreuse, incarnée par le "paysan espagnol", qui cherche à mettre à profit localement le changement démocratique apporté par l'instauration de la république. Au centre du récit, Mosén Millan, le curé, révèle un caractère faible que ses bons sentiments religieux masquent et révèlent à la fois, tour à tour observateur et protagoniste du drame. La conduite du récit est parfaite, soulignant par nombre de détails la vie difficile des paysans espagnols et l'inanité du système qui les condamne à la misère. On vit avec eux l'espoir d'en sortir comme leur découragement devant le retour de la tyrannie. Le lecteur est ainsi plongé au coeur de la guerre civile sans que le mot ne soit écrit ou l'évènement décrit. Admirable. Pourquoi un tel livre est-il si peu lu et si peu commenté sur ce site? Il est vrai que Sender, mort il y a presque trente ans, n'est pas à la mode aujourd'hui. Alors?

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  On ne peut rester indifférent 4 DE GOUGE 10 octobre 2011 @ 23:58

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