Songes de Mevlido de Antoine Volodine

Songes de Mevlido de Antoine Volodine

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 2 juin 2010 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 368ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
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Un attentat contre la lune

On erre dans un monde qui ressemble au nôtre, il est juste un peu plus vieux, et un peu plus pire. Quand on marche dans Poulailler Quatre, on s’aperçoit que les cages à poules sont retournées à leur usage primaire, on s’aperçoit que l’on n’est plus chez nous et que les gallinacés ont envahi nos anciennes cités, on évolue donc entre leurs excréments et elles, les poules mutantes, qui nous lacèrent de leurs ailes et nous bectent les mollets. Quand on marche dans Poulailler Quatre, on peut tomber sur Mevlido, qui revient de la Zone, qui sort du tramway pour rentrer chez lui, où il vit, depuis que la femme qu’il aimait a été torturée et tuée par des enfants soldats, avec une folle qui le prend pour l’homme qu’elle avait aimé et qu’elle aussi a perdu.

Mevlido, dans ce monde, est un flic chargé d’infiltrer les cercles bolcheviks animés par de vieilles mendiantes hurlant des slogans dénués de sens dans les ruelles puantes de Poulailler Quatre. Mevlido, dans ce monde, est un sympathisant bolchevik chargé d’infiltrer la police qui protège les nantis qui ont gagné la guerre, qui ont torturé sa femme et qui exploitent le peuple. Mevlido, dans ce monde, n’appartient à rien et n’est chez lui nulle part. Il sait juste qu’il fait partie du camp des perdants de la guerre que des nantis ont gagné pour mieux dominer le peuple qui s’agglutine pour se faire bouffer par les gallinacés dans une misère sordide ; il sait juste que la femme qu’il aime s’est faite torturer et tuer par des enfants soldats à la solde des gagnants. Il sait que pour cela, il hait les enfants soldats et que cela lui suffit pour soutenir discrètement l’action des révolutionnaires, même si cela lui fait prendre des risques pour protéger leur meilleure tueuse, Sonia Wolguelane, qui est craquante et qu’il désire dans ses songes lubriques.

Dans ces songes, on rencontre aussi Gorgha, une belle et mystérieuse corbeau femelle que, bizarrement, on désire presque autant. Gorgha nous transmet les instructions d’un personnage mystérieux, Deeplane, dont on ne sait rien si ce n’est qu’il nous évoque vaguement quelque chose et qu’on sent qu’on doit lui obéir, comme si, avant, il nous avait envoyé là avec une mission précise dont on n’a, depuis qu’on est né, plus aucune idée. Alors on erre dans ce monde, qui ressemble à celui qui ressemble au nôtre, et on y cherche des clés, sans vraiment le comprendre, sans que tout cela n’ait vraiment de sens, tant que l’on se réveille et qu’on est vivant.

Quand on ne le sera plus, on errera dans un monde qui ressemble au nôtre, qui sera juste un peu plus vieux et encore un peu plus pire et où les choses et les gens auront tendance à se confondre, à se mélanger dans un grand Fouillis peuplés des morts et des vivants qui les hantent ou les apaisent grâce aux rituels chamaniques menés par des mudangs, des sorcières coréennes.

Dans ces trois mondes qui s’entrecroisent et s’entremêlent, Mevlido émerge comme une dernière réminiscence de l’humanité quand, à ses côtés, ne restent plus que des simples d’esprit, des vautours, des héroïnes à plumes noires, des sorcières et des enfants soldats pour l’éternité. C’est un monde animé par une passivité violente ou post-violente, un monde du chaos qui succède à la bataille finale de la lutte des classes à laquelle des vieilles s’obstinent en vain à ne pas renoncer. C’est surtout un monde qui précède de justesse la fin de tout, la Fin, tout simplement. Dès lors, ce ne peut être qu’un monde incroyablement vain, comme les slogans des vieilles, comme les meurtres insensés exécutés par Sonia, comme la haine farouche de Mevlido. Peut-être y a-t-il un sens dans tout cela – il y a suffisamment de mystère pour qu’il y en ait un –, mais on est condamné, dès la naissance, à l’ignorer, et dans la mort, les mêmes démons nous assaillent sans apporter de réponse, comme si, finalement, la vie continuait pour nous comme pour les autres, seulement dans une voie parallèle et seulement un peu plus sombre.

Songes de Mevlido – songes comme ces rares moments où l’on dépasse la simple réalité pour appréhender quelque chose de plus grand, entrevoir des réponses qu’un éternel réveil nous empêche de comprendre – Songes de Mevlido, donc, est un univers immense où l’on se perd avec bonheur, d’une originalité débordante de pessimisme où l’on rencontrera des figures comme nulle part ailleurs. C’est un univers de la catastrophe – celle passée et celle à venir – et c’est surtout un univers dont, après toutes ces errances, on se sent incapable de rendre convenablement la grandeur. L’œuvre de Volodine est un miroir déformant qui nous renvoie à la face l’image de notre monde, de nos échecs passés et futurs, le témoin de nos impuissances, de nos désillusions et, surtout, de nos aspirations les plus inconscientes, les plus vaines. C’est une claque dont les conséquences restent encore à écrire.

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Un monde à la Enki Bidal

7 étoiles

Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 50 ans) - 13 août 2010

Ce que nous savons c’est qu’il y a eu dans notre futur une Révolution Mondiale qui a évolué en guerres d’extinction. Ce que nous savons c’est que ces guerres nous les avons perdues.
La population a été divisée par 100, les réfugiés se sont regroupés dans des ghettos entourant des villes. Que ces villes sont dirigées par les vainqueurs, génocidaires et trafiquants. Les habitants des ghettos survivent dans des ruines au milieu des cadavres et des oiseaux dans un contexte de mutation génétique, de déchéance morale et de recul technologique.
Par contre, nous ne sommes pas sûrs de la santé mentale de Mevlido,

Ce flic me rappelant le personnage de Nicopol dans les BD de Bidal.
C’est un monde étrange dans lequel nous rentrons. Nous avançons à tâtons sans certitude sur la réalité de ce que nous lisons. Puis le roman devient encore plus déstructuré et là …j’avoue que j’ai lâché prise.
Le livre fourmille d’idées astucieuses mais là l’errance sans fin de Mevlido était un peu longue et je me suis fait violence pour connaître le fin mot. Et de mot fin je n’en ai pas lu.

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  Belle critique de Stavroguine. 15 Donatien 11 mai 2015 @ 21:22

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