Le Bord de la Terre de André Benchetrit

Le Bord de la Terre de André Benchetrit

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 23 avril 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 8 étoiles
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"Dans ma tête c'est chez moi"

Il y a de la violence dans le roman d’André Benchetrit. Elle est omniprésente dans les mots (« Il y a du sang. Il y a du froid. Je remue dedans »), mais surtout, elle se situe au niveau des rapports entre les deux principaux personnages de ce roman, un père et un fils, dont on devine les rapports conflictuels – on imagine un fils ado, peut-être, et un père seul, veuf ou divorcé, et médiocre, au moins aux yeux de son fils (« Je ne veux rien tenir de toi, Papa. C’est un rien qui donne le vertige. Il prend toute la place. Il se déploie comme il veut même si je ne veux pas. Et il est tellement là que parfois j’ai peur. »). Leurs relations sont tendues, mais ambivalentes : un mélange de haine, de mépris et d’amour, parfois tout en même temps (« Je voulais lui dire de mourir plus vite, car cela durait trop longtemps toute cette mort qui ne finissait pas. » ; « Je peux avoir ma vie et toi tu es normal. Tu es cassé. Comme si tu étais tombé. Ailes cassées. Ou bien la tête. Tes inventions quand tu déambules, c’est pour tromper les yeux. Tes histoires, tu mens. Moi, ça ne me gêne pas. Un jour je partirai et j’aurai ma vie. Mais toi ? »). Quant au reste, on n’en saisit pas grand’ chose : Le bord de la terre est un texte pour ainsi dire subliminal, comme ces images qui nous marquent mais que l’œil ne saisit pas. Tout au plus, on retiendra que l’histoire aura débuté dans une laverie dégueulasse, puis qu’il fut bien vite question d’un radeau semblant voguer entre la vie à la mort, comme le père lui-même. Des goules, des vampires, un bouc et un bébé hydrocéphale feront aussi une apparition. Il faut dire que l’alternance de narrateurs ne facilite pas la tâche : le fils semble être le narrateur principal, mais le père prend parfois le relais, d’autres fois, on dirait qu’une tierce personne s’y met, mais on n’en est pas vraiment sûr : ils alternent de manière aléatoire, sans qu’on puisse jamais savoir où s’arrête l’un et où commence l’autre.

Le texte apparaît forcément incohérent, mais on semble y trouver une véritable spontanéité, comme si tout avait été écrit d’une seule traite ; on est presque désarçonné en découvrant à la fin du roman qu’il aura nécessité presque trois ans de travail. Pourtant, il n’y a vraiment rien d’étonnant à cela. Derrière son apparente immédiateté, on sent un texte travaillé, truffé d’inventions de langage et de mots-valises qui se montrent de plus en plus frappants à mesure que l’on avance dans le texte – l’image de la cage-tête, notamment, est de celles qui marquent (« la cage-tête est un grand sac et dedans contient des corps qui sont endormis »), un texte inventif et d’une très grande noirceur, éclairé parfois d’une phrase lumineuse et d’une grande poésie : comme un coup de poignard.

Le lecteur, dans tout cela, évolue donc à l’aveuglette, heurte des murs d’incompréhension et en prend plein la gueule : c’est un texte éprouvant – mais aussi riche et beau. Il y est question d’un lien filial en déliquescence et de mort. Il y est question de monstres et de notre société. Tout cela ne semble faire aucun sens, et pourtant : ça résonne, ça résonne… Au bord de la terre, il n’y a plus qu’à basculer.

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