Le matin des origines de Pierre Bergounioux

Le matin des origines de Pierre Bergounioux

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Palorel, le 16 janvier 2011 (Inscrit le 25 décembre 2004, 43 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 721ème position).
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Lethé en pente douce

« Nous ne sommes sans doute pas faits pour penser, pour percer la zone des approximations. Le pays d’ombre et de brume où nous avons notre première demeure et notre habituelle résidence ne gagne pas à paraître au grand jour. » nous dit Pierre Bergounioux dans « L’invention du présent ». De cette douce et brumeuse déraison des origines - pas encore éclairée par les lumières de la raison - qui nous rapprocherait, comme le souligne l’incipit du Matin des origines, de la félicité animale, l’auteur conserve pourtant quelques fragments, épargnés par l’oubli. De ce monde maternel ouaté, contrastant avec celui, rugueux, du père, qu’il évoquera quelques années plus tard dans le Chevron, il a su, malgré les années et le peu de temps qu’il y a passé, préserver un peu, très peu, de l’éclat originel : « J’y ai eu, au sortir des limbes, l’intuition de ce que c’est que les limbes et le rai de lumière que nous traversons pour nous replonger dans les limbes. »
C’est de cette permanence paradoxale de souvenirs voués à l’oubli, de ces instants où l’on s’éveille aux choses, qu’il nous entretient ici. Images fugaces d’une terre nourricière lotoise, pendant du Corrèze paternel, parée d’or, hors du temps. Territoire onirique, dont le rêve perdure en raison de son caractère hypnopompique, découvert « à l’instant critique où l’on est tenté de ne pas vouloir, de dormir toujours », au seuil du sommeil, à l’aube de la vie, arraché, comme de minuscules brins d’herbe, sur les rives du Lethé. Sauvé miraculeusement du néant donc, dans la mesure où le lot, somme toute absurde, de tout un chacun est d’être ébloui avant d’être oublieux de cet éblouissement originel, dont la seule justification serait de nous insuffler l’élan initial.
« Quand les puissances bénéfiques, les très belles, les nonpareilles ont su nous persuader d’ouvrir les yeux, de marcher, déjà elles se détournent. D’autres enfants sont là, endormis sur le rivage de l’être, qu’elles vont à leur tour émerveiller. Les heures, les années, emportent la feuille d’or. » (p.26)
« Le souci d’accorder ce qu’il y a et ce qu’on est » selon la belle formule du Bois du Chapitre, ce je insaisissable, que nous ne connaissons qu’à peine et le monde en perpétuelle évolution, son aporie, au cœur des préoccupations de Pierre Bergounioux, ce texte, bien qu’on puisse considérer son œuvre comme un seul livre, entend l’éclairer sous un jour nouveau.

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Persistance visuelle et mémorielle

9 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 25 mars 2011

Ce beau petit livre décrit l'importance de ses origines, des lieux de sa jeunesse, dans le Quercy, entre Lot et Corrèze, dans la maison rose, au sein des paysages dans lesquels il a baigné. Ces images se sont incrustés dans la mémoire : une part de lui est bien restée là-bas.
La terre ne se contente pas de ne pas mentir : elle vous lie, attache vos souvenirs et sentiments : c'est ce qu'il semble dire. Il décrit assez bien le phénomène étrange, et quelque peu incongru, au moins en apparence, qui consiste à se raccrocher à des détails connus, qui semblent donner du sens aux heures et lieux du passé lointain, comme s'ils étaient porteurs des secrets et de la signification de moments de vie heureux.

Cette sorte d'animisme paraît curieux. Des relents de Temps retrouvé de Marcel Proust, de Pierre Michon, qui vient de la Creuse assez proche, de Francis Cabrel (notamment dans la chanson Presque rien) donnent des accents et résonances mêlés, tour à tour plaisants et déconcertants.

J'apprécie beaucoup le style de l'auteur.

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