L'ange des ténèbres de Ernesto Sábato

L'ange des ténèbres de Ernesto Sábato
(Abbadón el exterminador)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Jlc, le 4 novembre 2010 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (49 185ème position).
Visites : 5 553 

Roman tumulte

Disons le tout de suite: ce trois étoiles est une notation bien tiédasse tant certains passages sont magnifiques quand d'autres sont difficilement compréhensibles.
Roman tumulte, c'est ainsi qu'Ernesto Sabato qualifie ce livre qui met un terme à sa trilogie romanesque commencée avec "Le tunnel" et continuée avec le superbe "Héros et tombes". Il est d'ailleurs indispensable d'avoir lu ces deux romans avant de se perdre avec cet ange dans des ténèbres apocalyptiques. Hallucinations, cauchemars, fantasmes ont façonné "l'âme déjà déchirée" de l'enfant que fut Sabato.

Ce roman est déconcertant parce que syncopé. La construction romanesque n'est ni chronologique, ni ordonnée et se veut à l'image de l'inconscient vagabond. Le lecteur ne sait pas toujours s'il lit une autobiographie, un roman ou un essai. Probablement un peu des trois. Au tout début du livre, Sabato relate trois faits qui ne semblent avoir aucun lien entre eux. Un cauchemar de fin de beuverie, l'amour fou d'un garçon pour sa sœur, la torture mortelle d'un gamin de vingt ans qui ne se disait pas guérillero "par modestie". Ils ne relèvent pas du hasard auquel l'auteur ne croit pas mais de coïncidences. "Confessions, dialogues et quelques rêves antérieurs aux évènements évoqués mais qui peuvent être leurs antécédents, même s'ils ne le sont pas de façon claire et univoque". Nous voilà prévenus dès la page 19. Le rôle de l'écrivain est "d'écrire pour au moins éterniser quelque chose", mêlant fantasmes et démons, fiction et réalité, lui-même existant en tant que personnage de son livre.

Un roman fait de promenades souvent nocturnes dans Buenos Aires "royaume de saleté et de désespoir" dont le parfum persistant reste délicieusement vénéneux. Un roman de rencontres dont Sabato nous donne rarement immédiatement les clés. Qui parle? A qui? Quand? Où? Il faut une lecture attentive pour éclairer ce ténébreux univers. Peut-être suis-je trop cartésien pour aimer un tel livre qui m'a semblé souvent ennuyeux, certainement par manque de culture de ma part.

Mais il y a aussi des pages fascinantes, sur "l'anarchisme", le compagnonnage avec Che Guevara et son exécution achevée par le geste lamentable de ce "cubain qui avait été tenancier de cabaret sous Batista s'approchant pour gifler le visage inerte du Commandant mort". Certains passages sur la littérature sont puissants quand Sabato parle des écrivains qui sont des rebelles avant d'être des révolutionnaires, quand il évoque Flaubert ou Sartre et le rôle de la littérature - "Y a-t-il jamais eu un roman qui ai servi à empêcher la mort d'un seul enfant?" - quand il oppose le monde de la lumière, la science, qu'il abandonne pour celui des ténèbres, la littérature et il raconte drôlement qu'à compter de ce jour le prix Nobel de médecine 1947 refusa de lui serrer la main. Il dit son pessimisme que les jeunes gauchistes qualifient de réactionnaire en ces temps d'utopie (nous sommes en 1973) parce que, si romantique et "pure soit-elle, et surtout si elle l'est, toute révolution est destinée à se transformer en une sale bureaucratie policière, tandis que ses meilleurs esprits finissent au cachot ou à l'asile". Il décrit en des pages intenses et terribles la banalité monstrueuse du mal.

Et derrière toutes ces apparences, il y a toujours cette obsession du gouvernement des aveugles, ces "forces invisibles qui agissent sur nous". On est parfois proche du surréalisme et certains passages font penser au "Chien andalou" ce film de Luis Buñuel auquel participa Salvador Dali.

Un livre que j'ai trouvé souvent très compliqué et parfois très beau. Peut-être me faudra-t-il le relire dans cinq ou dix ans. Dernier paradoxe: Ernesto Sabato veut que soit inscrit sur sa tombe un seul mot: PAIX, lui dont "l'âme déjà déchirée" ne la connut jamais.

Je viens de comprendre ce qui n'est peut-être pour vous qu'une banalité: on peut être triste de ne pas avoir aimé un livre.

Hasard ou coïncidence, il y avait au courrier de ce matin une publicité pour le prochain festival de Pâques à Salzbourg avec l'affiche conçue pour annoncer la représentation du "Salomé" de Richard Strauss. Or cette affiche ne peut pas ne pas faire penser à ce que Sabato décrit à la page 386. Comprenne qui pourra!

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Les éditions

  • L'ange des ténèbres [Texte imprimé], roman Ernesto Sabato trad. de l'espagnol, Argentine, par Maurice Manly
    de Sábato, Ernesto Manly, Maurice (Traducteur)
    Seuil / Points (Paris).
    ISBN : 9782020281362 ; 8,10 € ; 21/11/1996 ; 443 p. ; Poche
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Entre songes et réflexions

7 étoiles

Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 21 juin 2012

« Les êtres humains sont étrangers au pur esprit, car le propre de cette race malheureuse est l’âme, région déchirée entre la chair corruptible et le pur esprit, région intermédiaire où a lieu ce que l’existence a de plus grave : l’amour et la haine, le mythe et la fiction, l’espérance et le rêve. »

Dans ce troisième et dernier roman, publié en 1974, l’écrivain Argentin se met lui-même en scène et nous ouvre les portes de son univers, un monde formé de songes et de réflexions, peuplé de personnages, réels ou fictifs, certains rencontrés dans ses précédents ouvrages, d’autres pour la première fois ici.

L’histoire se déroule en Argentine en 1973, au moment où un écrivain nommé Sabato ou S., après une longue interruption, décide de reprendre la plume, et tente, à partir de notes diverses, de créer un nouveau récit. Ainsi on assiste non seulement au processus de création, mais on entre par là dans l’existence de l’auteur et de ses personnages.

Ce procédé permet à Sabato d’utiliser diverses perspectives et divers moyens pour transmettre et situer sa pensée, de même qu’elle lui permet d’illustrer et de situer sa perception de l’art, de la création ou de la science. Car il faut le dire, ce récit constitue pour une bonne partie, un prétexte à discuter des idées ou des thèmes chers à l’auteur, de même qu’à tenter de mettre tout cela en perspective avec son travail, puis avec la vie.

Ainsi, au fil du roman, divers sujets sont abordés tels que la pensée marxiste, le sens de l’existence, la relation entre l’âme, le corps et l’esprit, le rôle de la science, l’art, la cruauté, l’insignifiance, la mort, etc.

Mais il y a aussi la puissance évocatrice du verbe, des images fortes et sensuelles, des mots qui interpellent. Si bien qu’au gré de ces phrases où alternent les discussions, les échanges et les réflexions, où fiction et réel s’entrelacent jusqu’à ne faire qu’un, on découvre une incessante recherche du sens profond des choses.

C’est donc par ce jeu de l’esprit et des mots que l’auteur nous tient en haleine dans ce récit qui, par sa forme et son contenu, n’intéressera sans doute pas tous les lecteurs.

Cela dit, des trois ouvrages de fiction qu’a publié Sabato, ‘L’ange des ténèbres’ est celui qui semble le plus authentique et le plus personnel.

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