Le port intérieur de Antoine Volodine

Le port intérieur de Antoine Volodine

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jlc, le 16 septembre 2011 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 4 étoiles
Moyenne des notes : 5 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (55 345ème position).
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Violente tristesse

Il est des univers où on ne peut entrer qu’avec un passeport, une culture, des références. Ainsi en est-il de certains univers littéraires. Ainsi en est-il probablement du monde d’Antoine Volodine dont j’ai voulu aborder «Le Port Intérieur ». Je me suis très vite aperçu que je manquais de repères pour m’y retrouver. Entre rêve et fiction, morts et vivants, personnages aux multiples vies (La lecture des critiques de Donatien m’a appris que Breughel, qui est, ici, un écrivain perçu comme un traître est ailleurs un musicien) ma boussole s’est affolée et m’a désorienté.

Breughel, écrivain, membre d’une société secrète (politique ?) dont, avec quelques autres, il a détourné les fonds est recherché par un certain Kotter dont on n’est pas sûr que ce soit le nom, mais c’est en tout cas ainsi que Breughel, sachant qu’il viendrait un jour l’a baptisé. Pour l’abattre ? Pour le faire parler ? Pour retrouver ses complices, un portugais nommé Machado et Gloria Vancouver ? C’est à Macau, encore dépendance portugaise en Chine, que Kotter trouve Breughel « agonisant sur les bas côtés de l’imaginaire » dans un taudis immonde, où « l’air poisse », « où le vent feule », où aucun chinois ne le « récompense d’un regard ». Les deux personnages vont « respecter la chronologie rituelle de l’angoisse avant la mort » en jouant au chat et à la souris, l’un voulant savoir (pour comprendre ?), l’autre cherchant à brouiller les pistes (à quelles fins ?).

Breughel raconte comment il a passionnément aimé Gloria « comme un miracle qui ne se refuse pas ». « J’ignorais si (elle) avait feint splendidement l’amour ou si (elle) s’était vraiment dépouillée de tout mensonge, redoutant l’humiliation, l’éclat de rire qui détruirait mes illusions ». Mais, Machado l’a prévenu que Gloria, « illumination tardive » dans la vie de ce quinquagénaire, est psychotique. Il faut l’enfermer dans un asile où Breughel vient souvent la voir, lui apportant « une tendresse polluée par le chagrin », elle lui offrant « malgré tout, un tourbillon qui ressemblait à l’éternité ». Cette vie destructrice est aussi un enfer et la mort (accident ou suicide ?) de Gloria est vécue comme une délivrance. « Il n’y avait plus entre nous ni poésie, ni amour, seulement cela, ce sentiment pénible du devoir ». Machado, ancien amant de Gloria qui avait compris vers quels « désastres suicidaires ils allaient » et avait « annoncé qu’il se dissoudrait sans adieu », Machado est mort lui aussi. Et si tout ceci n’était que mensonge pour piéger Kotter ? Et celui-ci est-il vraiment Kotter ? Et pourquoi Breughel, si c’est bien lui, reste-t-il à Macau ? Le souvenir de Gloria, aussi mélancolique soit-il, ne peut ensorceler à un lieu de cette manière ». Et qui est/était ( ?) vraiment Gloria ?

Un éléphant blessé, un typhon, « ciel qui se déverse sur le monde et hurle », une nuit chinoise, la pesanteur du temps de l’attente, une sympathie qui s’ébauche, des identités floues qui ne sont peut-être que machination et instrumentalisation sont autant d’éléments qui composent ou décomposent un univers de ruines et de désastres. La fin du livre est surprenante, très belle et laisse le dernier mot à l’imagination du lecteur.

Tout ceci m’a laissé perplexe car je ne suis vraiment jamais entré dans l’univers de Volodine. Voilà un artiste qui laisse une grande liberté au lecteur au point de parfois l’égarer. On peut lui préférer des écrivains qui accompagnent davantage le lecteur vers leur monde tout en l’impliquant dans leur histoire par les émotions qu’ils suscitent. J’ai admiré la qualité et la poésie de l’écriture, l’inventivité du vocabulaire, le choix précis des mots dont jaillissent des images fortes, l’originalité et la beauté des dernières pages, le climat de « violente tristesse ». Mais bien des passages sont trop longs ; des phrases inachevées et des monologues ininterrompus font un peu trop exercices de style ; la complexité du jeu de miroirs entre passé hypothétique et présent incertain est trop digressive dans une histoire qui s’éparpille.

Cette lecture est d’autant plus décevante que le style en est souvent splendide. Ce n’est bien sûr qu’un avis.

Finalement, pour vraiment apprécier « Le Port Intérieur », peut-être faudrait-il suivre le conseil de Donatien de le relire.

PS : l’étoilement, dans un tel cas, ne peut être que trompeur. 2* n’expriment ici que ma déception et pas du tout la valeur littéraire de ce texte qui est remarquable.

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Poubelle la vie

2 étoiles

Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 22 février 2015

Cette deuxième tentative afin de pénétrer le monde de Volodine me confirme dans la nausée existentielle qui suinte par tous les pores de son univers.

Nous sommes à Macao, en des temps à cheval entre "l'enfer du jeu" portugais et le retour dans le giron de la RPC, laquelle ne semble pas avoir fait grand chose afin de nettoyer ce qui semble n'être qu'un cloaque où tous, Chinois comme étrangers, semblent avoir échoué afin d'expier Dieu sait quel péché capital (politique, de droit commun, d'essence psychologique, etc. etc.).
Il y a eu une ou plusieurs guerres (qui semblent se poursuivre...) mettant aux prises d'improbables protagonistes aux intentions étranges, aux projets absurdes et aux professions de foi caricaturales, dénotant qu'on est en plein délire et sans perspective, puisque l'auteur a décidé une fois pour toutes d'être un émule de St Jean l'évangéliste, en tâchant de créer une manière de bande dessinée pour illuminés qui n'auraient pas compris l'Apocalypse.

Personnage principal, Breughel affronte le tueur Kotter (armé d'un pistolet en plastique, mais ce doit être une métaphore cachant quelque subtilité transcendantale...) et erre par la pensée ou pour de bon, d'une scène onirique à une bataille de spectres enfermés par des barbelés (l'univers concentrationnaire est comme un passage obligé chez Volodine) où le héros "rame" au sens à peine figuré vers une hypothétique libération qui le conduira peut-être à une pseudo-libération, puisque à nouveau enrôlé dans une entité politico-idéologico-inutile à vocation suicidaire.

On est périodiquement confronté à une suite de slogans affichés un peu partout, à l'image de ceux qui fleurissaient dans la défunte URSS ou dans la Chine de Mao, tous plus farfelus et aberrants (Volodine appuie lourdement sur l'égarement généralisé du contexte) tels que "CHRYSALIDES DU TROISIEME SOMMEIL, REGROUPEZ-VOUS !", "INCENDIAIRE DES LUNES SAFRANES, PENDS-TOI AVEC TA CEINTURE !"... et le reste à l'envi.

Et Breughel tout en devisant absurdement attaché sur une chaise, face à Kotter le tueur envoyé à ses trousses - c'est presque un garde-malade, par comparaison avec ceux du KGB ou de la Gestapo, mais il semble surtout intéressé par le pognon à récupérer - cingle à l'occasion vers son grand amour Gloria tout aussi complice et coupable que lui, morte à un moment, mais pas vraiment, folle à ses heures mais pas vraiment... et ne s'y retrouve jamais, sinon dans le constat qu'il est un type fini soumis au fatum et perpétuellement au bord de l'effondrement, du néant définitif ; mais non, il faut bien allonger la sauce... et c'est reparti pour un tour de délire multiforme.

Le style s'essaie régulièrement aux sauts spatio-temporels et aux coupures du récit : manquent en fin de phrase le verbe, le substantif, ou l'adverbe, voire un groupe de mots ouvrant sur une signification provisoire, évidente, ou bien encore tout à fait incertaine ; leur découverte est abandonnée à l'intuition du lecteur auquel on fait la charité de le considérer intelligent tout en lui présentant la chose sous la forme d'un QCM. Une sorte de pâle et laborieuse imitation de Claude Simon. On est bien loin de "La route des Flandres" !

Pour l'auteur, les êtres, le monde et l'univers procèdent d'une philosophie de chiffonniers ou de ferrailleurs, chez qui tout n'est que décomposition et recyclage à l'infini de situations dépeignant avec gourmandise la déréliction des esprits et des corps. C'est vraiment le nihilisme de la déchetterie ; et il faut bien que tout exprime et rende cette condition palpable, pour le plus grand dégoût du lecteur.

Ainsi Breughel est un déchet, auquel personne ne prête attention sinon son "tueur" incompétent, il évolue dans un univers de sourds-muets ou d'aphasiques, tout affairé à respirer ses petits miasmes personnels ; du coup Volodine aurait pu transformer le titre en "Porc intérieur"...Et comme il faut bien, en plus de la bouillie psychologique, un contexte (exotique pas encore post- mais on n'est pas loin) tactile et accessible aux cinq sens, c'est un débordement d'odeurs nauséabondes, de visions d’égoutier, de saleté poisseuse cuirassant l'univers visible, d'air épais tellement il porte d'effluves innommables, de nappes d'eau croupie ou polluée, de hordes de cafards, mouches, moustiques et autres bestioles répugnantes, de linge sale, de taudis misérables, de nourritures écoeurantes, de liquides suris et suspects, d'étrons recyclés, et surtout de transpiration, de sueur, d'hectolitres de sueur, de chaleur moite, de brumes collantes (il n'y a jamais de soleil chez Volodine : c'est un peintre des cachots, caves et autres oubliettes à rats visqueux), d'étouffement perpétuel du corps et de l'esprit, hors duquel on n'aspire plus qu'à fuir, fuir ventre à terre, vers les hauteurs éthérées d'un sommet de 5 ou 6000 mètres ou des déserts de neige avec plein de glace, d'air cinglant, d'ours polaires tout autour...

Il y aura une sorte de fin à ce désastre, à propos de laquelle on s'interroge à la fois sur sa réalité et sa pertinence. Je n'en dirai rien bien sûr. Mais l'avalanche maniaco-onirique désespérante qui l'a précédée semble par comparaison pur artifice où s'affrontent hors de toute cohérence des personnages, des décors, des causes qui apparaissent comme un procédé d'écriture, autosuffisant du point de vue de Volodine.

Volodine doit avoir des problèmes récurrents avec son chauffage central (qu'il a dû récupérer dans une déchetterie...), ou un déséquilibre métabolique grave, c'est une obsession chez lui.
Nos compagnes ont la réputation d'avoir toujours froid : Volodine aussi. Je m'en étais douté ; ça se confirme. Alors il doit écrire à toute vitesse avec des moufles, ou graver son texte au burin comme un forcené sur une plaque de granit tout en étant vêtu comme Paul-Emile Victor...enfin il se réchauffe, il est en nage, il n'en peut plus, des visions infernales lui viennent et alors la machine s'emballe, c'est un crescendo d''horreurs et, une fois épuisé, le bouquin est achevé, Volodine aussi. Il a perdu 30 kilos et...il a froid. Alors il recommence...

Il n'y aura pas de ma part une troisième expérience de lecture après celle-ci et "Terminus radieux".

Un coup de cœur (inclassable…)

9 étoiles

Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 68 ans) - 30 avril 2012

Ce n’est pas le premier livre de Volodine que je lis, mais c’est le premier que j’ai vraiment apprécié.
Inutile de rappeler le sujet du livre, très bien décrit dans la critique de Jlc.
Qui est Breughel ? Qui est « je » ? ...
Style remarquable !

Contrairement aux autres livres de Volodine (ou Lutz Bassmann) que j’ai déjà lus (tenté de lire serait d’ailleurs probablement plus exact) , j’ai été happée par celui-ci du début à la fin.

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