Le coeur est un muscle involontaire de Monique Proulx

Le coeur est un muscle involontaire de Monique Proulx

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Vigno, le 27 juin 2002 (Inscrit le 30 mai 2001, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 105ème position).
Visites : 5 372  (depuis Novembre 2007)

Le coeur de l'écrivain

Le père de Florence vient de mourir. Aux dires d’un accompagnateur, sa dernière phrase aurait été : « Le cœur est un muscle involontaire ». Florence (ou Flora) aime croire que cette phrase lui était destinée, elle qui n'a jamais rien reçu de ce père démissionnaire.
Flora, 25 ans, jolie célibataire, travaille chez Mahone inc., une petite entreprise en plein essor qui fabrique des sites web pour tous les quidams en mal de visibilité. Mahone inc, c’est d’abord Zeno, son patron, son complice et l’amant qu'elle doit partager. Parmi leurs clients, se trouve Gina Da Sylva, dont la soeur Mélodie vit avec le célèbre écrivain invisible, Pierre Laliberté (alias Réjean Ducharme), dont Zéno est un « aficionado enragé, un authentique lalibertéphile ». Non seulement vit-elle avec lui, mais elle le protège contre tous les intrus, à commencer par les médias qui le traquent (le New York Times offre 50 000$ pour une entrevue avec Laliberté).
Zéno Mahone est un fan invétéré. Il décide de lancer Flora à ses trousses, en se servant de Gina Da Sylva. Coup de théâtre, Flora découvre dans son dernier roman la phrase de son père « Le coeur est un muscle involontaire ». Serait-il le type qui a accompagné son père mourant? Après une virée qui la mène à New York, Flora finira par trouver Laliberté, là où on l'attendait le moins : en fait, il fréquente le même restaurant qu'elle. S'engage entre eux une relation plutôt insaisissable, de mentor à élève. Laliberté entreprend de faire son « éducation littéraire».
Est-ce les livres ou le personnage lui-même ou une combinaison des deux, toujours est-il que Flora-la-réservée, Flora-la-pragmatique est piégée par les livres (d'abord par ceux de Laliberté), elle qui leur avait toujours résisté : « Lire des livres nous ralentit, nous ramollit, nous efface. Quand tu ouvres un livre, un livre particulièrement sournois, tu es neutralisé pendant des heures, pendant des heures prisonnier de cette chose corpulente qui n'est même pas vraie, qu’un névrosé a créée de toutes pièces dans le plus fort de sa névrose pour te la communiquer et s’en débarrasser. » Ou encore : « Cent fois je veux abandonner et cent fois je me fouette pour continuer. Et puis arrive le moment où je n'ai plus à me fouetter, parce que je crains le plus vient d’arriver. Je perds tout. Contrôle et liberté. Le livre anéantit ma volonté et il s’en va en avant tout seul, m’emportant comme une chiffe sans âme et sans résistance. »
Pour Laliberté, le secret c’est la curiosité. Ne devient écrivain que celui qui fusionne avec les autres au risque de se perdre. Il ne s'agit pas d’imagination ou d'invention, mais d'empathie : « Et pourtant, tout cela sonne réel, plus réel que la réalité. Et si simple. Il suffit de sortir de sa petite boîte. Quand on sort de sa petite boîte, on est tout de suite dans l'espace, le nôtre, le leur, le seul espace qui soit, et l’on reçoit tout, des autres, des grenouilles, des étoiles, parce que rien n'est séparé. » Tout le reste, c’est du flafla médiatique : « Le spectacle des écrivains trônant sur leur écriture, sur la vapeur précaire laissée par leur écriture, est pitoyable à regarder. Le temps public des écrivains est le temps mauvais de leur vanité, le temps où ils ne sont plus qu’une boursouflure qui veut être léchée. »
Pour Monique Proulx, un bon écrivain, c'est celui qui donne envie d'écrire? Qu'en sera-t-il pour Flora, surtout qu'elle vient de se voir offrir le vieux secrétaire où son père a gribouillé, toute sa vie durant?
Monique Proulx écrit bien. Elle ne résiste par toujours à la tentation de faire montre de sa virtuosité comme en témoignent les morceaux de bravoure que sont les descriptions de New York ou du centre commercial. Son roman, sous ses allures de polar, poursuit la quête amorcée dans son génial "Homme invisible à la fenêtre". Auteure aux questionnements très postmodernes, elle annonce déjà que sa prochaine oeuvre se passera à la campagne. J’ai bien hâte de voir ce qu'elle pourra tirer d'un milieu qui lui semble si étranger.

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Les éditions

  • Le coeur est un muscle involontaire [Texte imprimé], roman Monique Proulx
    de Proulx, Monique
    Boréal
    ISBN : 9782764601815 ; 43,00 € ; 05/09/2002 ; 399 p. ; Relié
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En quête d'identité

10 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 20 février 2003

Ce roman est une réussite malgré les longueurs, trop soulignées par les chroniqueurs québécois. Ils y ont jeté un regard d'intellectuel en s'attachant plus au cadre qu'au sujet. Sa force, c'est justement le traitement original donné au sujet, qui ne se révèle d'ailleurs qu'à la fin du roman. De prime abord, on pourrait penser qu'il s'agit d'une femme ayant reçu le mission de son employeur de trouver un écrivain qui se terre pour protéger son authenticité, comme c'est le cas pour Réjean Ducharme.
À la manière d'un détective, Florence, la jeune employée, part à la recherche de Pierre Laliberté, l'écrivain mystérieux, en suivant des pistes plus ou moins prometteuses. Quand elle le trouve, sa rencontre n'est pas sans conséquences. Elle en devient obsédée. Elle lit ses oeuvres, elle boit ses paroles. Bref, c'est l'homme idéal. Mais à son insu, cet écrivain va parfaire son éducation. Mine de rien, il va lui indiquer ce qui est important dans la vie en lui détournant les yeux de son beau nombril pour les orienter vers la souffrance d'autrui, qui nous unit tous sur terre. Pour atteindre son objectif, il va lui offrir un chien en cadeau afin qu'elle apprenne le détachement et réalise sa nécessité pour les autres. Un chien, c'est accaparant, même s'il est notre meilleur ami. Petit à petit, Florence apprend à se rendre plus libre, à voir les enjeux importants de sa vie comme l'amour secret envers son patron, mais surtout à découvrir le lien qui l'unit à son père. Enfin, elle trouve les amarres sans lesquelles la vie n'est qu'une quête de produits dérivés.
Monique Proulx ne s'inspire pas seulement de la dérobade de Ducharme aux faiseurs d'images, elle rend aussi son univers littéraire. On trouve dans son roman cette soif d'absolu et de vérité qui caractérise les héros de Gros Mots et de L'Hiver de force. Elle emprunte même les préférences de Ducharme pour la campagne et l'alcool, voire même la vieille bagnole du héros de Gros Mots. Et comme lui, elle se laisse aller à l'humour. Alors là, il faut dire qu'elle dame le pion au maître. Jamais auteur n'aura reçu un tel hommage de la part de l'un de ses pairs. Ce roman n'en est pas pour le moins personnel. Monique Proulx jongle comme une magicienne avec ses mouchoirs. Elle sort des éléments épars qui à la fin sont tous noués. Son roman forme un boucle qui part du point X pour revenir au point X.
Bref, ce roman magnifique présente une jeune femme mise sur les rails par un écrivain pour qu'elle se réalise. Grâce à lui, elle découvre son «pepa» dont la dernière phrase avant de mourir, celle du titre, s'est retrouvée dans l'oeuvre de ce mystérieux écrivain. La mystification est l'une des caractéristiques de l'oeuvre ducharmienne. Le plus intéressant de l'oeuvre, c'est que Monique Proulx s'est servie de l'analyse des manies et de l'univers ducharmiens pour aborder le problème de l'identité auquel sont confrontés l'héroïne et son patron. Pour moi, c'est un petit chef-d'oeuvre malgré les défauts.

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