La constellation du lynx de Louis Hamelin

La constellation du lynx de Louis Hamelin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Dirlandaise, le 1 mai 2011 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 062ème position).
Visites : 4 416 

La face cachée d'Octobre 70

Louis Hamelin nous propose ici un volumineux « roman » sur la Crise d’Octobre. Pour ceux qui ignorent ce qu’est la Crise d’Octobre, c’est la période du mois d'octobre 1970 au cours de laquelle le ministre libéral du travail Pierre Laporte a été enlevé et tué par le Front de Libération du Québec (FLQ), un groupe indépendantiste québécois fondé en 1960 qui visait le renversement du gouvernement québécois et prônait l’émancipation du Québec face au Canada anglais.

Donc, le livre présente un intérêt certain car monsieur Hamelin révèle de quelle façon le ministre Laporte est mort. Il aurait recueilli les confidences de Francis Simard au Mexique ce qui est étonnant car monsieur Simard a toujours refusé de révéler les détails de la mort du ministre. Mais le livre ne se contente pas d’énumérer les faits et les événements de cette crise, il va plus loin et le roman se métamorphose en enquête fouillée sur les motivations profondes du gouvernement et des autres intervenants dont entre autres la CIA et les services secrets britanniques. Les révélations de l’auteur sont pour le moins surprenantes et laissent un goût amer. La couverture médiatique de l’époque a passé sous silence des faits assez révélateurs que monsieur Hamelin s’est acharné à décortiquer afin d’en extraire le sens profond et caché. Le livre prend parfois des allures de roman d’espionnage et de polar sordide. La description des magouilles et des malversations lors des élections, les règlements de comptes, la sordidité des bas quartiers dominés par la pègre, la vie misérable des habitants de Jacques-Cartier, la corruption des uns et des autres forment une mosaïque fort déprimante et tout à fait glauque.

Les noms des principaux intervenants ont été changés mais j’ai reconnu aisément la plupart d’entre eux. Les frères Rose sont devenus les frères Lafleur, Francis Simard est Gode, le ministre Laporte est Paul Lavoie et Robert Bourassa se nomme Vézina. Enfin pour ceux qui connaissent bien cette histoire, ils s’y retrouveront facilement mais pour les autres, je conseille de lire un peu avant sur le sujet afin de pouvoir se démêler un peu dans tous ces personnages. Je conseille la lecture du livre de Francis Simard « Pour en finir avec Octobre », un livre magnifique dont monsieur Hamelin s’est largement inspiré pour écrire le sien. Je reconnaissais des passages entiers du livre réécrits autrement bien sûr.

Bien que le livre soit très long, il ne m’a jamais lassée. Peut-être est-ce dû à l’écriture fort vivante et colorée de l’auteur et aussi au fait que les chapitres sont très courts. Monsieur Hamelin nous invite à suivre chacun des personnages à tour de rôle et presque chaque chapitre se situe à une époque différente. Certains sont remarquables, je pense à celui relatant les arrestations lors de la loi sur les mesures de guerre, la fête mouvementée de la Saint-Jean avec les émeutes et aussi l’odyssée de la cabane du pêcheur à Percé. Certains personnages sont tout à fait bien décrits comme l’avocat Robert Lemieux. Mais ce sont les toutes dernières pages qui constituent le point fort du roman. Celles qui décrivent la détention et la mort du ministre Laporte alias Lavoie. À la toute fin aussi, beaucoup de courts chapitres nous révèlent une partie de l’immense supercherie que constitue la Crise d’Octobre et de quelle ignoble façon les felquistes ont été manipulés par les autorités en place.

Le livre a nécessité plusieurs années de travail et de recherches. Il nous replonge au cœur de la tourmente d’Octobre avec un regard différent et bien personnel. Monsieur Hamelin avait des choses à nous dire et il l’a fait fort pertinemment. À lire.

« Alors l’alerte est donnée, c’est le branle-bas de combat dans le bungalow. Vos kidnappeurs décident de vendre chèrement leur peau et, en attendant, de se servir de la vôtre comme d’un bouclier. Ils tronçonnent un vieux manche de moppe et se fabriquent des faux bâtons de dynamite en recouvrant les morceaux de bois de papier brun qu’ils enduisent de beurre pour imiter le fini de la vraie dynamite. Ils ajoutent un réveille-matin comme semblant de détonateur et assez de fils électriques qui dépassent pour donner le change, ensuite ils fourrent les bâtons dans une sacoche qu’ils vous ceinturent solidement autour de la poitrine. Après, ils vous traînent en face de la porte, coincé entre le gars qui tient le détonateur et un autre qui vous colle le canon de sa MI sur la tête, et vous restez là à attendre le premier coup de botte ou de crosse dans la porte, la ruée… »

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Le roman d'une constellation

9 étoiles

Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 6 mars 2013

On dit qu'il faut des yeux de lynx pour arriver à voir les étoiles puis à tracer les fils imaginaires qui les relient et forment ce qu'on appelle la constellation du Lynx.

Il a fallu le travail, la détermination et le talent de Louis Hamelin pour nous offrir cette vision "constellaire" d'un chapitre nébuleux de l'histoire du Québec; Octobre 1970. Un sujet difficile dont les conséquences sont encore présentes au sein d'une société qui cherche à s'affranchir du poids de son passé colonial.

Partant d'une structure éclatée, l'auteur nous introduit de façon quasi picturale, aux divers éléments qui ont pu jouer un rôle dans cette affaire. Entre de nombreux aller-retour dans le temps, l'espace et la perspective, le lecteur s'installe peu à peu au coeur de l'action, glisse d'une perspective à l'autre, explore les différentes hypothèses et traverse ainsi ce chapitre de l'histoire en compagnie d'un guide au regard exercé.

La phrase est énergique, le verbe est cru et coloré, les personnages au départ caricaturés, se dévoilent peu à peu au long de l'histoire tandis que les paysages et les lieux sont dépeints avec une attention particulière.

On ressort de ce roman avec des images plein la tête dont un profil de cette société québécoise ici tracé dans ce qu'elle a de plus douloureux.

Fourmillant de québécismes, le roman pourra s'avérer difficile d'approche pour le lecteur qui ne serait pas familier avec le français pratiqué au Québec.

Une édition quasi irréprochable.

Monsieur Hamelin signe avec ce septième roman, un ouvrage de haut niveau.

Un Québec en crise

10 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 13 juillet 2012

C’était le temps des fleurs
On ignorait la peur
Et chaque jour avait un goût de miel
On était jeunes et l’on croyait au ciel

Louis Hamelin cite ce refrain du Temps des fleurs de Dalida. On est jeunes et on veut refaire le monde autour d’un pichet de bière. L’oktoberfest, célébrant la bière depuis octobre 1810 en Allemagne, s’est traduit en octobierrisme (octobre 1970) au Québec. De jeunes hommes ont voulu défier le sort dévolu aux Québécois que Pierre Vallière qualifiait de « nègres blancs d’Amérique ».

Pour ces utopistes, l’octobierrisme était « une herméneutique comme l’existentialisme selon Sartre et un humanisme ». Ils avaient bien mal interprété les aspirations de leur propre peuple, aucunement entraîné à prendre leur destinée en main. Les gouvernants se sont empressés de terrasser ces terroristes en recourant à l’amère loi des mesures de guerre, qui ne fut appliquée qu’au Québec contre les opposants de la conscription. La belligérance se heurte à nos us et coutumes. Notre pacifisme a retenu les sympathisants à la cause des felquistes (terroristes), des individus sans héraut, qui préconisaient la libération du Québec. Contrairement aux zapatistes du Chiapas, ils étaient dépourvus d’envergure, voire mal vus quand est survenue la mort de Pierre Laporte, rebaptisé Paul Lavoie dans le roman. Même si elle ne résultait pas d’une haine vengeresse, le cadavre de ce ministre est devenu un message que les autorités ont interprété comme l’avertissement précurseur d’une insurrection.

Louis Hamelin s’est farci les documents ad hoc de cette conspiration appréhendée. À travers Samuel Nihilo, il entreprend une enquête journalistique pour dépoussiérer cette histoire nébuleuse, qui a sidéré le Québec en 1970. La version officielle des événements était trop vaporeuse pour s’accréditer à ses yeux. Avec Marie-Québec, le héros parcourt le Québec, 20 ans plus tard, en quête de la version du drame de la bouche même des lynx, les détenteurs de secrets selon la culture amérindienne. Il lui faut s’approcher d’eux avec un sourire à la Mona Lisa s’il veut reconstituer la constellation des péripéties responsables de la mort d’un ministre, qui a servi de monnaie d’échange pour un sauf-conduit.

Ce travail titanesque sur la Crise d’octobre, qui n’est pas sans rappeler la crise étudiante de maintenant, n’est pas un salmigondis d’anecdotes à l’instar de nombreux romans d’époque. L'auteur profile en profondeur la personnalité de ses personnages épris d’un idéal politique, qui se sont donné la mission de sauver le peuple sans chercher son amont.

Avec cette somme, Hamelin délaisse le gongorisme pour se tourner quelque peu vers un langage plus populaire. Cependant sa plume n’a pas encore la fluidité souhaitable. Le lyrisme l’emporte parfois dans des envolées magmatiques très peu élégantes, mais on sent un auteur plus humain et attentif à la nature.

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